À court terme, Trump, à moins d’un an de l’élection présidentielle, tente de détourner l’attention du monstrueux chaos qui ne fait que commencer dans ce pays. Selon l’étude de l’Imperial College (Londres), la situation pourrait s’aggraver au point où 80% de la population pourrait être contaminée, ce qui se traduirait par plus d’un million de morts. Pendant ce temps, l’espoir de Trump est que l’expression du « virus chinois » va être intériorisée par une partie de la population, comme si la pandémie actuelle était la faute de la Chine !
Mais la question n’est pas seulement liée à l’échéance électorale. Depuis une quinzaine d’années, les stratèges de la Maison-Blanche et du Pentagone pensent à un grand virage de la politique extérieure des États-Unis, dans la perspective de ce qu’ils voient comme la « menace chinoise ». A l’époque d’Obama, on avait même annoncé un redéploiement des forces militaires américaines vers l’Asie-Pacifique, ce qui voulait dire, par la bande, un retrait partiel de régions pourtant « chaudes » comme le Moyen-Orient. Les think-tank conservateurs qui pullulent à Washington prévoient que le conflit « principal » et inévitable sera entre la puissance montante et la puissance déclinante, bien qu’en apparence, on a de la misère à imaginer une guerre entre les deux pays.
En substance et non en apparence, la féroce compétition ne cesse de s’accroître. La Chine est maintenant une superpuissance, certes encore bien loin des États-Unis, mais en croissance, tant dans ses capacités techniques et militaires que sur le plan économique. Même en Amérique latine, traditionnelle chasse gardée américaine, la Chine est devenue le principal partenaire commercial et financier, ce qui est le cas en Afrique. Avec le gigantesque projet de la nouvelle « route de la soie », la Chine cherche à consolider son emprise sur l’Asie tout en faisant une grande percée vers l’Europe. Par ailleurs, la Chine est en train d’élever sa production dans la chaîne des valeurs dans l’aérospatial, l’informatique (dont la technologie G5) et l’intelligence numérique, ce qui constitue une concurrence directe avec le complexe techno-industriel de Silicon Valley.
Dit simplement, il est probable que d’ici 10-30 ans, le centre de gravité géoéconomique se sera déplacé vers l’est. En passant, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les peuples concernés. Le capitalisme « made in China » n’est pas nécessairement moins violent, extractiviste et prédateur que celui des États-Unis.
Devant cela, les administrations américaines concluent qu’il est urgent de ralentir, voir de stopper cette avancée chinoise. Le problème, c’est que c’est plus facile à dire qu’à faire. La Chine utilise les circuits complexes de la mondialisation, joue sur ses avantages comparatifs, bref, elle sait manœuvrer. Il devient alors tentant pour les États-Unis de déplacer la confrontation de l’économique et du commercial vers le politique et le militaire. Sur le plan militaire, bien que les investissements chinois dans ses forces armées aient été massifs ces dernières années, elle ne peut compétitionner directement avec les États-Unis, tout en ayant cependant une capacité de dissuasion. Celle-ci est quand même considérable, ce qui empêche Washington d’attaquer tout bêtement.
C’est alors que s’esquisse un plan B. Si on ne peut pas confronter Beijing de front, on peut l’affaiblir, l’enliser, la draguer dans les marécages de guerres sans fin, un peu comme les États-Unis avaient réussi à le faire en piégeant l’Union soviétique en Afghanistan. Face à la Chine, la stratégie est donc de nuire à son influence en Asie-Pacifique, notamment avec des alliés traditionnels des États-Unis comme le Japon et l’Australie, qui fonctionnent de plus en plus dans l’orbite chinoise. Il faut aussi empêcher la Chine de développer des alliances à long terme avec le Vietnam, la Thaïlande, les Philippines, qui eux-aussi s’insèrent maintenant dans le périmètre influencé par la Chine. Face à ces pays, les États-Unis offrent des alliances militaires. On cherche également à l’empêcher de stabiliser sa domination sur des territoires périphériques comme Taiwan, le Tibet, le Xinxiang, où persistent des tensions entre les populations locales et le pouvoir centralisateur de Beijing. Enfin, le projet des États-Unis est d’empêcher la Chine et son allié russe de prendre trop de place au Moyen-Orient, notamment dans les conflits concernant la Syrie, l’Irak et surtout l’Iran, que Washington espère encore conduire à sa perte.
Bref, les États-Unis envisagent une « guerre de position » sur plusieurs fronts et de diverses manières.
Terminons par la formulation de Trump sur le « virus chinois ». Aujourd’hui plus qu’avant, la guerre requiert bien plus que des avions et des missiles, car elle dépend de la capacité des protagonistes de vaincre dans une énorme « bataille des idées », les symboles et les images qui circulent à grand renfort de médias sociaux. Sur cela, les États-Unis ont encore une avance avec Hollywood et les GAFA.
Concrètement, il faut diaboliser la Chine auprès de grandes masses de gens, en faire l’ennemi numéro un, la menace suprême. Le politicologue conservateur américain Samuel Huntingdon appelait cela, il y a quelques années, la « guerre des civilisations », laissant sous-entendre que les États-Unis, pivot du « monde occidental, blanc et capitaliste » ne pourrait jamais s’entendre avec des pays comme la Chine, la Russie ou l’Iran. La seule solution évoquait-il, c’est de les contenir, de les rabaisser et dans les limites du faisable, les anéantir.
Il est encore trop tôt pour prédire comment cette tendance va se matérialiser. Cela ne doit pas nous empêcher de constater le construction de l’énorme confrontation à venir.
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