Texte reçu le 17 mars
Vous êtes sans doute au courant que le 31 mai prochain, il sera interdit de fumer dans tous les lieux publics du Québec où ce n’était pas déjà interdit de fumer (c’est-à-dire les restaurants et bars principalement). De plus, il sera interdit de fumer à moins de 5 mètres de la porte de divers établissements publics (écoles, hôpitaux, etc.) La mesure adoptée par le gouvernement du Québec fut généralement bien accueillie et n’a pas soulevé de tollés de réprobations ou de critiques acerbes. Le ministre de la santé, Philippe Couillard, est inflexible sur la question et personne ne semble capable de lui opposer une campagne bien menée pour le faire changer d’idée.
Récemment, lors de l’émission Tout le monde en parle du 26 février, une représentante de l’organisme Mon choix, largement financé par les compagnies de tabac, a pu exprimer son désaccord avec cette politique sur les ondes de Radio-Canada. Ce fut sans doute là un des meilleurs moments pour les opposants à cette loi en termes de visibilité et de crédibilité, car la représentante a su bien exprimer son propos et soulevé certaines contradictions dans la loi.
Où est-ce que je veux en venir avec tout cela ? C’est que je me demande si comme personne de gauche, il est possible d’être contre certains éléments de cette loi et ainsi, se retrouver du même côté que les compagnies de tabac ou les propriétaires de bars, une perspective plutôt sombre à première vue. Même s’il est difficile d’entrer sereinement et sans émotion dans ce débat, tentons d’analyser les enjeux froidement et de voir les arguments des deux côtés. Je ne m’attarderai pas à la question des restaurants, car elle me semble moins importante. Concentrons-nous sur l’interdiction dans les bars.
Les premiers arguments qui nous viennent en tête sont normalement ceux associés à la gauche : la santé publique et les conditions de travail des travailleurs des bars. Ainsi, pour la santé publique, il est évident que cette loi ne peut qu’avoir des effets positifs sur les taux des diverses maladies associées au tabagisme (cancer, emphysème, etc). Dans le même sens, les travailleurs des bars et restaurants pourront exercer leur métier, sans craindre pour autant pour leur santé et leurs vieux jours. Qui est contre la vertu ? Pas moi. Cependant, nous verrons plus loin que de tendre vers l’amélioration de la santé publique a des limites dans les milieux de travail.
Au plan économique, nous pouvons rejeter rapidement les arguments provenant des deux côtés. D’une part, nous ne pouvons réellement être attentifs aux propriétaires de bars et tavernes qui craignent pour leur industrie, car les présomptions de leurs arguments sont douteuses (pertes économiques et d’emplois) et elles n’ont pas réellement été confirmés par les diverses études portant sur les villes et États ayant des législations semblables. De plus, l’argent perdu dans les bars serait sûrement réinvesti ailleurs, pas trop d’inquiétude là-dessus. D’autre part, il a été démontré que les fumeurs paient leur large part de taxes sur les cigarettes, ce qui rapporte même plus au gouvernement que les coûts des soins de santé relatifs aux maladies liées au tabagisme. Ils ne peuvent donc pas être accusés de ne pas payer pour les conséquences de leurs actes.
De manière générale, cette loi s’inscrit dans un mouvement et une tendance de quasi « répression » envers les fumeurs. Je m’inscris en faux contre cette tendance, tout comme je le serais pour d’autres tendances punitives et stigmatisantes envers certains groupes de notre société. Ai-je des arguments à faire valoir de mon côté ? Oui, celui de la tolérance et de l’acceptation sociale, qui sont aussi normalement associés à la gauche. Celui de la liberté de choix et d’entreprise ? Non, pas vraiment, mais j’aimerais bien voir les gouvernements agir avec autant de convictions contre ces deux libertés dans le cas des entreprises polluantes et de la malbouffe. Néanmoins, ne dévions pas du sujet.
Comme personne de gauche, j’ai tendance à faire preuve de tolérance face à la prostitution et à approuver une forme de légalisation du statut de ces travailleuses dans le but de les protéger le plus possible (autant des agressions des clients que de leur propre patron). Dans la même optique, j’appuie la décriminalisation de la marijuana, car je considère futile et répressif qu’un simple fumeur de drogue douce ait un casier criminel s’il est arrêter par la police. D’ailleurs, si un jour nous allons aussi loin que les Pays-Bas sur cette question, j’espère nous créerons à notre tour des coffee shops où il serait possible de fumer tranquillement, sans indisposer ceux qui nous entourent.
Toujours dans cette logique, j’appuie la création de piqueries normalisées pour que les héroïnomanes puissent se piquer sans risques pour leur santé. Ces diverses mesures sont basées sur le sentiment que les gens ne sont pas parfaits, qu’il faut les accepter ainsi et agir dans l’optique de diminuer les risques potentiels pour leur santé et leur vie future.
Il y a aussi l’argument de la cohérence. L’alcool est un produit néfaste ayant des effets négatifs sur la santé des gens. Pourtant, on tolère l’existence de lieux de consommation, les bars, et même dans certains cas de concours visant la consommation d’alcool. Vous me direz : oui mais l’alcool n’a pas d’effets négatifs sur les autres comme la fumée secondaire. En êtes-vous bien certains ? Avez-vous déjà rencontrés des gars saouls qui veulent se battre avec un peu près n’importe qui à la sortie des bars ? Avez-vous parlé avec les voisins de bars bruyants ? Est-ce que je veux fermer les bars ? Bien sûr que non, je ne fais que souligner l’incohérence.
