12 juin 2020
Yvan Perrier
Cégep du Vieux Montréal et Université du Québec en Outaouais
Dossier :
Penser l’après-COVID-19
Nous sommes présentement en crise. Cette crise de type sociosanitaire a un impact majeur sur l’activité économique. Le taux de chômage au Québec est passé d’environ 5% à 18% en moins de deux mois. La question qui se pose, à ce moment-ci, est la suivante : quel avenir pouvons-nous envisager pour le travail salarié ? Pour les fins du présent texte, nous tenons à préciser qu’à l’ère de la mécanisation et de la robotisation, le travail peut se définir comme une intervention de quelqu’un ou de quelque chose sur quelqu’un ou sur quelque chose.
Le jeu des prédictions
Dans la foulée de la crise économique de 1982-1983 (où le taux de chômage a atteint 14% au Québec), André Gorz et Jeremy Rifkin ont envisagé l’avenir en parlant de la raréfaction de l’emploi et de la nécessité de le partager (Gorz) et même de « la fin du travail » (Rifkin).
Nous sommes d’avis qu’à court terme, nous pouvons nous attendre à un processus de « destruction créatrice » tel que conçu par l’économiste Joseph Schumpeter. Dans la foulée de la présente crise, certaines entreprises périront et d’autres, celles qui sont capables d’innovations, pourront éventuellement tirer leur épingle du jeu et croître. Les rapports de travail seront-ils transformés pour autant ? Tant et aussi longtemps que la propriété des entreprises restera de type capitaliste, nous devons nous attendre à des rapports capitalistes de travail, c’est-à-dire des rapports hiérarchiques d’exploitation et de domination. Le télétravail et la robotisation se propageront au sein d’une multitude d’entreprises, mais ne modifieront pas ces relations.
Il y aura possiblement une Commission d’enquête qui s’interrogera au sujet de ce qui a bien ou mal fonctionné durant ce Grand confinement. Cette Commission proposera diverses mesures concernant l’hygiène au travail ou des programmes de soutien du revenu aux personnes salariées, assortis de programmes d’aide financière pour les entreprises....dans notre société, il n’y a qu’une seule source de création de la richesse, et cette source réside dans le travail (salarié ou non). Il y a d’autres sources d’enrichissement personnel, mais ces sources n’ajoutent rien à l’enrichissement collectif.
Le jeu de la « vision » de société
Mais ce qui serait souhaitable c’est que le présent désordre mène à une grande réflexion et débouche sur un programme de réformes du type Rapport Beveridge et Welfare State. Soit un programme de restructuration et de réorganisation aussi important que celui mis en place à la suite de la Grande Crise des années 1930 et de la Deuxième Guerre mondiale. Un programme de développement économique, souhaitons-le, plus respectueux de l’environnement accompagné de mesures du genre « flexsécurité danoise ». Un programme menant à la diversification des propriétaires des moyens de production, dont l’amplification des coopératives et de l’économie sociale. Un programme venant aussi sérieusement corseter les acteurs financiers qui désormais ont le dessus sur l’économie réelle et donc sur le travail.
Pourquoi un tel souhait ? Parce que dans notre société, il n’y a qu’une seule source de création de la richesse, et cette source réside dans le travail (salarié ou non). Il y a d’autres sources d’enrichissement personnel, mais ces sources n’ajoutent rien à l’enrichissement collectif. Il s’agit des accroissements de richesse attribuable à la spéculation, à un transfert de revenus ou dit plus crûment, au « vol » (pour parler comme Proudhon).
Les nombreuses crises du XXe siècle ont été accompagnées de grandes souffrances et ensuite de grands moments d’enthousiasme collectif, suivi d’un retour à la normale, retour à « l’anormale » également.
Au sujet de l’avenir, il faut se rappeler qu’il sera nécessairement fait du jeu et des rapports de force qui caractériseront la dynamique relationnelle entre les grands acteurs sociaux présents dans la société. Parmi ces grands acteurs, il y a des personnes qui créent la richesse et d’autres qui accaparent cette richesse. Nous continuerons de vivre dans un monde en mouvement et en interminable changement. Or, le changement peut emprunter des voies qui restaurent des aspects du passé ou qui mettent en place des institutions progressistes. Il se peut ensuite que surgissent des remises en question qui déboucheront sur l’adoption de contre-réformes. Il ne faut donc pas s’attendre, selon nous, à la fin de la conflictualité sociale au sortir de la présente crise de la COVID-19. La conflictualité correspond à une situation relationnelle qui se structure autour d’un enjeu qui a pour effet de polariser la position des protagonistes, ce qui est le propre des êtres sociaux que nous sommes.
La conflictualité correspond à une situation relationnelle qui se structure autour d’un enjeu qui a pour effet de polariser la position des protagonistes, ce qui est le propre des êtres sociaux que nous sommes.
Auteur(e)
Yvan Perrier
Cégep du Vieux Montréal et Université du Québec en Outaouais
Yvan Perrier est professeur de science politique au Cégep du Vieux Montréal et chargé de cours à l’Université du Québec en Outaouais. Il détient un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État et la constitutionnalisation de la liberté d’association.
Un message, un commentaire ?