Selon une étude actuarielle déposée par le SCFP-Québec et la Coalition syndicale pour la libre négociation, qui regroupe la quasi totalité des employés municipaux du Québec, les déficits des régimes de retraite municipaux atteindraient 2,2 milliards $, plutôt que 3,9 milliards $, montants avancés par Québec. Autre indice d’une meilleure santé des régimes que ce que prétend Québec, le niveau de capitalisation des 60 régimes municipaux du SCFP-Québec se situait à près de 91 % au 31 décembre 2013.
Le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, ne veut rien entendre d’une guerre de chiffres et entend plutôt presser le pas pour que le projet de loi soit adopté dès le début de l’automne.
Alors que le gouvernement du Québec dit vouloir donner un coup de barre pour assurer la santé et la pérennité des régimes de retraite, les syndicats sont plutôt d’avis que le gouvernement de Philippe Couillard agit sous de faux prétextes.
« L’impression qu’on a actuellement, c’est qu’on se sert des régimes de retraite pour attaquer les conditions de travail globales des employés municipaux. Québec modifie unilatéralement des ententes pourtant signées de bonne foi entre les syndiqués et les municipalités et ça, c’est inacceptable », de faire valoir Marc Ranger, porte-parole de la Coalition syndicale pour la libre négociation, en entrevue à l’aut’journal.
C’est aussi l’avis de Michel Lizée, économiste récemment retraité de l’UQAM, pour qui le véritable objectif du projet de loi 3, c’est un pacte financier avec les municipalités.
La pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal et l’équité intergénérationnelle servent, à son avis, de prétextes pour réduire la masse salariale des employés municipaux. « Si tels étaient vraiment les objectifs, le gouvernement pourrait envisager d’autres pistes de solutions, ce qu’il ne semble absolument pas enclin à faire, explique M. Lizée. Que dit le projet de loi 3 exactement ? Personne n’en parle vraiment. On parle du partage 50-50, mais qu’est-ce que ça veut dire, au fond ? Ce projet de loi va beaucoup plus loin. »
Ce que dit le projet de loi 3. En plus du partage, à 50-50 entre les employés et les villes, des déficits passés, des coûts du service courant et des déficits futurs, le projet de loi 3 permettra aux municipalités de suspendre l’indexation actuellement versée aux retraités. Il abolira les prestations accessoires et les différents mécanismes d’indexation, en plus d’interdire l’indexation automatique des rentes, y compris pour le service passé.
Le coût total du service courant des régimes sera plafonné à 16,35 % de la masse salariale, plus une marge de 10 % pour un fonds de stabilisation et d’indexation qui amènera ce maximum à 18 % (un peu plus pour les policiers et les pompiers).
Marc Ranger explique que le plafonnement exerce une pression sur la rémunération globale des employés municipaux et qu’il empêchera, à l’avenir, d’apporter des bonifications aux régimes.
Ainsi, si le ministre Moreau soutient qu’il sera possible d’indexer les rentes une fois la santé des régimes retrouvée, ce n’est pas tout à fait juste, puisque cette indexation devrait se faire à l’intérieur du plafonnement de 18 % de la masse salariale.
L’économiste Michel Lizée indique aussi que, contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, la rente normale des syndiqués pourrait bien éventuellement être touchée puisque le projet de loi prévoit notamment qu’il sera possible de modifier le calcul du salaire sur lequel la rente est basée, le faisant par exemple passer du salaire moyen des cinq meilleures années à celui des 10 ou 15 meilleures années.
Sur la question du partage des déficits passés, alors que les villes auront quinze ans pour payer leur part, déjà en partie financée par les mesures de réduction de la rémunération globale énumérées ci-haut, la part des employés (50 %) devra être assumée dans l’immédiat.
Pour Michel Lizée, il semble évident que, si le gouvernement ne peut venir en aide aux municipalités du côté des revenus, il s’organise pour le faire du côté des dépenses, en diminuant la rémunération globale des employés municipaux via la restructuration des régimes de retraite.
À titre d’exemples, en vertu des modifications apportées par le projet de loi 3, un col blanc devra investir annuellement en moyenne 1 950 $ de plus dans son régime alors que la Ville économisera 1 880 $ par employé, selon les données présentées par la Ville de Montréal dans son Mémoire déposé en commission parlementaire. Pour les pompiers, la somme additionnelle s’élève à 2 730 $, pour une économie de 7 104 $ par année par pompier, pour la ville. Économies annuelles récurrentes qui demeureront pour les villes, rappelle Michel Lizée, une fois les déficits renfloués.
