Les opposants-es aux soi disant traités de libre échange, se préoccupent beaucoup du fait qu’ils ne soulèvent pas plus d’opposition chez les Canadiens-nes, ne les alarment pas davantage. Parce que ces traités obligent toutes les autorités du pays à adopter de nouvelles lois (ou à en modifier certaines). Les législatures provinciales, le parlement fédéral, les cours et même la Cour suprême sont dans cette situation. On peut supposer qu’il en serait autrement si au lieu de tenir un discours insignifiant au sujet d’un « simple nouveau traité », on informait la population qu’un panel de trois avocats spécialisés dans le commerce international allaient réviser, en secret, toutes les lois (et règlements) adoptés par ces instances pour voir si elles sont conformes aux instructions de leurs clients corporatifs.
C’est exactement ce que ces ententes sur les droits des entreprises établissent : des règles extrajudiciaires pour protéger leurs profits face aux lois adoptées dans l’intérêt public. Des clauses prévoient que toute poursuite sera déférée à un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États [1]. Ce n’est pas un abus de langage, c’est l’état actuel des choses ; si une nouvelle loi affecte les profits anticipés par une compagnie étrangère, elle peut poursuivre le gouvernement fédéral et réclamer des compensations. La décision finale sera prise par un panel d’avocats experts en commerce international dont la tendance naturelle ira du côté des entreprises parce qu’elles sont leur clientèle habituelle. Ce ne sont pas des avocats de l’environnement, ni du travail ou des droits humains. Ce sont des avocats experts en commerce. Ce sont les renards qui gardent le poulailler !
L’ouverture à des plaintes de la part des entreprises
Il y a 20 ans, après l’adoption de l’ALÉNA, le premier traité à introduire le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, nous avons eu de multiples exemples de cette situation. Des lois, dûment adoptées par les législatures dans l’intérêt public, l’ont été en violation du traité. Elles n’étaient pas toutes du même niveau mais, toutes affrontaient l’ALÉNA et introduisaient des compensations financières à payer malgré que l’un ou l’autre de nos gouvernements ait agit pour le mieux (pour sa population).
Selon Scott Sinclair, du Centre canadien de politiques alternatives : « Le Canada a été visé par 70% de toutes les plaintes en rapport avec l’ALÉNA. Il fait face en ce moment à 8 de ces plaintes et les investisseurs étrangers lui réclament plusieurs millions de dollars. L’une de ces plaintes concerne l’interdiction de la fracturation par le Québec ».
Le Canada n’a jamais gagné face aux États-Unis. Le rythme des plaintes ne cesse d’augmenter et les décisions empirent. En 2007, la Nouvelle Écosse et le gouvernement fédéral ont rejeté une proposition pour ouvrir une très grande carrière dans un environnement sensible et prisé par les habitants du lieu. La compagnie a eut gain de cause devant le tribunal de l’ALÉNA et a réclamé 300 millions de dollars de compensation. Mais l’argumentation était encore plus vicieuse qu’habituellement. Elle a plaidé, avec succès, que la défense reposait sur « les valeurs profondes des habitants » ce qui selon ses avocats était inacceptable. Et pour achever le tableau, le tribunal s’est servi du fait qu’il y avait une « possibilité » qu’une cour fédérale renverse sa décision pour asseoir cette décision. De fait, la compagnie avait contourné les lois environnementales canadiennes et le système judiciaire du pays en s’adressant directement au mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États de l’ALÉNA.
Qu’est-ce que ce traité nous a apporté après tout ? À la fin des années quatre-vingt-dix, le Canada avait perdu des centaines de milliers d’emplois industriel bien payés à cause de l’ALÉNA. De nos jours ces chiffres sont encore plus désastreux. À l’intérieur des trois pays qui sont partis au traité et qui constituent notre plus grand marché d’exportation, le Canada a perdu des emplois avec régularité au profit du Mexique. Selon les données recueillies par Bloomberg : « En 1997, les États-Unis importaient deux fois plus de marchandises du Canada que du Mexique. L’écart était de 82 milliards de dollars. En février de cette année, il s’était réduit à tout juste 781,5 millions de dollars.
Autrement dit, si le traitement n’agit pas, renforcez-le ! Il semble que ce soit la position du gouvernement Harper. Il a signé ce genre d’entente avec la Corée du sud et avec la Chine. Il est en train d’en élaborer un à travers le projet de Traité Trans Pacifique. Il attend que l’Union européenne se décide à propos d’un de ses plus ambitieux projets, l’Accord économique et commercial global. Il en projette aussi un autre avec le Japon qui ne semble plus intéressé pour le moment.
Des pays reculent
Les traités commerciaux et d’investissements ont été conçus comme le mécanisme central de la mondialisation. Ils devaient ouvrir les frontières et rendre les États nationaux de plus en plus insignifiants et même impuissants. Mais la crise de 2008 a changé la donne. La décomposition économique est venue mettre en évidence que le « marché » à lui seul ne pouvait efficacement organiser la distribution du capital c’est-à-dire prendre des décisions économiques pour nous tous et toutes. Donc ses institutions financières globales, l’Organisation mondiale du commerce, (OMC) la Banque mondiale, et le Fond monétaire international ne sont plus à la hauteur.
