Pourquoi ne s’interroge donc pas sur les forces et les faiblesses de la pensée critique québécoise ? Pourquoi ne critique-t-on pas ces façons de faire prises pour aquises : les courses aux bourses, aux mérites, au prestige ? Pourquoi faut-il « arranger » les demandes de subventions et les projets de recherche, pourquoi faut-il faire semblant de savoir où l’on va en début de recherche ? Pourquoi faut-il encore aujourd’hui jouer la comédie et prendre ce ton savant ? Pour se distinguer de la masse ? Pourquoi ne parlons-nous pas du fait que les étudiants aux études supérieures sont souvent des prolétaires intellectuels aux services du supposé « mentor » ? Pourquoi faut-il « compétitionner », « viser l’excellence », « atteindre les plus hauts sommets mondiaux » ? L’université est-elle devenue une marque de soulier ?
Personnellement, quand j’ai rédigé mon mémoire de maîtrise, j’étais en compétition avec personne. J’ai sondé les profondeurs des cicatrices du génocide dans l’âme cambodgienne, pas essayé de vendre un produit. J’étais seul avec ma conscience dans une infinie solitude. C’est le drame de la réflexion. Elle nous pousse à défricher vers des horizons qu’aucun autre n’a osé aller. Une fois rendu, on est seul à jamais. Mais heureux.
Pourquoi ne pas s’intéresser à ce fait vérifiable : l’université est une machine à exclure ses meilleurs éléments parce que la plupart du temps ces derniers n’entrent pas dans le « moule » ?
L’université québécoise d’aujourd’hui est une machine à tuer la créativité. Il y est impossible d’y évoluer sans se plier aux règles qui s’interposent désormais entre la pensée et son objet. Quand un problème survient, on panique et l’on ajoute une règle, quand ce n’est pas le comité machin qui est créé pour se pencher sur la question.
Pourtant, le génie créateur vient de cette capacité à sortir des cadres établis. Il faut créer une université libérée des contraintes dictées par la dernière mode d’idéologie gestionnaire, un université qui accompagne les individus dans leur épanouissement intellectuel, au lieu de chercher à les écraser et leur dicter des façons de faire et de penser, et de prétendre que c’est là le seul héritage possible des Lumières. La pensée critique aujourd’hui, elle est réduite à la liberté d’asseoir son autorité morale sur le travail de l’autre et de démolir sa thèse si elle ne conforme pas avec l’idéal de conformité. En somme, c’est la voie de la facilité déterminante. Faut bien être efficace, nous réplique-t-on, puisqu’on est submergé par nos propres chaînes...
L’université d’aujourd’hui est toxique
À lire ces lignes, on m’étiquettera comme un idéaliste. Pourtant, il est davantage idéaliste de croire qu’en s’intéressant à une colonne de chiffre la crise de la pensée se règlera comme par magie. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : une crise de la pensée qui étouffe. Et tant que cela durera, il y aura toujours des indésirables à poivrer sur le seuil. Un jour peut-être entendrons-nous leurs cris. D’ici là, il faudra garder en mémoire qu’Hubert Aquin n’est pas que le nom d’un pavillon.