Édition du 21 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lettre d'appui de 101 artistes à PKP – la banalisation de la présence du privé dans la création et la diffusion des arts

Dans le cadre de la course à la chefferie du PQ, Martine Ouellet s’engageait lundi à bonifier à la hauteur de 13,5 millions$ le budget alloué à la culture. Elle a fait cette annonce entourée de l’actrice Sylvie Legault et du scénariste François Avard. Elle souhaite doubler le montant alloué aux bourses destinées aux artistes. Elle veut financer l’achat de 200 000 nouveaux livres dans les écoles. (1) Martine Ouellet réagit ainsi aux annonces d’Alexandre Cloutier qui promettait auparavant 70 millions$ pour promouvoir la culture chez les jeunes. (2) La lettre d’appui de 101 artistes à PKP publiée la semaine dernière a eu ses effets. Mais est-ce une bonne chose pour l’avenir des arts au Québec ?

Tout ça prend des airs connus d’une instrumentalisation des arts et de la culture à des fins bassement électoralistes. Et pire, rien ne semble dépasser l’horizon d’une présence de plus en plus importante du privé dans le financement des activités artistiques ce qui démontre que les perspectives péquistes n’ont rien de bien original à offrir sinon qu’une surenchère électoraliste à la subvention qui ne remet pas en question le cadre de cette politique. Une surenchère qui fait abstraction du parcours de PKP et de son empire au cours des dernières années, parcours qui n’annonce rien de bon pour l’avenir.

Professionnalisation des artistes, industrialisation du secteur des arts, privatisation du financement

Ce qui a caractérisé la production artistique au Québec au cours des dernières décennies est sa « professionnalisation », la création d’une « industrie » autour de la notion de retombées économiques et de rentabilité d’entreprises. C’était le début d’une longue opération d’instrumentalisation des arts et d’intégration aux perspectives de l’oligarchie en pleine révolution néolibérale. La culture, c’est bon puisque ça génère des revenus et des profits. Ça contribue à remplir des chambres d’hôtels, des restaurants, des bars, bref ça fait tourner l’économie. Ça stimule le tourisme. Dans ce contexte, les artistes devaient devenir des entrepreneurEs. La culture, c’était maintenant une business comme dans l’expression « show-business ». C’était le début de la fin du soutien à « l’art pour l’art ».

Derrière ce discours se cachait le désengagement de l’Etat qui représentait jusqu’à cette époque le principal sinon le seul appui financier aux créateurs artistiques qui souhaitaient développer hors des contraintes de la loi du profit rapide et bien juteux. Or, le PQ a joué un rôle important dans ce virage à la fin des années 70 et au début des années 80. Sous prétexte de développer la culture nationale, de la « professionaliser » puis prétextant l’objectif du déficit zéro, les appuis financiers à la création et aux artistes sont graduellement passés du soutien direct aux artistes et artisans à un « partenariat » avec les entreprises dites culturelles (producteurs de contenus, diffuseurs, festivals, promoteurs, agents d’artistes, etc.). Moins d’argent entre les mains des artistes et davantage au privé qui doit générer les fameuses retombées et doter le secteur d’une culture d’entreprise inspirée de celle du secteur privé. Face au désengagement de l’État, le privé devait s’y substituer et donner le ton au virage de la rentabilité et de l’instrumentalisation.

Dans ce contexte, les artistes doivent s’insérer dans le moule face à cette nouvelle génération d’entreprises qui possède dorénavant les outils pour façonner le modèle que nous avons aujourd’hui : un réseau de diffusion en grande partie privé, une culture de promotion des artistes sur le modèle du vedettariat, le formatage des publics, le culte de la culture entrepreneuriale, des réseaux de vente contrôlés par des géants, etc. Et comme dans la plupart des secteurs économiques, la tendance à la concentration des entreprises s’est manifesté rapidement. Aujourd’hui, quelques entreprises (Québecor, Evenko/Molson) contrôlent l’essentiel de l’écosystème artistique. Et plus ces entreprises occupent un espace de type monopolistique, plus grande est la crainte de se mettre à dos l’un de ces joueurs capable de fabriquer des carrières et de les détruire.