La crise à mis en lumière de manière non équivoque que la mondialisation et l’idéologie néolibérale ne pouvaient tout simplement pas remplir le contrat. Pourtant personne n’est prêt à déclarer que le roi était nu. La mondialisation a échoué de manière spectaculaire mais la conjoncture la pousse toujours dans la même direction même si pour que le capitalisme puisse réussir, c’est-à-dire pour qu’il puisse croître, il a besoin de la supervision des États sur les pouvoirs financiers. L’absence de sens de responsabilité de la finance mondiale compromet les capacités des États à faire face à la crise.
On voit quand même des signes que certains États essayent de regagner des parties de leur pouvoir. Ce dont M. Harper s’est tellement vanté pour consolider sa réputation en matière d’économie, soit l’Accord économique commercial et global avec l’Union européenne commence à être attaqué par l’Allemagne et la France. Ces pays ont été les premiers à exprimer d’importantes réserves sur la clause de règlement des différends entre États et investisseurs. Ils ont été rejoints par l’Autriche, la Hongrie, la Hollande où le parlement a adopté une résolution condamnant le traité et par le gouvernement de gauche grec. Le gouvernement Harper a insisté pour dire que, sans la signature du traité, il n’y a plus d’entente. Nous ne pouvons que l’espérer car ce traité donnerait un énorme pouvoir à l’industrie pétrolière et gazière ; elle pourrait s’objecter aux régulations la concernant. Le coût des médicaments pourrait augmenter de 2 milliards de dollars par année et empêcher le gouvernement de choisir des fournisseurs locaux.
Il se peut aussi que le TPP soit en danger aux États-Unis. Il a été mis sur la « voie rapide » à la Chambre des représentants et au Sénat. Cela veut dire qu’il doit être adopté ou rejeté en bloc, sans qu’aucun amendement ne soit possible. Sans cette procédure on pouvait s’attendre à des centaines d’amendements qui l’auraient pour ainsi dire complètement dénaturé. Le Sénat l’a adopté. On attend le vote de la Chambre qui s’annonce si serré qu’on ne peut rien prédire.
Le poison de M. Harper
On observe le début de certaines remises en question du consensus envers le rôle du marché dans les pays avancés et certains retours de pouvoir des États. Mais aucun pays ne semble aussi déterminé à jeter aux orties le pouvoir de son gouvernement que le nôtre. Contrairement à l’Australie, dont le gouvernement travailliste précédent a déclaré qu’il n’adopterait jamais un traité qui comporte le mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, le Canada affirme qu’il n’en signerait aucun qui n’en contienne pas un. En prenant en compte les énormes pertes dans le passé et les défis qui s’imposeront dans le futur avec l’ALÉNA, il semble bien que les intentions du gouvernement Harper soient d’affaiblir le pouvoir de l’État. Si le Canada perd constamment face aux États-Unis dans le cadre de l’ALÉNA, c’est que cet État est un empire ce que le Canada n’est pas. Exiger la clause sur le règlement des différends entre les États et les investisseurs dans le traité avec l’Union européenne c’est augmenter les défis face à des États plus puissants que le Canada, qui investiront ici plus que le Canada ne le fera chez-eux.
Cette situation se répète dans l’entente déjà ratifiée avec la Chine, l’Accord sur la promotion et la protection des investissements entre la Chine et le Canada, (APIE). Cet accord est encore plus déséquilibré que les autres sous bien des aspects. Cela va rendre encore plus difficile pour les gouvernements à venir de réguler les investissements du pays qui va bientôt devenir l’économie la plus puissante de la planète. Contrairement à l’ALÉNA dont on peut sortir avec un avis de 6 mois, l’APIE est installé pour les prochains 31 ans donc il lie les gouvernements qui sortiront des 7 prochaines élections. La Chine sera dans une position très avantageuse parce que l’accord est fixé dans les limites existant en ce moment et que les « règles » chinoises sont si arbitraires qu’il sera extrêmement difficile pour les entreprises canadiennes de s’y retrouver et éventuellement de les contester avec succès.
Selon l’expert en règles commerciales, Gus Van Harten, compte tenu de l’ampleur de la taille des deux économies, l’APIE devient pour ainsi dire un mécanisme d’importation de capitaux puisque les investissements canadiens en Chine seront minimaux. Cela signifie que d’énormes entreprises d’État chinoises auront accès au mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs et pourront donc contester les lois sur l’environnement, sur les droits des Premières nations et du travail.
Ces clauses de protection des investissements existent déjà et ont généré de nombreuses contestations et les tribunaux intra traités ont déjà décrété des compensations allant de plus de 100 millions de dollars et plus de 2 milliards de dollars. À ce compte là, les compensations payées par le Canada dans le cadre de l’ALÉNA qui se chiffrent à peu près à 190 millions de dollars semblent insignifiantes.
Souvent les compagnies visées par une opération d’achat non désirée utilisent une stratégie de médecine empoisonnée pour rendre leurs actions moins intéressantes. Quel meilleur poison un premier ministre ultra libéral de droite peut-il inventer que de lier les mains de tout gouvernement à venir avec des accords sur les droits des entreprises.