Fort à l’aise dans un discours identitaire décomplexé, il a martelé ses clichés fétiches : trop de demandeurs d’asile et de travailleurs temporaires nuisent au bien-être de la nation, limitant explicitement l’extension de cette notion aux natifs francophones. Des étrangers, trop nombreux, menaceraient le français, la qualité des services sociaux et de santé, le système d’éducation et, en prime, seraient un facteur déterminant dans la crise du logement alors que les racines du problème viennent surtout du libéralisme économique débridé qui domine ce secteur (contracteurs, promoteurs immobiliers, courtiers et… escrocs sans foi ni loi s’en donnent à cœur joie pour engranger des profits faramineux. Au lieu de proposer des solutions aux vrais problèmes, le premier ministre s’en tient la menace des étrangers, boucs émissaires causes de tous les maux. On devrait relire Jean de la Fontaine dans Les animaux malades de la peste :
« Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait. On le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Cette entrevue pleine de sous-entendus et de généralisations a envahi les ondes comme un simple échange d’informations, sans questionnement, sans critique. Monsieur Legault avait beau jeu d’expliciter la politique de son parti sans coup férir. En réalité, il s’est prêté à une véritable opération de propagande anti-étrangers sans remise en question de sa visée réelle.
Le premier canon de la propagande consiste à construire une menace portée par des individus ou des groupes d’individus ; c’est d’ailleurs l’ABC de l’exclusion et de la xénophobie (la crainte des étrangers), de l’antisémitisme, de l’islamophobie et autres formes de discrimination. Il suffit d’attribuer des tares à un groupe donné caractérisé par des dimensions particulières différentes de la majorité dominante (statut social, condition sociale, origine ethnique, religion, langue, etc.). Dans un tel cas, rien de mieux que d’instrumentaliser la peur de ces « autres » (ceux que l’on connaît peu réellement) pour créer l’adhésion de la masse à l’idée qu’il faille agir vite pour conjurer ce mauvais sort.
La propagande repose aussi sur la manipulation des faits pour détourner l’opinion publique de ce qui pourrait nuire à la cause défendue. La propagande s’avère un outil efficace quand elle est utilisée par une personnalité publique dominante, le premier ministre ; elle est d’autant plus redoutable quand elle rejoint la masse dans un contenu d’informations sélectives diffusées au fil d’une entrevue télévisée. Au cours de cette entrevue, la répétition du propos faisait appel au subconscient de la masse ; le premier ministre s’attribuait le beau rôle de preux chevalier défenseur de la nation dans une cause noble, juste, presque sacrée, car, affirme-t-il, même le français est menacé par cette masse informe d’étrangers. En outre, il évoque l’idée d’un référendum sur l’immigration pour conforter la nation dans la lubie de la menace. Il va même jusqu’à proposer d’exiler des demandeurs d’asile dans d’autres provinces et à contrôler ce « trop-plein » d’étrangers alors que son propre gouvernement a largement contribué à la promotion du recrutement de forts contingents de travailleurs étrangers temporaires (travailleurs liés à un seul employeur par un contrat dit fermé). La stratégie gouvernementale visait à favoriser le recrutement au profit des entreprises.
À force de crier au loup en évoquant la menace des autres, il risque fort de générer un fort mouvement de xénophobie. Devant la menace appréhendée, considérant qu’une grande partie de la population y perd son latin dans les catégories et les statuts d’étrangers, il y a fort à parier qu’un tel référendum, aussi ridicule qu’il soit, indiquerait qu’il importe de diminuer le nombre d’immigrants et d’immigrantes ; devant la présentation de facteurs apparemment neutres et objectifs, on crée les conditions d’une discrimination indirecte et xénophobe fondée sur la menace d’une nuisance au bien-être de la majorité dominante.
Deux sociologues suisses, A. Akoun et P. Ansart, ont cerné la question ; la xénophobie repose sur l’hostilité dirigée « contre les personnes désignées comme étrangères, extérieures au groupe d’appartenance. Ce terme est communément utilisé pour désigner les sentiments d’hostilité répandus dans une nation à l’égard, en particulier, des étrangers immigrés, sentiments liés aux conflits économiques et aux concurrences culturelles. L’analyse de contenu de lettres reçues par les journaux suisses fait apparaître la complexité de ces attitudes. Windicsh et ses collaborateurs distinguent trois configurations idéologiques différentes : celle des « nationalistes », qui opposent l’unité de la nation aux non-nationaux, celle des « populistes », qui opposent le peuple et ses intérêts à ceux des étrangers, celle enfin des « technocrates », qui souhaitent la réduction du nombre des travailleurs immigrés pour des raisons économiques » (Akoun, A. et P. Ansart (dir.) (1999). Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, p. 567).
Il est plus que temps que le premier ministre soit soumis à un test de cohérence quant aux conséquences de ses propos, surtout lorsqu’un grand média comme Radio-Canada lui déroule le tapis rouge.
André Jacob, professeur retraité de l’École de travail social
Université du Québec à Montréal
Prix d’excellence en matière de relations interethniques et relations interraciales. (Secrétariat d’État au multiculturalisme du Canada.)
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