Dans son jugement T1340/7008 rendu le 26 avril, le Tribunal canadien des droits de la personne a sévèrement condamné les actions du gouvernement canadien qui selon lui protège mal les jeunes autochtones. Le Tribunal a donné raison aux plaignants, Assembly of First Nations, qui prétendaient que les autochtones qui vivaient dans des réserves du Yukon s’étaient vu refuser les mêmes services qu’ont les non autochtones. La cour a trouvé que ces actions du gouvernement contrevenaient à la section cinq de sa charte des droits de l’Homme.
Pratiques discriminatoires
Dans ce jugement de 15 pages, le tribunal ordonne au Canada de cesser ses pratiques discriminatoires contre ses autochtones. Le Tribunal ordonne de plus au gouvernement de fournir de l’information précise sur la manière dont il entend faire cesser ces manquements, et ce, dans les prochaines semaines. Le gouvernement dépenserait entre 22 % et 34 % de moins pour les enfants autochtones que pour ceux des autres canadiens, selon les différents calculs retenus par la cour. Les conséquences de cette discrimination systématiquement sont importantes. Les jeunes de ces communautés qui représentent moins de 4 % de la population du pays forment près de la moitié des 30 000 enfants confiés actuellement à des foyers d’accueil. Le processus d’assimilation des autochtones commencé avec les pensionnats continue donc en 2016. Il n’y a pas non plus lieu de se surprendre que les taux de décrochage scolaire dans ces communautés soient six fois supérieures à celui de la moyenne nationale.
La Loi sur les Indiens tel que l’interprète le gouvernement canadien est en fait un catalyseur de misère. Malgré le fait que la moitié de la population autochtone a moins de 20 ans, les augmentations des budgets des Premières Nations sont plafonnées à des augmentations de 2 % depuis 1996. Les subventions pour les Premières Nations ont en plus diminué de près de 30 % depuis 1994, alors que le financement pour les autres Canadiens a augmenté. Les autochtones qui n’en peuvent plus de cette situation quittent les réserves, s’assimilent et deviennent des citoyens ordinaires. Leurs descendants perdent ainsi leurs droits à faire réparer 150 ans d’injustices à leurs égards. Cela fait l’affaire du gouvernement canadien qui n’a pas à respecter les traités qu’il a signés ou payer des compensations aux Premières Nations qui n’en ont pas signé.
Un problème généralisé au pays
Les problèmes dénoncés dans le rapport ne se produisent pas que sur le territoire du Yukon, mais bien dans une bonne partie des réserves au pays. Ils surgissent d’ailleurs régulièrement dans les médias qui dénoncent ces morceaux de tiers-monde dans un pays dit développé. Des dizaines de réserves du nord de l’Ontario n’ont pas accès à de l’eau potable et font face à des problèmes de surpopulation dans des logements souvent vétustes. Il y a 7 adultes sur 10 qui sont sans emplois parmi les 1800 autochtones des Premières Nations de Lac-Simon en Abitibi. Toute la population doit d’ailleurs s’entasser dans 350 bungalows. Dans le village algonquin de Kitcisakik, au sud de Val-d’Or, 300 autochtones sont pour leur part logés dans de petites résidences qui n’ont ni égout, ni eau courante, ni électricité.
Des autochtones qui ont été adoptés durant la rafle des années 1960 se sont d’ailleurs rassemblés devant le Parlement à Ottawa, le vendredi, 29 avril, pour dénoncer la rafle des années soixante et pour demander au gouvernement fédéral de réformer le système d’adoption des enfants autochtones. Entre 1960 et 1980, environ 20 000 enfants autochtones ont été arrachés à leur famille pour être adoptés par des familles blanches ailleurs au Canada.
