L’histoire de Marie-Eve LaContribuable
En ces temps où plusieurs gouvernements appliquent leurs mesures d’austérité, Marie-Ève La-Contribuable gagne honnêtement sa vie comme infographiste dans une entreprise de communication. En avril de chaque année, Madame LaContribuable, qui gagne annuellement 35 000$,complète ses déclarations d’impôt. Comme bien d’autres, elle trouve toujours élevé le montant total de sa contribution d’impôt. Mais, en pensant aux services de santé, d’éducation, aux travaux routiers, et aux autres services publics, Madame LaContribuable finit toujours par se dire que les impôts sont finalement « un mal nécessaire », et qu’il est normal que tout le monde paie sa juste part pour vivre dans une société comme la nôtre. Mais au fait, tout le monde paie-t-il réellement sa juste part d’impôts ?
C’est quoi un paradis fiscal ?
Un paradis fiscal est un pays ou un territoire qui applique un impôt des compagnies très bas ou carrément nul. Parmi ceux-ci, on trouve, la Suisse, l’Irlande, La Barbade, les îles Caïmans, les îles Jersey et Guernesey, le Luxembourg, Monaco, les Bahamas, le Delaware, et bien d’autres.
Les plus nuisibles sont ceux qui pratiquent le secret bancaire et qui ont une entente contre la double imposition avec le Canada. Les paradis fiscaux sont utilisés frauduleusement pour blanchir de l’argent issu de la criminalité. Mais ils sont surtout utilisés plus ou moins « légalement » par des gens très riches et des compagnies multinationales pour faire de l’évasion fiscale.
1. Un phénomène de plus en plus populaire
Contrairement à madame La Contribuable, et à la très grande majorité des travailleuses et travailleurs, des milliers de gens fortunés et de grosses entreprises ne paient pas leur juste part d’impôt.
Comment font-ils ? Tout simplement, en plaçant, ou en faisant transiter leur argent dans des « paradis fiscaux ». Les paradis fiscaux sont des territoires étrangers qui appliquent des taux d’impôt très bas, ou même parfois nuls.
Ces territoires sont très souvent de minuscules pays de quelques milliers d’habitants (Îles Caïmans, Barbade, Luxembourg, etc.). Ils sont devenus tellement à la mode, que selon Statistique Canada, la part des actifs des compagnies canadiennes dans les paradis fiscaux est passée de 11 milliards $ en 1990, à plus de 170 milliards en 2012, une augmentation de 1500%.
Plus de 50% du commerce mondial et des transactions financières passent par des paradis fiscaux, et ceux-ci abritent environ 2,4 millions de filiales ou sociétés-écrans qui ne sont en fait que des boites aux lettres, qui ne servent qu’à contourner les lois.
Selon l’économiste britannique James Henry, entre 21 000 et 32 000 milliards $ US, étaient placés dans des paradis fiscaux à l’échelle mondiale en 2010. Il s’agit de sommes absolument fabuleuses, à l’abri de l’impôt, et ne contribuant en aucune façon à la productivité ou à la création d’emplois.
Aussi curieux que cela puisse paraître, il est possible pour des individus ou des compagnies d’utiliser les paradis fiscaux tout à fait légalement, puisque nos propres politiciens ont voté des lois qui le permettent.
C’est donc légal ! Mais est-ce juste, et surtout moral ?
2. Ce que le Québec se fait voler
Le Québec perd des milliards de dollars chaque année à cause des ultras riches et des compagnies multinationales qui recourent à l’évasion fiscale. De très importantes sommes qui pourraient être investies dans l’éducation ou la santé, par exemple, sont « détournées » au bénéfice d’une minorité de privilégiés cupides et individualistes. À combien peut-on évaluer les sommes qui sont perdues ?
Cela dépend, il y a plusieurs estimations possibles, mais toutes se chiffrent à plusieurs milliards $ par année. La fiscaliste Brigitte Alepin, auteure du livre « Ces riches qui ne paient pas d’impôts », estime que les gouvernements perdent chaque année l’équivalent d’environ 4,5 % du total de leurs revenus à cause des paradis fiscaux.
Faisons le calcul : en 2014-2015, les revenus estimés du gouvernement québécois sont de 96,4 milliards$. Selon cette estimation, ce serait donc une somme de 4,3 milliards$ qui échapperait au gouvernement du Québec chaque année à cause des stratagèmes douteux des mieux nantis de notre société. Le magazine Alternatives économiques estimait quant à lui en 2010 que les États perdaient l’équivalent d’environ 3% de leur PIB (produit intérieur brut) en revenus d’impôt à cause de l’évasion fiscale. Le PIB du Québec étant d’environ 350 milliards$ en 2014, ce serait donc une somme d’un peu plus de 10 milliards$ qui serait détournée au détriment des contribuables ordinaires, qui eux payent honnêtement leurs impôts et leurs taxes.