Pour l’économiste, le projet de loi 3 n’est ni plus ni moins qu’une « expropriation sans compensation, un grave bris de confiance. »
« Un régime de retraite, c’est un contrat à long terme qui repose sur la confiance. On déduit une partie du salaire et on promet que cet argent permettra d’assurer des revenus à la retraite, selon des modalités prédéterminées. C’est un principe qui vaut aussi pour l’ensemble des relations de travail au Québec. Sinon, pourquoi ne pas couper unilatéralement dans les assurances, ou encore dans les salaires ? Il n’y a pas de fin. »
Alors que l’on sait que l’épargne de la majorité des Québécois est insuffisante en vue de leur retraite, retirer l’argent déjà versé dans le bas de laine de ces travailleurs, en décrétant en plus une cure d’amincissement de leur régime pour le futur, apparaît incongru.
Des solutions pour préserver l’équité intergénérationnelle. Michel Lizée soutient qu’en raison de différents paramètres, dont l’évolution du contexte économique et la hausse de l’espérance de vie, certaines mesures de restructuration des régimes s’imposent : hausser la part des cotisations des employés pour le service courant, réviser certaines clauses sur l’âge du départ à la retraite, et créer un fonds de stabilisation pour prémunir les régimes contre les fluctuations des marchés boursiers au fil des ans.
Voilà qui assurera la pérennité et la stabilité à long terme des régimes et, par le fait même, l’équité intergénérationnelle.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que s’inscrit l’entente intervenue entre la Ville de Montréal et le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP 301) en octobre 2012.
L’entente prévoit un partage des coûts du service courant à 45 % pour les employés et 55 % pour la Ville. Un fonds de stabilisation et d’indexation a été mis sur pied pour parer aux fluctuations futures des marchés boursiers. Les cols bleus ne pourront prendre leur retraite avant 55 ans sans pénalité.
L’entente, d’ailleurs négociée par Marc Ranger, dresse un mur de Chine relativement aux déficits passés qui incombent à la Ville et n’affectent en rien les droits acquis des retraités.
En entrevue avec l’aut’journal lors de la signature de l’entente, le président du Local 301, Michel Parent, affirmait que les prévisions indiquaient que, dès 2015, 5 millions $ seraient versés annuellement dans ce fonds. L’entente prenant fin en 2017, 15 millions $ devaient y être accumulés. La part du déficit attribuée à ce moment par la Ville aux employés cols bleus était de 6,3 millions $.
« Suspendre toute formule d’indexation automatique, c’est un problème majeur pour nous, explique Marc Ranger, puisqu’il s’agit d’une pierre angulaire du principe d’équité intergénérationnelle. »
L’indexation moyenne des 60 régimes de retraite des syndicats que représente le SCFP-Québec est de 0,7 % par année, soit bien en deçà de la hausse de coût de la vie. Seuls 14 régimes ont des mécanismes automatiques d’indexation. Pour les autres, ce sont des formules conditionnelles ou rien du tout.
Marc Ranger explique que, lors des négociations précédant le projet de loi 3, il entamait le processus en tirant un trait entre les retraités et les travailleurs actifs, avec lesquels il restructure les régimes tout en prévoyant des mesures d’amélioration pour le futur.
« Nous garantissons aux retraités que leurs acquis seront préservés. C’est ça leur gain. Pour les autres, à qui je demande d’assumer le fait de devoir prendre leur retraite plus tard, de payer plus cher pour leur régime et de revoir certains droits à la baisse, je leur dis qu’on va améliorer leur indexation au fur et à mesure qu’on aura de l’argent, avec le retour à la santé du régime et avec le fonds de stabilisation et d’indexation qu’on instaure déjà. C’est une façon de garantir à la fois la pérennité des régimes et l’équité intergénérationnelle. »
Il dénonce le fait que le projet de loi 3, au nom de ce principe d’équité qui « a le dos large », nivèle par le bas en affectant les droits des retraités et en brimant l’avenir des plus jeunes travailleurs.
« Avec le projet de loi, je ne peux plus garantir une indexation aux plus jeunes, c’est interdit. L’équité ne tient pas. » Et, comble de l’ironie, selon le porte-parole de la Coalition, c’est qu’au fil des ans, les régimes vont se retrouver avec des surplus qui ne pourront pas être utilisés, puisque la loi fixe un plafonnement.
