Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lettre à M. Pierre-Hugues Boisvenu

Monsieur Boisvenu,

Parmi les drames, celui de perdre un enfant est ce qu’il y a de plus douloureux. Vous avez perdu vos deux filles, dont une victime d’un délinquant sexuel indument remis en liberté.

Je comprends que depuis vous favorisez un durcissement de la loi sur la criminalité. Que des criminels réellement dangereux ne puissent bénéficier aussi rapidement et facilement de libération conditionnelle, est une chose. J’en suis. Généraliser la répression, sans prendre en compte les réhabilitations possibles, en est une autre.

Harper se sert toujours de la première raison qui a le support de la population, pour justifier une répression qui ne tient pas compte de la réalité : 1. la criminalité est en diminution au Canada, 2. selon les organismes et experts en la matière, la réhabilitation produit des résultats encourageants.

Harper se sert de vous pour faire passer son agenda rétrograde. Aux États-Unis, de plus en plus de prisons sont construites et gérées par des entreprises privées. La population carcérale explose : « 300,000 en 1972, 1 million en 1990, 2 millions en 2000 et 2,3 millions en 2009 » Alors que « la population des États-Unis représente 5% de la population mondiale. La population carcérale américaine représente 25% de tous les détenus du monde » [1]

Les lobbyistes de ces prisons privées doivent sûrement trouver chez M. Harper une oreille sensible à leur cause... vu sa tendance à copier ce qui se fait de pire aux États-Unis. Advenant la privatisation des prisons, (c’est la mode néolibérale dans tous les domaines) ces « entreprises » vont bénéficier avec bonheur des lois répressives...

Chose bizarre : Harper qui croit à la prolifération de criminels ne voit aucun problème à ce que plein d’armes d’épaules circulent en toute liberté... Cherchez l’erreur !

Monsieur Boisvenu, ce qui m’est encore plus incompréhensible est votre appui à l’abolition du registre des armes d’épaule.

Je suis consciente des arguments qui vont à l’encontre : une formation doit être suivie afin d’acheter une arme à feu et donc un enregistrement est superflu ; le coût astronomique du programme pour les contribuables en relation avec son efficacité ; quelqu’un de malhonnête ou avec de mauvaises intentions peut remplir le questionnaire sans être inquiété ; les vrais criminels de toute façon n’enregistrent pas leur arme ; quelqu’un qui a vraiment l’intention de tuer peut le faire même sans fusil ; cela peut donner une fausse sécurité aux policiers qui consultent le registre, etc. Ces propos ne sont pas dénués de sens et mériteraient une réponse détaillée. Cependant, même si un registre n’est pas efficace à 100%, peut être contourné et ne peut prévenir tous les massacres, il vient quand même compliquer les choses à des tueurs potentiels. C’est un outil de prévention.

Les chasseurs, ceux qui pratiquent le tir récréatif, les États-Uniens en visite au pays considèrent le registre bien contraignant et coûteux. Des amis qui ont une arme m’ont dit que les documents à remplir pour la possession et/ou l’acquisition d’une arme n’est pas plus compliqué qu’une demande de passeport. Le petit désagrément que cela cause peut-il justifier une telle résistance ? Un permis de conduire, l’enregistrement des autos est aussi contraignant et coûteux, et personne ne remet ça en question.

Votre fille aurait été parmi les victimes de l’École polytechnique, [2]
ou du collège Dawson [3] auriez-vous le même discours ? Comment se fait-il que la voix des parents de ces victimes, celle des policiers qui affirment que cela les aide dans leur enquête, ne vous rejoignent pas ? Que diriez-vous aux proches d’une femme tuée par son mari ? à ceux dont un proche s’est suicidé avec une arme à feu ? L’Institut national de Santé publique nous apprend « qu’entre 1998 et 2004, l’entrée en vigueur du projet de loi C-68 est associée à une diminution moyenne de 50 homicides et de 250 suicides par arme à feu chaque année au Canada »
 [4]

Monsieur Boisvenu, ces 300 personnes sauvées de la mort à chaque année ne valent-elles pas le maintien du registre ?

En fait, la vraie résistance à ce registre vient principalement du lobby des armes à feu et de la droite religieuse de l’Ouest. La motivation de M. Harper pour l’abolition et même l’effacement de toute trace de ce registre, c’est d’abord pour plaire à cette clientèle.

Évidemment, les possibilités de gonfler sa caisse électorale sont plus grandes en appuyant ce lobby. C’est la même raisons qui a guidé son choix de baisser les impôts des grandes entreprises. C’est bien plus payant que faire des choix en fonction de l’intérêt public.

Monsieur Boisvenu, je trouve regrettable que M. Harper se serve de vous et de votre vécu pour faire la propagande de son programme de droite.

Je vous invite à être solidaire des familles qui ont vu unE des leurs périr à cause d’une arme à feu, en votant contre la loi C-19.

Merci de votre attention,

Françoise Breault


[2Lépine avait acheté le 21 novembre 1989 une carabine semi-automatique Ruger Mini-14 dans un magasin de Montréal prétextant au vendeur vouloir l’utiliser pour la chasse au petit gibier[8]. http://fr.wikipedia.org/wiki/Tuerie_de_l%27%C3%89cole_polytechnique_de_Montr%C3%A9al

[3Kimveer Gill, ouvre le feu avec une carabine Beretta CX4 C’est une arme d’épaule destinée à la police.http://fr.wikipedia.org/wiki/Fusillade_au_coll%C3%A8ge_Dawson

Françoise Breault

Après une carrière en enseignement, dont un an avec les Échanges France-Québec, j’ai poursuivi en travail social auprès des familles. Vers l’âge de cinq ans, je me demandais pourquoi il y avait des pauvres et ce que je pouvais faire. Sans en prendre pleinement conscience, cette interrogation m’a habité toute ma vie. Une année en Amérique du Sud ne m’avait toujours pas apporté de réponse. Cela m’a pris du temps à voir clair... Maintenant que la lumière est allumée, je ne peux et ne veux la refermer... Tous les faits, toutes mes lectures me confirment comment le système économique actuel contribue à ce fossé grandissant entre riches et pauvres. Me voici maintenant à ma 3e carrière, celle où je peux mettre tout mon temps et énergie à sensibiliser les gens aux graves enjeux d’aujourd’hui, afin de vivre dans un monde plus juste... « mais nous, nous serons morts mon frère... ».

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