En clair, si tout le monde payait véritablement sa juste part, non seulement on ne parlerait pas aujourd’hui d’austérité et de coupures, mais bien plutôt d’une amélioration de nos services publics et de la qualité de vie en général.
3. Comment fonctionnent les paradis fiscaux ?
Pour les sociétés canadiennes, il est très facile d’éviter de payer les sommes dues à l’impôt. Cela relève pratiquement de la « technicalité ». D’ailleurs, des firmes d’avocats fiscalistes, de même que des banques, offrent ouvertement leurs services dans ce domaine.
Pourquoi se cacher puisque c’est légal après tout ? L’astuce consiste plus concrètement, à créer une ou des filiales dont les opérations se dérouleront « officiellement » sur le territoire d’un paradis fiscal, vous offrant un taux d’imposition nul ou extrêmement bas.
Disons La Barbade. Ce territoire n’exercera aucun contrôle sur vos activités et vous promettra très souvent... le secret absolu. Cette filiale à l’étranger, souvent une simple boîte aux lettres, est aussi appelée « société-écran ». Celle-ci n’a aucun employé, et il n’est pas rare qu’une même firme d’avocats serve de « siège social » à des milliers de filiales de sociétés étrangères. Pour que le stratagème d’évitement fiscal fonctionne bien, la filiale émettra à l’intention de la société mère située au Canada des factures très élevées pour diverses opérations, parfois fictives (prix gonflés pour des marchandises, services marketing, etc.), ce qui permettra d’abaisser le niveau de profits de la société mère au Canada et par voie de conséquence, l’impôt que celle-ci devrait normalement payer au gouvernement du Canada et du Québec.
En clair, la société au Canada déclare des pertes ou encore des profits très bas, alors que la filiale à la Barbade réalise de gros profits qui ne sont imposés qu’à seulement 1% environ. Une fois cet impôt ridicule payé à la Barbade, la filiale retourne le restant du magot à sa société mère au Canada... magot qui ne peut plus être imposé au Canada, puisqu’il l’a déjà été à la Barbade...
4. Une question de justice fiscale
Comment expliquer que dans un pays comme le Canada, les grosses fortunes et les grandes compagnies jouissent de toutes sortes d’échappatoires leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales, alors qu’il n’en est rien pour les contribuables ordinaires. Comment expliquer le maintien de ces privilèges scandaleux alors que nos gouvernements se disent incapables, faute de ressources financières, d’améliorer, voire même de maintenir nos services publics et nos protections sociales ?
Les paradis fiscaux sont une injustice flagrante envers l’ensemble de la population. Ils n’ont absolument aucune utilité publique et ne devraient pas exister. Les gouvernements qui adoptent des lois pour en faciliter l’accès (ou pour ne pas le limiter) se tirent dans le pied, ou sont alors complices...
Si les paradis fiscaux sont un cancer économiquement improductif, et moralement injustifiable, il est grand temps de les abolir !
AUSTÉRITÉ ?
Si les gens fortunés et les grosses entreprises payaient leur juste part d’impôt, on ne parlerait pas aujourd’hui d’austérité et de coupures, mais bien plutôt d’une amélioration de nos services publics et de la qualité de vie en général.
Un monde plus juste
Les milliers de milliards de dollars qui se trouvent actuellement dans les paradis fiscaux sont une nuisance pour la très grande majorité des gens, et une glorification honteuse de la cupidité et de l’individualisme primaire d’une minorité de millionnaires. Abolir les paradis fiscaux signifierait non seulement la fin des coupures et des mesures d’austérité au Québec, mais aussi potentiellement la fin de la pauvreté à l’échelle de la planète. Si tout le monde payait vraiment sa juste part d’impôt, les gouvernements disposeraient de ressources financières suffisantes pour accorder une éducation et des services de santé de base à toutes les populations qui en sont privées aujourd’hui.
Il serait également possible d’agir efficacement contre les changements climatiques qui, rappelons-le, constituent une menace très sérieuse pour la survie de centaines de millions de personnes dans le monde au cours des prochaines décennies.
Manque de volonté politique ?
Le premier ministre Couillard, lui-même, a dû admettre lors de la campagne électorale du printemps 2014, qu’il avait utilisé un paradis fiscal aux îles Jersey et Guernesey pour placer une somme de 600 000$ alors qu’il travaillait en Arabie Saoudite. Peut-on s’étonner alors que la plupart des partis politiques ne soient pas pressés d’agir pour contrer les paradis fiscaux ?
POUR AGIR ! Dites-le aux politiciens ! Si vous croyez que les paradis fiscaux sont injustes, écrivez à vos députés provinciaux et fédéraux, de même qu’au ministre des Finances. Un seul clic vous suffira si vous utilisez le lien ci-bas.
POUR EN SAVOIR PLUS
http://www.echecparadisfiscaux.ca/
Levez-le-voile/agissez/