Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Premières Nations

Les Autochtones et la société québécoise : Combattre ensemble

Introduction au prochain numéro des Nouveaux cahiers du socialisme

Au moment de l’arrivée des colons européens en Amérique du Nord au seizième siècle, les peuples autochtones qui habitaient les territoires qui sont devenus le Canada ont vu leurs structures sociales et leurs rapports internes et externes bousculés. Dès lors s’est construite une histoire qui continue jusqu’à nos jours et qui organise une réalité coloniale se reproduisant sur les peuples qu’on appelle les Premières Nations.

Le colonialisme à l’origine

Dans les siècles subséquents, le colonialisme européen a introduit des rapports capitalistes dans des sociétés qui ne l’étaient pas. Les conflits qui existaient entre les peuples autochtones se sont envenimés dans une violente « joute » géopolitique opposant les colons aux premiers peuples et aux colons entre eux et ayant pour enjeu le contrôle des ressources. Les divers colonialismes (français, anglais, hollandais) ont chacun structuré des voies particulières pour dominer le territoire, ce qui impliquait la dépossession des Autochtones. Pour leur part, par nécessité plutôt que par vertu, les colons français établis sur le long de la vallée du Saint-Laurent et sur la côte atlantique ont fini par établir des rapports de coexistence avec les Autochtones, desquels est issue la « Grande paix » de Montréal (1701). À cette alliance qui a facilité de nombreuses interactions entre Européens et Autochtones a succédé la domination continentale de l’Empire britannique (1759), dont l’objectif était de « sécuriser » le territoire au moment où l’Angleterre devenait le pivot du capitalisme mondial.

L’Empire et la création de l’État canadien

Globalement, les Autochtones étaient un obstacle qu’il fallait « éliminer » d’une manière ou d’une autre. Après avoir vaincu la rébellion républicaine de 1837-38 au « Bas-Canada », l’Empire a entrepris une réorganisation qui a mené à la mise en place d’un État semi-indépendant en 1867, incorporant aux élites anglo-canadiennes une partie des notables canadiens-français de l’époque. Parallèlement via de nouvelles législations (dont la « Loi sur les Indiens de 1876) et de vastes entreprises coercitives, le dispositif du pouvoir a dans une large mesure cassé les communautés autochtones, notamment en écrasant les revendications démocratiques des Métis de l’ouest, puis en établissant une structure d’apartheid à la fois politique, social et économique. Par la suite pendant de nombreuses décennies, les Autochtones du Canada et du Québec sont devenus dans une large mesure des « peuples invisibles » selon l’expression de Richard Desjardins.

Ruptures et continuités dans la « modernité »

Cent quarante et un ans plus tard, ces politiques qui prévalent toujours expliquent la misère et l’exclusion de la majorité des Autochtones, tout en restant assises sur une gouvernance coloniale à peine modernisée qui a de plus comme fonction d’approfondir les divisions parmi les peuples. Pour l’État canadien, il y a les « bons sauvages » et les « mauvais sauvages ». Les « bons » acceptent d’être subalternes tandis que les autres ont l’audace de refuser l’inéluctable ». À partir des années 1970 cependant, un nouveau cycle de résistances autochtones a changé la donne. Devant une lutte opiniâtre et profitant d’un contexte international favorable, les Cris de la Baie-James ont forcé le gouvernement du Québec et Hydro-Québec (1975) à concéder des redevances et une partie du contrôle des institutions les gouvernant, qu’ils ont cependant payés très cher en cédant leurs droits sur les territoires. Par après, un nouveau leadership autochtone a pris forme d’un bout à l’autre du Canada sous l’égide de l’Assemblée des Premières nations (1982).

D’une manière quelque peu imprévisible, la spectaculaire opposition des Mohawks Kanesatake aux projets immobiliers de la municipalité d’Oka (1990) a marqué une nouvelle étape. Dans le sillon de cette confrontation, une Commission royale d’enquête a été mise en place par le gouvernement fédéral, ce qui a permis de tracer un diagnostic assez exhaustif de la situation, mais déboucher sur des propositions concrètes qui l’auraient réellement modifié, et en excluant de vastes secteurs de l’autochtonie, notamment les Métis. Selon la chercheure Dalie Giroux, l’incapacité de l’État canadien de se départir de l’approche coloniale vient en partie du fait qu’il n’y a pas de compatibilité entre la perspective capitaliste qui prévaut dans l’élite canadienne d’une part, et les conceptions autochtones d’État, de nation, de territoire d’autre part. Selon l’anthropologue Déné Glen Coultard, une décolonisation en profondeur ne peut qu’être anticapitaliste.

Les nouveaux sentiers de la résistance autochtone

Entre-temps, des études se multiplient sur les injustices énormes subies par la grande majorité des communautés autochtones, lesquelles provoquent des dislocations sociales à répétition. C’est sans compter la violence systémique provenant des forces de l’« ordre » et la microgestion coloniale qu’Ottawa continue d’exercer sur les conseils de bandes à travers divers mécanismes institutionnels et financiers. Sur le plan économique, les enjeux deviennent beaucoup plus importants alors que les riches ressources minérales, pétrolières et gazières localisées sur les territoires autochtones, notamment dans le Grand Nord et l’ouest, sont convoitées par l’élite économique et politique canadienne, bien consciente du fait que le capitalisme canadien doit pour se garder en santé devenir encore davantage extractiviste. C’est devant cela que se lèvent de nouvelles générations autochtones qui utilisent une panoplie de tactiques à la fois traditionnelles et nouvelles. Des luttes surgissent un peu partout contre les projets pétroliers et pour les droits des femmes. Des formes organisationnelles inédites comme Idle No More visibilisent les revendications autochtones et créent des passerelles avec d’autres mouvements populaires québécois et canadiens, tout en contestant des structures autochtones souvent instrumentalisées par l’État.