La conjonction de ces conditions entraîne actuellement une vague de suicide chez les jeunes autochtones. Dans certaines réserves, comme celle d’Attawapiskat il y a eu plus de 28 tentatives de suicide en mars. La communauté de Kuujjuaq est aussi en état de crise après une vague de suicides. Les femmes autochtones sont quatre fois plus susceptibles que les autres femmes du Canada de subir de la violence physique ou sexuelle ou même d’être assassinées. Les parents qui se font retirer leurs enfants tombent en détresse et finissent très souvent par avoir des démêlés avec la police.
Des faits connus depuis 20 ans
Que ce Tribunal ordonne au gouvernement de mettre fin sur-le-champ à la discrimination dont sont victime les enfants des Premières Nations ne veut en aucun cas dire que ce sera fait rapidement. La situation que dénonce le tribunal est connue depuis au moins une vingtaine d’années. En 1996 déjà, le rapport Erasmus-Dussault de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones tirait les mêmes constats. Pour ainsi dire aucune des 400 recommandations qui avaient fait n’a été appliquée.
Alors qu’elle était vérificatrice générale, Sheila Fraser avait aussi présenté en 2011 un bilan catastrophique des conditions de vie des autochtones. En février 2013, Humant Rights Watch (HRW) révélait pour sa part que des femmes autochtones du nord de la Colombie-Britannique avaient été agressées et violentées par des agents de la GRC et que leurs plaintes n’avaient pas été traitées avec sérieux. En 2014, le rapporteur officiel de l’ONU sur les autochtones, James Anaya, avait aussi constaté que l’écart entre le bien-être des autochtones et non-autochtones n’a pas rétréci au Canada depuis 2004. Toujours en 2014, la GRC divulguait un rapport dans lequel elle estimait qu’entre 1980 et 2012, 1200 femmes autochtones avaient disparu ou avaient été tuées.
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation publiait en juin, après cinq ans de travail et 7 000 témoignages, son rapport. Elle concluait que le Canada a participé à un génocide culturel en mettant de force 150 000 jeunes autochtones dans des pensionnats pour « sortir l’Indien » d’eux. Encore en 2016, les enfants autochtones sont donc 10 fois plus retirées de leurs familles naturelles et placées dans les familles d’accueil que les autres canadiens. Dans la communauté autochtone de Lac-Simon, presque un enfant sur quatre, en bas de 17 ans, est en famille d’accueil. L’assimilation forcée des autochtones continue au Canada.
Des conséquences tragiques
Cette déconsidération des autochtones et de leurs besoins peut aussi être vue dans le système policier et de justice du pays qui est mal adapté à cette population. À Sept-Îles, les autochtones forment 80 % des prévenus dans les cours de justice alors qu’ils ne sont que 20 % de la population.
L’émission Enquête diffusée à la télévision d’État le 22 octobre 2015 présentait les cas de plusieurs femmes autochtones qui affirmaient que de nombreux agents de la Sûreté du Québec avaient posé des gestes violents à leur égard. Plus d’une demi-douzaine de policiers ont même été accusés d’avoir demandé des attouchements sexuels que ce soit dans des chemins de terre des environs ou même au poste de police de Val-d’Or. Bien qu’il ait été mis au courant, le gouvernement du Québec refuse toujours de créer une commission d’enquête sur ces événements et a remis le dossier à la police de Montréal.
La ministre des Affaires autochtones et du Nord, Carolyn Bennet, a beau dire que la priorité demeure le bien-être des enfants autochtones, ses paroles n’ont aucune valeur si elle ne met pas en vigueur les décisions du Tribunal. Ce dernier veut d’ailleurs que le gouvernement lui fasse rapport dans les deux prochaines semaines sur la manière dont il entend mettre en vigueur ses recommandations. Compte tenu des précédents, les organismes de protection des droits de la personne, tant au pays que dans le monde se doivent de motiver le gouvernement canadien à prendre ses responsabilités face à la situation de ses autochtones. La société civile mondiale devrait d’ailleurs déjà se préparer à prendre le relais pour que cessent ces injustices flagrantes. Le gouvernement canadien doit prendre ses responsabilités et faire cesser cette discrimination systématique de ses autochtones.
Michel Gourd