L’auteur fait une bonne démonstration des enjeux liés aux changements climatiques et de l’urgence d’agir : GND rappelle les conclusions des différents rapports du GIEC, il souligne l’inertie des dirigeants face au défi climatique. Il rappelle le vide sidéral du programme de la CAQ lors de la dernière élection en matière de lutte aux changements climatiques, le rôle criminel des pétrolières et de leurs alliés dans la dissimulation des dangers liés à l’augmentation des GES dans l’atmosphère, etc. Il évoque tous les efforts faits par les climatosceptiques alimentés par les capitaux des élites pour semer le doute dans la population en ce qui a trait aux conséquences de leurs activités (pp. 12 à 20).
Étrangement, bien que ces affirmations soient justes, il omet de mentionner le cadre de ce camouflage : le capitalisme. Système productiviste dont le seul mantra est le profit maximum, le capitalisme, le secteur des énergies fossiles en particulier, est à l’origine des dérèglements climatiques. Les élites politiques ont contribué à la dissimulation généralisée de ce phénomène. Et pourtant, l’auteur offre une porte de sortie au premier ministre du Québec en mentionnant « qu’importe la raison de votre indifférence. Ce qui compte c’est que vous prenez désormais la pleine mesure du réchauffement climatique. » (p. 28) Devons-nous comprendre par là que selon l’auteur, le premier ministre Legault a enfin pris « la pleine mesure du réchauffement climatique », première étape vers une conversion à la lutte aux changements climatiques ? Si c’est le cas, nous devons nous inscrire en faux. Non, François Legault ne s’est pas transformé en écologiste convaincu prêt à mettre tout en œuvre pour conjurer la catastrophe. (p.48)
L’auteur poursuit en soulignant la difficulté de mobiliser la population dans cette bataille, car « notre incapacité structurelle à voir plus loin que le bout de notre nez nous pousse même à prendre des décisions écologiquement insensées » et que les politiciens évitent de mettre ce qui peut être perçu comme des contraintes par les citoyen.ne.s. On pourrait résumer ce dilemme ainsi : « les enjeux écologistes exigeraient des décisions difficiles, potentiellement nuisibles électoralement, posant tout un dilemme aux pouvoirs démocratiques. Il faut plaire pour être réélu, mais il faudrait déplaire pour éviter la catastrophe. » (p. 48)
L’auteur est cependant incapable de dénouer l’impasse, mentionnant la « patience de faire valoir à nos concitoyens que ce qui peut paraître confortable et facile aujourd’hui peut devenir destructeur et coûteux demain. » (p. 49) Il évoque également avec raison la culture de la « banlieue », invention états-unienne entretenue depuis des décennies par les promoteurs immobiliers et qui est à l’origine de l’étalement urbain et de l’utilisation de l’auto individuelle comme mode de transport, source importante d’émissions de GES. Il souligne toutes les pertes d’énergies et de temps que représente cette solution. Et que cette culture est la base d’une fracture sociale « profonde et irréversible » (p. 58) dans notre société. Et que le mode de vie lié à la banlieue est « en train de détruire les conditions écologiques de notre prospérité. » (pp. 66-67)
Pourtant, GND effleure la solution lorsqu’il évoque « la pénurie de temps » (p.70). En effet, il évoque les avantages de la banlieue (prix des maisons, espaces verts, etc.), mais souligne que ces avantages viennent avec un prix à payer : des pertes de temps énormes dans la circulation, dans les distances de plus en plus longues pour se rendre au travail, à l’école, etc. « Plus la banlieue grandit, plus elle s’étend, plus les embouteillages se multiplient » (p. 69) Or, il constate que le temps consacré au travail augmente, mais ne soulève que des solutions qui concerne le transport alors qu’il faut, sans négliger cet aspect, aller au-delà de cet aspect et proposer une réduction du temps de travail à l’ensemble de la société. Dans cette perspective, une réduction de la semaine de travail à 35 heures (et tendre vers la semaine de 4 jours) ajoutée à une série de mesures pour améliorer la proximité des services et un service de transport en commun efficace et gratuit serait davantage séduisant pour les citoyen.ne.s à convaincre de la pertinence de la lutte aux changements climatiques.
Bien sûr, de telles mesures ne peuvent que s’inscrire dans un contexte de transformation importante de la société. Le lobby des énergies fossiles ne permettra sûrement pas de telles réformes sans s’y opposer fermement. Le secteur bancaire qui compte d’importants investissements dans le secteur de l’énergie ne laissera pas ces capitaux être enterrés sans rendement. L’industrie automobile y verra une source de réduction de ces occasions de profits. On peut donc s’attendre une résistance sans égal si un gouvernement écologiste prend le pouvoir et compte mettre en marche des réformes qui heurteraient leurs intérêts. C’est là que l’exercice de Nadeau-Dubois nous semble rater la cible. Consacrer des énergies à tenter de sensibiliser le premier ministre Legault à opérer un virage à 180 degrés et enfiler le costume de l’écologiste convaincu nous semble tenir de la naïveté. Il faut plutôt consacrer les énergies disponibles à mettre sur pied un vaste mouvement populaire afin de forcer les élu.e.s à adopter des mesures structurantes.
François Legault est complètement inféodé aux intérêts du capital et il ne s’en cache pas. Il voit dans des projets comme GNL Québec et le 3e lien entre Québec et sa rive sud des solutions écologistes. Il a construit sa base électorale sur le déni du réchauffement climatique. On ne voit pas très bien ce qui pourrait le pousser à changer de cap et opérer un 180 degrés. Sauf si l’on suit le chemin tracé par la bataille contre sa réforme sur l’immigration. Seule une mobilisation citoyenne très large pourra le forcer à appliquer des mesures qui vont dans le sens de la bataille aux émissions de GES. Et encore, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue récemment et le gouvernement Legault n’a pas bronché d’un iota comme le souligne Dominic Champagne dans sa récente missive « Si le coeur vous en dit ». Alors, à la clé, il faudra un gouvernement solidaire porté par une mobilisation sans précédent pour mettre en œuvre une véritable politique de lutte aux changements climatiques. Chercher des raccourcis comme convaincre ceux et celles qui font partie du problème, c’est comme espérer faire pousser une fleur dans le ciment.
Gabriel Nadeau-Dubois, Lettre d’un député inquiet à un premier ministre qui devrait l’être, Lux, 2019, 98 p.
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