Marc Ranger soutient que le ministre Moreau a indiqué dans les notes de clôture de la commission qu’il avait l’intention d’accorder une place plus importante aux retraités au sein des comités des régimes de retraite avec un vote prépondérant. « Quand la situation des régimes se replacera, les retraités vont vouloir, avec raison, récupérer ce qui leur a été pris. Il va y avoir de la chicane pour se partager le fonds de stabilisation et d’indexation. Ça va être une guerre intergénérationnelle et on n’en veut pas. Notre solution prévient tout ça, mais ce ministre-là ne veut rien entendre ! »
Laisser négocier. Marc Ranger s’interroge aussi sur le message véhiculé par le projet de loi en matière de relations de travail pour les plus jeunes. « En reprenant des droits acquis, ils indiquent qu’aucune convention collective n’est viable à long terme. Ça ne sert à rien de négocier, au fond. »
L’économiste Michel Lizée rappelle que le projet de loi 79 sur la restructuration des régimes municipaux, présenté par le gouvernement du Parti Québécois ne récoltait pas non plus l’assentiment des syndicats, mais il avait toutefois l’avantage de laisser une marge de manœuvre à la négociation, contrairement au projet des libéraux.
De l’avis de Marc Ranger, l’entente du Local 301 pourrait servir de paramètre de négociation, si négociations il y avait, puisqu’elle permet d’assurer la pérennité des régimes, de garantir l’équité intergénérationnelle et de respecter les droits des retraités.
D’ailleurs, pour Marc Ranger, si le partage des coûts, des déficits et des risques devait être entièrement à 50-50, il devrait en être de même pour la gouvernance des régimes de retraite. « C’est encore l’employeur qui va avoir le plein contrôle des régimes de retraite parce que nous serons encore minoritaires dans les comités de retraite. » Le projet de loi ne prévoit rien pour adapter la gouvernance des régimes en fonction des modifications de responsabilités et de partage du risque qu’il introduit.
Une aberration, souligne M. Ranger, qui s’indigne du fait que les municipalités ne veulent pas qu’on leur dicte comment gérer les économies qui seront dégagées par les efforts des syndiqués. « Ils ne veulent pas appliquer les économies directement sur les déficits parce qu’ils veulent entretenir la culture de gros déficits pour pouvoir justifier une intervention législative plus musclée. Ce que les représentants des villes disent, c’est que leurs masses salariales étaient trop élevées de toute façon. Merci de les soulager, mais ce n’est pas de vos affaires où on met l’argent économisé. »
De grogne municipale à mobilisation sociale. L’ensemble des employés des secteurs publics et parapublics devraient-ils s’inquiéter pour leur régime de retraite ? « Je suis inquiet de façon générale pour tout le monde. Le gouvernement a une mission d’austérité et personne n’est à l’abri. Les premiers visés sont les contribuables. Je trouve ironique de voir le discours pathétique du Premier ministre et de Pierre Moreau qu’ils répètent comme des petits perroquets à propos de la capacité de payer du contribuable. La vérité, c’est qu’ils sont en train de s’attaquer à tout le monde et que tout le monde va y passer d’une façon ou d’une autre. »
Au discours selon lequel les contribuables n’ont plus la capacité de payer, que la grande majorité des Québécois ne bénéficient pas d’un régime complémentaire de retraite et qu’ils n’ont pas à financer les « généreux » régimes de retraite des employés municipaux, Michel Lizée répond qu’il s’agit d’un faux débat. « Les villes n’ont pas contribué aux régimes de retraite de leurs employés pendant les années fastes où les surplus étaient au rendez-vous et ce sont les citoyens qui, au final, en ont bénéficié. »
À ces arguments populistes, la solution n’est pas de sabrer dans les régimes de retraite, mais plutôt de bonifier le régime public, soit le Régime des rentes du Québec.
Une perspective qui servirait l’ensemble de la population, permettrait d’augmenter le niveau de vie des prochaines cohortes de retraités et réduirait l’écart des revenus entre ceux qui bénéficient d’un régime privé et ceux qui n’en ont pas. Sans compter que ce choix politique aurait une incidence favorable sur les coûts et le risque des régimes municipaux qui s’en trouveraient réduits.
Conscients de la fermeté de la position gouvernementale, les syndicats se disent déjà prêts à contester la loi 3 devant les tribunaux dès son a