Mais, rapidement, il s’est aperçu qu’il avait sous-estimé la mobilisation et la détermination du mouvement étudiant. Il a donc cherché donc à diviser le camp étudiant, en jouant une direction contre une autre, la FECQ et la FEUQ, contre la CLASSE. Plus, il a cherché à diviser la population étudiante elle-même en se faisant le champion du droit individuel de quelques-uns contre les droits collectifs de la majorité de la communauté étudiante. Il encouragea la judiciarisation du conflit. Il mobilisa les autorités des établissements et les étudiantEs prisonniers d’une logique individualiste pour exacerber les divisions. Il lança les forces policières contre les lignes de piquetage pour imposer les droits individuels de quelques-uns contre les droits démocratiques de la majorité : il remettait de facto en cause le droit de grève, le droit de défendre des revendications collectives qui ne peuvent s’appliquer que par l’action collective. Il utilisa les médias des amis du régime pour présenter les victimes de la violence policière comme les responsables de cette dernière.
La loi 78, une loi inique et répressive
Incapable de casser la détermination étudiante, sentant s’élargir le refus d’un secteur de plus en plus important de la population ce déni des droits collectifs, le gouvernement a fait adopté une loi matraque, la loi 78, qui constituait en fait, non seulement un lock-out contre les grévistes et leurs organisations, mais une attaque contre les droits démocratiques élémentaires de l’ensemble de la population, coupable de se solidariser avec la jeunesse scolarisée en lutte pour ses droits.
La loi 78 fait prévaloir le droit d’une minorité de personnes contre le droit de la collectivité étudiante de prendre des décisions collectives, y compris celle de faire la grève. Elle menace les organisations étudiantes de fortes amendes qui menacent leur survie si la collectivité étudiante prend les moyens de faire respecter ses décisions collectives. Elle remet ainsi radicalement en question le droit de grève de la jeunesse étudiante, elle restreint le droit de manifester de l’entière population du Québec.
La loi 78 est coup de force du gouvernement libéral et de l’oligarchie régnante contre le peuple du Québec. Elle fait prévaloir l’arbitraire policier sur les droits collectifs. Elle faire prévaloir l’arbitraire des directions d’établissement sur les votes majoritaires d’assemblées étudiantes. Elle interdit le piquetage. Elle interdit les manifestations à proximité des établissements.
Charest méprise la possibilité de la résistance populaire
Comptant sur sa loi répressive, sur un appareil judiciaire à son service, sur des corps de policiers prêts à attaquer et frapper les secteurs mobilisés de la jeunesse, sans état d’âme, d’opérer des arrestations massives plus arbitraires les unes que les autres, le gouvernement Charest pensait qu’il pourrait démobiliser, désorganiser la résistance de la jeunesse et d’une partie importante des citoyenNEs. Leur indécrottable mépris de la résistance et du courage de la jeunesse scolarisée devait encore une fois montrer l’ampleur de leur cécité. Ce gouvernement n’avait pas compris la mobilisation du 22 mars qui avait regroupé plus de 250 000 personnes reflétait la force du mécontentement. Il n’a pas compris le sens de la mobilisation du 22 avril, où le ras-le-bol face à ce gouvernement avait pris un tour très explicite. Le message de la rue porté par des centaines de milliers de personnes encore une fois était pourtant clair : Charest dégage ! . On ne veut plus rien savoir de ton régime corrompu ! On ne veut plus rien savoir d’un gouvernement au service des affairistes et prêt à vendre le Québec pour une bouchée de pain. On ne veut plus rien savoir d’affairistes qui se moquent de l’environnement et qui est prêt à faire du Québec un champ ouvert aux exploiteurs des gaz de schistes. On ne veut rien savoir de la violence et de la répression contre la jeunesse du Québec. Ce gouvernement restera sourd et aveugle également à la manifestation du 22 mai qui est à la hauteur des deux précédentes et qui portait essentiellement le même message.
Quelques jours après l’adoption de cette loi inique, les médias du pouvoir ont tenté de justifier la surdité du pouvoir en tentant d’identifier un mouvement massif et pacifiste à la violence de casseurs. Les citoyens et citoyennes du Québec ont compris rapidement que les forces policières se comportaient comme le bras armé du pouvoir qui cherche à faire respecter les droits d’une minorité possédante incapable de défendre ses orientations concernant l’université sur le terrain du débat et des échanges.