Toujours en termes de cohérence et d’incohérence, la loi permettra aux clubs de cigares de conserver leurs droits acquis et d’ainsi, rester ouverts. Pourquoi cela n’est pas permis pour les cigarettes ? Les travailleurs de ces endroits demeureront exposés à la fumée secondaire, pourtant on tolère le fait qu’ils devront continuer de travailler dans ces conditions. Drôle de logique.
La fumée secondaire de la cigarette maintenant. Cela revient constamment dans les débats. Existe-t-il d’autres produits avec des effets secondaires aussi néfastes pour la santé publique ? Un produit consommé par une personne et qui a des répercussions négatives sur les autres ? Oui, il y en a tout plein. Prenons tout d’abord les gaz produits par nos amis, les voitures. Moi, je ne conduis pas de voitures, j’utilise le transport en commun. Pourtant, je dois endurer à chaque jour la pollution de ceux qui aiment mieux voyager dans leur voiture. Et ici, on ne parle même pas des motoneiges et autres véhicules drôlement polluants (lire les véhicules sports utilitaires ou même les jets privés !!!). En raison de tous ces gaz à effet de serre produits, nous devons tous vivre avec les conséquences du réchauffement de la planète, conséquences qui sont directes et indirectes sur notre santé.
Autre exemple : les gens qui ne recyclent pas et qui consomment énormément de produits jetables. En plus d’augmenter la quantité de produits à éliminer et indirectement la pollution atmosphérique, ils contribuent eux aussi à l’effet de serre par l’énergie dépensée et surtout, gaspillée. En somme, la liste est longue. Plusieurs de nos comportement individuels ont des conséquences sur les autres. Cela s’appelle la vie en société, les fumeurs n’ont pas nécessairement une responsabilité sociale plus grande que les autres. Au sujet des exemples soulevés, même si les mesures législatives à employer seraient différentes pour diminuer ces comportements individuels ayant des effets secondaires néfastes pour la santé publique, je pense que vous conviendrez aisément que les gouvernements ne sont pas aussi agressifs et vindicateurs envers ces groupes de la société.
Par ailleurs, si nous nous attardons uniquement aux conditions de travail des employés de bars, l’argument le plus souvent invoqué, la logique de la loi a des limites : plusieurs personnes vivent dans des milieux de travail comportant des risques et ces milieux ne sont pas interdits pour autant. Ainsi, les ouvriers de la construction ou d’une usine manipulant des produits chimiques sont exposés à des risques beaucoup plus grands que moi, derrière mon ordinateur. Lorsqu’ils ont un accident de travail et qu’ils coûtent chers à notre société en soins de santé et en remboursement par la CSST, je trouve ça tout à fait normal et logique et je ne m’en plains pas.
Lorsqu’un peintre développe une tendinite à force de toujours faire le même mouvement et qu’il devient inapte au travail, on le dédommage et on n’empêche pas les gens de se payer des peintres pour décorer leur maison. Les gens qui travaillent dans les urgences, avec des personnes violentes ou atteintes de maladies contagieuses, le font dans des conditions balisées, mais où ils s’exposent néanmoins à des risques évidents. Il est impossible d’éliminer complètement les risques et effets néfastes de tous les milieux de travail, c’est pourquoi nous nous sommes dotés d’outils collectifs de compensation pour permettre à ceux qui ont été malchanceux dans leur milieu de travail d’être justement compensés et d’avoir accès au système de santé universel.
Autre élément fort douteux, cette loi appelle les gens à dénoncer les délinquants sur les lieux de travail grâce à un numéro sans frais. Des inspecteurs du gouvernement viendront ensuite punir les contrevenants dénoncés. N’est-on pas en train de devenir un peu trop répressif ? Le gouvernement est-il en train de vouloir introduire une culture de dénonciation dans notre société ? Nous ne sommes pas sans savoir que ce type de dénonciation tourne rapidement au règlement de comptes et à la propagation de rumeurs, surtout dans un milieu de travail. La dénonciation pour de la cigarette me semble un peu abusive.
Les vices et mauvaises habitudes sont inhérentes à nos sociétés. Peut-on les diminuer ? Sans doute. Peut-on les éliminer ? Non. Est-ce souhaitable ? Non. Personnellement, je ne peux pas dire que je souhaite vivre dans une société où les gens boivent toujours avec modération, ne fume ni de drogues douces ni de cigarettes, ne font aucune expérience le moindrement proche de l’illégalité et agissent systématiquement en fonction de la santé publique et de l’économie des coûts publics. En d’autres termes, je n’aspire pas à une société plus catholique que le pape. J’aime bien la diversité des comportements et des personnes et c’est ça, c’est une autre valeur de gauche.
Est-ce qu’une solution de permettre des bars fumeurs, tout en légiférant pour en contrôler le nombre, n’aurait pas pu permettre de concilier ses diverses considérations, tout en étant une solution relativement tolérante et même de gauche ? Tout est dans les nuances comme vous le savez et je crois que ma position est conséquente avec les valeurs de la gauche : aspirer à la santé publique, dans la diversité, dans le respect et en acceptant les travers et vices de nos sociétés.
Je ne vous ai peut-être pas convaincu. Ce n’est pas grave, je ne me battrai pas pour mon propos, car je considère qu’il y a d’autres causes plus nobles à défendre. Néanmoins, si je vous ai fait réfléchir sur les attitudes stigmatisantes dont nous faisons souvent preuve à l’égard des fumeurs, sans les prendre en pitié, et sur l’importance de la tolérance dans notre société, ce sera toujours ça de bien.