Les mouvements autochtones innovent également sur le plan méthodologique, à travers l’utilisation des médias sociaux et dans l’abordage de thèmes traditionnellement mis de côté (l’homosexualité, la marginalité des personnes handicapées, etc.). Dans ce paysage contrasté se trouve la réalité d’une autochtonie urbaine où l’identité des Premières Nations prend un autre visage, du fait de la cohabitation et de l’insertion des Autochtones dans des établissements scolaires.

Une identité en reconstruction

Toute cette accumulation débouche sur un vaste débat de société, qu’on pourrait appeler une grande « bataille des idées » et qui traverse une grande partie des peuples qui habitent le territoire. La récente Commission de vérité et réconciliation, qui a documenté le drame des pensionnats où ont été enfermés et violentés des milliers d’enfants autochtones, a permis l’expression d’une détresse profonde en même temps qu’un refus de mettre ces « histoires » au compte d’un passé révolu. Malgré l’ambiguïté d’un processus qui moralise l’idée de la « réconciliation » au lieu de l’inscrire dans un projet de décolonisation, les audiences de la Commission ont permis à plusieurs autochtones de reconstruire leur identité.

Un nouveau « sujet » autochtone, à la fois meurtri et victime, à la fois revendicateur et capable d’affirmation, est en train de se construire. Celle-ci par ailleurs est amplifiée par le développement d’un mouvement autochtone à l’échelle internationale, notamment en États-Unis et au Mexique, ce qui est illustré par l’évolution non seulement de mouvements localisés, mais de réseaux internationalisés qui compliquent beaucoup la vie des « développeurs » capitalistes.

Lutter ensemble

Sous le capitalisme mondialisé, le colonialisme et l’impérialisme a maintenu le cap sur son objectif « fondamental » d’asservissement. Sous l’État canadien, l’anéantissement a été opérationnalisé par l’assimilation et la destruction de l’identité, de la langue, de l’imaginaire autochtone, couplées à la destruction de l’économie autochtone, l’accaparement des terres et la clochardisation des populations dans le système d’apartheid mis en place depuis la Confédération (la « Loi sur les Indiens »).

Certes, ce dispositif s’est mis en place par un puissant travail culturel, au départ relayé par les Églises, et plus récemment restructuré autour d’un racisme « moderne », qui essentialise et méprise les communautés autochtones qu’on accuse de « profiter » d’un système qui gère la misère. Ce « nouveau » racisme divise et affaiblit les luttes et revendications, que ce soit du côté autochtone ou du côté québécois et canadien.

Au Québec une difficulté supplémentaire existe dans le sillon des revendications nationales du peuple québécois, que l’État canadien combat sans relâche. Après plusieurs années d’hésitations, plusieurs organisations dont Québec solidaire ont conclu que la souveraineté des peuples n’était pas négociable et que la lutte autochtone ne pouvait être réduite à l’amélioration des services sociaux. Il faudrait aujourd’hui être extrêmement naïf pour penser que la conquête de droits nationaux puisse se faire séparément, tant du côté québécois que du côté autochtone, sachant que l’État canadien où se croisent les intérêts des diverses factions dominantes n’hésitera pas d’utiliser aucun moyen pour maintenir l’efficace système de « divise and rule » que lui a légué le colonialisme britannique.

Construire des passerelles

Une véritable lutte commune doit donc reposer sur un dialogue de peuple à peuple, où chacun reconnaît la légitimité de l’autre à s’exprimer avec sa propre identité, ses propres valeurs et ses propres objectifs. D’autre part, cette convergence potentielle doit également être soucieuse d’éviter les explications faciles et un peu mythiques, comme s’il y avait des peuples (y compris les peuples autochtones) « purs », dénués de contradictions, de défaillances, de défis. Comme tous les peuples, les Autochtones connaissent leurs fractures internes, de classe, de genre, de générations. Un petit groupe, promu par l’État canadien et les élites globalisées, se fait le promoteur d’un « capitalisme autochtone » (comme d’ailleurs d’un capitalisme « vert »), qui reste dans une large mesure illusoire, mais dont les effets politiques ne sont pas négligeables dans des communautés où traditionnellement les hiérarchies sociales étaient moindres.

S’entêter

On peut s’encourager du fait que des dizaines de milliers de Québécoi-ses (y compris dans les écoles) ont maintenant entendu parler des revendications des Atikamekws du centre du Québec, des Innus de la Côte-Nord, des Algonquins de l’Abitibi, des Cris de la Baie-James et des Inuits. Il faut souligner que, pour lutter ensemble, la construction de véritables liens de solidarité (qui vont au-delà de déclarations vagues) prend du temps et implique des dialogues prolongés entre les nations concernées, ce qui exige rigueur, patience et respect, également des efforts supplémentaires pour aborder la question d’une façon non superficielle, formaliste. La « Grande Tortue » (l’Amérique du Nord dans la cosmologie autochtone) doit être « reconnue » par tous ceux et celles qui l’habitent, non pas comme une « ressource » à exploiter, mais comme le lieu d’un tissu dense et interdépendant de formes de vie et de non-vie. Ainsi les peuples pourront retrouver le chemin vers une paix durable, qui risque d’être long et ardu.

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