Ainsi, les louanges à PKP de la la part des 101 signataires d’une lettre au journal Le Devoir (3) constituent une démission face à cette dérive. On souligne ses contributions financières à toutes sortes d’événements ou de d’entreprise culturelles alors qu’on le soupçonne d’évasion fiscale. On souligne son amour de la culture du Québec alors que les émissions culturelles diffusées par ses médias sont une insulte à notre intelligence et contribuent à façonner un modèle artistique formaté et sans saveur dont la mission principale est de fournir du « temps de cerveau humain disponible » (4) aux publicitaires et aux vendeurs de pacotilles. On mentionne l’importance des investissements de centaines de millions $ de Québecor alors que cette même entreprise est reconnue pour ses chroniqueurs dont le verbe reprend souvent les attaques démagogiques en règle contre les « z-artissssss... qui vivent au crochet de l’État ». Et qui fait un maximum de profits dans toutes ces opérations. Et puis, il y a l’affaire des Productions J qui expose la proximité du pouvoir et des éluEs dans notre société, y compris en culture. Et le cumul d’actes anti-syndicaux de l’entreprise. Le passé autoritaire de PKP et son approche du type capitalisme sauvage devraient susciter la méfiance la plus complète envers sa candidature. Or, les signataires de la lettre font l’économie de ces faits incontestables et tracent un portrait volontairement complaisant du personnage.

De plus, les signataires de la lettre font abstraction du fait que le passé de PKP en matière de soutien aux arts ne signifie en rien une politique conséquente du PQ sous sa direction. Que les engagements de PKP en matière de culture (outre réclamer « en français ! ») sont pour l’instant plutôt minces. Que le PQ possède un long passé de reniements de ses engagements contractés avant les élections. Qu’en matière de politique de développement culturel, le bilan du PQ est plutôt mince. Si la passé est garant de l’avenir, il faudrait que les signataires réalisent que PKP et Québecor sont des parties intéressées dans cette histoire. Elles sont là pour faire des profits, pas par amour de la culture et des arts. Que le PQ n’est pour lui qu’un véhicule pour mener à terme les projets qui intéressent la classe des artistes affairistes et une partie de l’oligarchie.

PKP n’a aucun mérite à contribuer à certaines manifestations artistiques. Il y gagne une notoriété qui fut celle de son père à une certaine époque. Québecor peut se drapper de la vertu d’une contribution au développement des arts. Ce serait cependant faire l’économie d’une véritable réflexion sur l’intrusion du privé dans le financement des arts et de la culture. Pourquoi ne pas exiger que les entreprises privées paient leur juste part d’impôt et que les organismes publics que la société québecoise s’est donné (SODEC, CALQ, etc.) décident de ce qui est bon pour la développement des arts.

Il serait temps de mettre un terme à l’envahissement des arts par le privé et que l’on réclame que l’État redevienne le maître d’oeuvre du soutien à la création et à la diffusion. Que l’on arrête le formatage des arts afin de plaire aux industries des médias, de la restauration et du tourisme. Que l’on replace l’artiste au centre des préoccupations d’une politique culturelle. Que l’on fasse appel à la curiosité et à l’éveil des publics plutôt qu’à abrutir avec un nivellement vers le bas dans le sillage d’une star-accadémisation des disciplines artistiques. Pour parvenir à de tels objectifs, PKP et le PQ ne constituent en rien des outils pertinents et utiles pour une telle entreprise.

Notes

1- http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201505/04/01-4866763-martine-ouellet-propose-dinvestir-135-millions-en-culture.php

2- http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201505/01/01-4866179-cloutier-promet-dajouter-70-millions-pour-mousser-la-culture-chez-les-jeunes.php

3- http://www.ledevoir.com/politique/quebec/438612/pierre-karl-et-la-culture-du-pays

4- Expression utilisée par Patrick Le Lay, PDG de TF1 (France) lorsqu’interrogé sur le rôle des médias dans l’économie http://www.acrimed.org/article1688.html Une autre citation révélatrice du même personnage : " Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...). Ça a l’avantge d’être clair...

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