Le mouvement des casseroles, une aspiration à une autre démocratie...
Le refus de mépris, le refus de l’arrogance, le refus de la répression et de la violence, le refus de négation de droits démocratiques élémentaires, c’est de la combinaison de ces refus qu’est né le mouvement démocratique des Casseroles. Il marque le refus de la peur, le refus de la répression et le rejet de l’utilisation abusive du droit.
C’est un cri. Il manifeste la volonté que le gouvernement Charest écoute, qu’il entende, qu’il en finisse avec son intransigeance... Dans l’expérience même de son développement, c’est l’affirmation d’un rejet, mais c’est également l’affirmation d’une aspiration à ne pas se laisser imposer par la classe dominante des lois et des décisions qui ne servent que les puissants.
C’est aussi, dans sa nature jubilatoire, la joie de dépasser l’isolement, d’agir collectivement, de sentir la force de l’action collective si ample, que les puissants en sont inquiétés et les forces de répression en sont, elles-mêmes désarçonnées. Ce mouvement constitue le dépassement de la passivité que veut lui imposer les institutions de la démocratie restreinte qui cherche à l’imiter le pouvoir citoyen au seul choix de ses dirigeants à tous les quatre ou cinq ans. C’est pourquoi chasser Charest ne saurait être l’objectif prioritaire.
L’ampleur de la mobilisation actuelle appelle des initiatives et des propositions dans la transformation de la démocratie citoyenne et le dépassement de la démocratie restreinte
La concentration des pouvoirs dans les mains du premier ministre est intolérable. Il s’est moqué impunément ces dernières années de la volonté populaire de mettre sur pied une commission d’enquête sur la corruption, et de la volonté populaire d’une négociation réelle avec le mouvement étudiant sur les frais de scolarité. Le mouvement citoyen veut des réponses capables de satisfaire ses aspirations de pouvoir dire ses choix sur les décisions politiques majeures et d’être écouté. Il faut s’opposer aux formes de démocratie restreinte qui permettent à l’oligarchie d’imposer ses décisions. Toute une série de propositions peut concrétiser cette aspiration ;
introduire un mode de scrutin mixte faisant une place à la proportionnelle
marginaliser le pouvoir de l’argent en instituant un mode de financement des partis politiques qui ne permettra pas aux plus riches d’imposer leurs choix et en plafonnant les dépenses électorales :
– limiter l’impact du contrôle des médias sur l’échéance électorale en uniformisant le temps d’accès aux médias sans égard à l’argent dont dispose un-e candidatE.
– introduire la parité de genre parmi les candidatEs
– lutter contre la marginalisation des secteurs de personnes issues de minorités culturelles et des catégories sociales populaires
Et il ne faut pas seulement modifier le cadre électoral, il est également nécessaire de changer radicalement les rapports entre les éluEs et leurs représentantEs en :
– instaurant des mécanismes de contrôles des éluEs par leur électorat sur les mandats par la tenue d’assemblées régulières des députéEs avec les personnes représentées
– instaurer un mécanisme de rappel des éluEs par l’électoral
– interdire les passages des responsabilités politiques vers des postes dans le secteur privé
– réduire la rémunération de la députation et des responsables politiques au niveau du salaire médian pour empêcher que leurs conditions d’existence soient identiques à celles des élites
– introduire la possibilité de référendums d’initiative populaire non simplement pour présenter des pétitions, mais également pour faire adopter une loi
– révoquer une loi injuste (on pense ici à la loi 78) ou révoquer un élu, un fonctionnaire ou un magistrat pour un motif sérieux.
Les citoyennes et citoyens du Québec ont commencé à organiser des actions dans leur quartier, dans leur ville. Ils ont fait l’expérience de leur capacité de briser leur isolement et de devenir une force agissante. Il faut poursuivre dans ce sens. Il ne faut pas hésiter d’ajouter aux marches, la création de lieux de débats sur la démocratie et sur la société que nous voulons construire... Car sans organisations agissantes des couches populaires du salariat, la minorité possédante peut compte sur l’État et ses appareils pour nous imposer leurs choix. Une démocratie citoyenne nécessite une toute autre logique et un tout autre niveau d’organisation de la population.