tiré de : Entre les lignes et les mots
Publié le 3 septembre 2021
Dans une stratégie visant à maximiser les profits sans « ternir leur image », les entreprises ont trouvé le moyen d’externaliser la production en passant des accords avec les communautés d’agriculteurs familiaux, traditionnels et paysans. Ces accords sont des pièges qui menacent la souveraineté alimentaire, en contournant les modes de vie et la diversité cultivé dans les territoires.
En raison de l’impact de cette industrie sur les territoires où elle opère, les communautés et les organisations environnementales ont concentré leurs forces pour résister et dénoncer ces pratiques. Dans ce processus, le Mouvement Mondial pour les forêts Tropicales (World Rainforest Movement – WRM) a préparé le livret Neuf raisons de dire NON à l’agriculture contractuelle des entreprises d’huile de palme, basé sur les expériences réelles des agriculteurs et agricultrices d’Amérique latine, d’Afrique sub-saharienne et d’Asie du Sud-Est.
Nous mettons en évidence ci-dessous un extrait du livret qui explique les pièges contractuels créés par les sociétés transnationales et le marché financier. Ces accords peuvent durer jusqu’à 30 ans et constituent un mécanisme de contrôle qui emprisonne les agriculteurs dans des pratiques axées sur le profit des entreprises. Pendant toute cette période, les gens sont contraints de produire des fruits de palme et de les vendre au prix fixé par les entreprises elles-mêmes, au risque de s’endetter et même de perdre leurs terres. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut dire non à l’agrobusiness d’huile de palme. Nous vous recommandons de lire la brochure complète, disponible en portugais, anglais, français, espagnol et indonésien.
Pourquoi les contrats avec les entreprises sont-ils si dangereux pour les paysans ?
Il existe un déséquilibre de pouvoir important entre les parties. Les entreprises, les gouvernements et les banques consacrent beaucoup d’argent, de temps et d’expertise juridique à rédiger des contrats de façon à ce qu’ils soient avantageux pour eux. Ils ont également élaboré des moyens très efficaces pour s’assurer que l’autre partie – le paysan – se conforme aux obligations du contrat. Par exemple, si le paysan ne respecte pas les conditions, le contrat stipule qu’il en subira des conséquences juridiques. Il peut s’agir de pénalités coûteuses ou même de la perte de ses terres. Aucune pénalité ou amende de ce type n’est prévue pour l’autre partie au contrat : les entreprises, le gouvernement et/ou les banques.
En revanche, les paysans ont moins d’expérience, moins d’argent et moins de temps à consacrer à comprendre les détails du contrat. Pour un agriculteur individuel, c’est peut-être la première fois qu’il signe un contrat de ce type. La société a probablement déjà signé des centaines ou des milliers d’accords avec des paysans dans différentes régions du monde. Cette expérience se retrouve dans la stratégie appliquée par l’entreprise pour faire signer le contrat par le paysan.
Le contrat est rempli de mots et d’expressions que la plupart des gens n’utilisent pas. Il est rédigé dans la langue des entreprises et des banques. Parfois, le contrat est même purement et simplement rédigé dans une langue étrangère. En conséquence, les paysans signent des documents écrits qu’ils ne sont peut-être pas capables de lire ou de comprendre facilement.
Les entreprises font généralement pression sur les agriculteurs pour qu’ils signent rapidement les documents. Elles n’ont aucun intérêt à aider le paysan à comprendre les détails du contrat. C’est pourquoi elles ne laissent souvent pas suffisamment de temps aux paysans pour demander conseil à des personnes en qui ils ont confiance. Elles savent qu’une fois le document signé, le paysan est piégé par le contrat avec l’entreprise et/ou une banque pour une longue période, généralement de 15 à 30 ans.
Lorsque les paysans négocient entre eux, ce qui compte généralement, c’est la parole donnée, pas ce qui est écrit sur un morceau de papier. Le représentant de l’entreprise profitera de cette habitude et dira : « C’est ce que dit le contrat, il suffit de signer ici. » Le représentant en question évitera de mentionner les passages du contrat qui sont dangereux ou risqués pour le paysan. Et plus les règles sont dangereuses ou risquées pour le paysan, plus il est déroutant ou difficile de comprendre ce qui est écrit. Aucun paysan ne signerait s’il savait que de telles règles risquées font également partie du contrat.
