Édition du 11 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Les 10 ans de Québec Solidaire

2006 : vous vous souvenez, cela ne paraît-il pas déjà si loin ? Et pourtant quel enthousiasme nous avait emportés lorsque nous avions décidé ensemble de fonder ce nouveau parti de gauche et de partir à l’assaut de la scène politique québécoise. 10 ans plus tard qu’en est-il ? Est-il possible d’en faire un premier bilan ?

On peut tenter de faire le bilan des 10 ans d’âge de Québec solidaire, de 2 manières différentes. Soit, on se place de l’extérieur et, comme un bon observateur de la scène politique québécoise, on compte de loin les bons points (par exemple les 3 députés qu’il a fait élire) et les moins bons (les seulement 10% d’appui au niveau des sondages qu’il n’arrive guère à dépasser). En se désolant au passage qu’un parti aux si nobles idéaux reste à ce point à la marge et doive se confronter comme il le fait, à des logiques systémiques contre lesquelles il n’y aurait pas grand chose à faire : le contexte nord-américain, le confort et l’indifférence, le scrutin uninominal à un tour, etc.

Soit, on se place de l’intérieur et on tente, depuis un point de vue militant aspirant à "ouvrir les possibles", de saisir quels sont les défis auxquels depuis dix ans se heurte un tel parti ainsi que les moyens qu’il a pris ou non pour les affronter. Dans ce court texte, c’est la deuxième manière que nous tenterons d’explorer ; façon de souhaiter le meilleur anniversaire du monde à QS.

On ne le dira jamais assez : QS ne ressemble à aucun parti existant au Québec et sa fondation en 2006 –issue de la fusion de l’UFP et d’Option citoyenne— n’a pas manqué de soulever à gauche de grands espoirs. Il faut dire qu’avec ses volontés initiales d’être tout à la fois soucieux de la question sociale, altermondialiste, féministe, indépendantiste et écologique, ce parti visait haut et voulait, en pleine montée du néolibéralisme, occuper « à gauche » la scène politique québécoise, en cherchant à court-circuiter tant les tendances conciliatrices du PQ que les volontés conservatrices de la droite néolibérale et populiste en pleine ascension (ADQ puis CAQ).

De bon augure

Et on peut dire que ses premiers pas ont plutôt été de bon augure, évitant en cela les 2 principales dérives dans lesquelles ont été emportées ailleurs bien des tendances de la gauche traditionnelle : d’un côté le discours dogmatique, propagandiste et a priori marginalisé, et de l’autre l’"adaptationnisme institutionnel" conduisant à des choix politiques de plus en plus centristes et consensuels.

C’est ainsi que Québec solidaire a gardé le cap et a été capable de combiner vaille que vaille ce que d’autres eurent tendance à séparer, en réunissant en son sein, grâce à des pratiques tolérantes et démocratiques, le vaste arc-en-ciel des sensibilités de la gauche plurielle, en en faisant une force électorale certes encore petite, mais non négligeable. C’est aussi ainsi que Québec solidaire a pu développer un programme relativement riche sur une foule de questions concrètes touchant au devenir du Québec : par exemple Pharma Québec, l’option du tournant vert et des transports collectifs, la constituante, etc.

Et c’est sans doute ce qui explique qu’en dix ans QS ait pu se muer en une force politique capable de se faire entendre et respecter. Ce n’est pas rien... lorsqu’on sait que, suite à l’importance de la question nationale, la gauche au Québec a eu toujours des difficultés à devenir une force politique autonome et d’envergure.

Un point tournant ?

Il reste que ces indéniables acquis ne doivent pas faire oublier ce qui au fil du temps est devenu de plus en plus crucial : sa difficulté à s’insérer dans les couches profondes de la société québécoise et à devenir une alternative politique réelle pour de larges couches de la population québécoise, ainsi par exemple qu’avait pu le faire le PQ dans les années 70. A tel point qu’en ce début 2016, ce ne serait pas trop dire que d’affirmer que QS se trouve à un point tournant de son existence.

On le sait c’est un des grands défis de la gauche contemporaine : celui non seulement de se constituer en une force rassembleuse capable de réunir sur la scène électorale suffisamment de voix pour constituer une force parlementaire digne de ce nom, mais aussi et surtout de rompre –ne serait-ce que progressivement— avec le consensus néolibéral et productiviste actuel. Aujourd’hui, il n’y a rien de plus difficile que de maintenir "cette volonté de rupture" tant les rapports de force sociopolitiques avec les tenants de la droite sont défavorables. Et pourtant il n’y a pas de gauche sans cette volonté là.

En ce sens le grand danger qui guette aujourd’hui la gauche, lorsqu’elle parvient à acquérir un peu de légitimité et à accéder à une certaine reconnaissance institutionnelle, c’est d’être inexorablement poussée vers le centre, voire même vers des politiques ou des décisions clairement cataloguées à droite. Qu’on songe au parti socialiste britannique de Tony Blair ou français de François Hollande, ou encore –sous une forme plus pathétique encore— aux déboires récents en Grèce de Syriza : chaque fois, les programmes et interventions de ces partis –dans l’espoir de plaire à un électorat volatil, ou encore d’accéder et se perpétuer au pouvoir gouvernemental— se sont adaptés au consensus néolibéral en vigueur et se sont « social-libéralisés », diluant chaque fois plus leurs aspirations à un véritable changement social et écologique.

Les défis de QS

C’est là sans doute un des grands défis de QS : ne pas se décourager –en ces temps de néolibéralisme conquérant— devant l’ampleur de la tâche, en finissant par opter pour une voie apparemment plus attrayante et rapide : celle de prendre des raccourcis, en privilégiant la seule scène électorale et en modérant son discours de manière à le rendre plus consensuel ou « audible », médiatiquement parlant.

Le projet initial de QS est beaucoup plus ambitieux et exige bien plus que cela. Il exige de s’insérer en profondeur dans la société et ne faire qu’un avec ses forces vives, en particulier avec les mouvements sociaux qui ne cessent de la transformer et de la faire avancer.

Il exige aussi —en la réactualisant pourtant de part en part— de comprendre toute l’importance stratégique de la question nationale au Québec, question qui depuis 40 ans n’a cessé d’être la clef (le sésame) permettant la mobilisation large et citoyenne de tout un peuple.

Il exige enfin de penser la constitution et le renforcement au Québec d’un vaste camp alternatif –celui de la société civile d’en bas— qui à chaque fois que cela est possible, soit capable de rompre dans les faits avec les logiques néolibérales. En élargissant les espaces démocratiques encore disponibles, en regagnant du pouvoir sur se propres conditions de vie et d’existence, en somme en reconstruisant depuis le bas les prémisses d’une authentique souveraineté populaire.

Le projet initial de QS exige donc une vision sur le long terme, un véritable art de la stratégie touchant à la société toute entière (et pas seulement à la scène électorale). Il exige ainsi d’avoir la vue qui porte au loin et de savoir qu’on s’engage –à cause même de la grandeur des idéaux qu’on cherche à faire exister— pour une lutte de longue haleine.

Et n’est-ce pas d’abord cela, qu’il faut en ces temps d’anniversaire oser commémorer ?

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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