Dans les cas où les paysans signent un contrat dans le cadre d’un groupe plus large, comme une association, ils peuvent même ne pas se rendre compte qu’ils signent un contrat qui les oblige à produire des noix de palme exclusivement pour cette entreprise.
Comment les entreprises d’huile de palme amènent-elles les paysans à signer le contrat ?
C’est souvent après une visite au domicile de la famille du paysan que celui-ci se retrouve piégé dans l’agriculture contractuelle. Il est possible qu’un représentant des autorités locales ou qu’un responsable politique tel qu’un conseiller ou un député, par exemple, accompagne le représentant de la société. Après avoir inspecté le terrain avec le paysan, le représentant de l’entreprise parlera de son programme d’agriculture contractuelle et offrira au paysan d’y adhérer.
L’entreprise prétendra que l’adhésion à son programme peut rendre l’agriculteur riche ; il lui suffit de signer un accord (le contrat) pour planter des palmiers à huile pour l’entreprise, sur ses terres. L’entreprise promet souvent au paysan qu’il pourra même continuer à planter des cultures vivrières sur ses terres. La société offre également d’acheter toutes les noix produites par les palmiers à huile.
Comme nous le verrons plus loin, ce n’est pas une offre, mais en fait un piège. Le paysan ne sera pas autorisé à vendre les noix à d’autres acheteurs potentiels et devra accepter le prix fixé par l’entreprise.
Les entreprises et le gouvernement présentent cependant l’agriculture contractuelle comme un accord gagnant-gagnant. Il s’agit d’un accord qui, selon eux, n’apportera que des avantages tant pour le paysan que pour l’entreprise. Les promesses de l’entreprise n’ont qu’un seul objectif : amener le paysan à signer rapidement un contrat afin que la plantation de palmiers à huile destinée à l’entreprise commence rapidement. C’est pourquoi l’entreprise veillera à ce que les paysans n’aient pas le temps de réfléchir à leur décision ou de trouver des informations sur l’expérience des paysans dans d’autres régions. Une fois le contrat signé, les agriculteurs sont obligés de respecter les règles de l’entreprise et ils perdent leur autonomie.
Promesse : « Les femmes sont les bienvenues dans les programmes d’agriculture contractuelle »
Ce que les entreprises dissimulent : Là où l’agriculture contractuelle se développe, les femmes sont plus dépendantes des hommes et leur charge de travail augmente.
Les femmes supportent généralement les tâches les plus difficiles dans les ménages ruraux. Si les femmes rejoignent un programme d’agriculture contractuelle dans ces conditions, elles crouleront sous le travail pénible nécessaire pour prendre soin à la fois de la plantation de palmiers à huile et de leurs tâches ménagères existantes.
Par conséquent, lorsque les entreprises soulignent le fait qu’elles signent également des contrats avec des femmes, cela ne signifie pas qu’elles ont un programme dédié visant vraiment à soutenir et autonomiser les femmes. Cela peut être une tactique de la société d’huile de palme dans les zones où des femmes dirigent seules leur ménage et où l’entreprise souhaite également accéder à leurs terres. Mais dans la plupart des cas, ce sont les hommes qui signent les contrats tandis que les femmes effectuent une grande partie du travail dans les plantations de palmiers à huile, hormis les tâches de récolte.
Les femmes perdent alors économiquement sur deux fronts. Premièrement, ce sont les hommes qui apportent les noix de palme à l’usine qui reçoivent l’argent. Deuxièmement, les femmes risquent de perdre en grande partie leur accès à la terre et de ne plus pouvoir pratiquer d’autres cultures vivrières qui leur permettent de vendre à leur propre compte.
Cela remet aussi en cause la possibilité pour les femmes de reproduire et de transmettre à leurs enfants leurs connaissances, leurs pratiques, leurs usages et leurs traditions en matière de cultures vivrières et de plantes médicinales.
Redaction par Bianca Pessoa
Edition par Helena Zelic
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