Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Le taux d’inoccupation de la SCHL n’est pas fiable pour le Québec : la société distincte est mal représentée par des statistiques à la Canadian

Dans Le Devoir du 28 janvier dernier, Jeanne Corriveau rapportait que le taux d’inoccupation des logements locatifs était remonté à 3,2 % sur l’île de Montréal soit au-dessus du « seuil d’équilibre » (de 3 %).

Pierre J. Hamel et Camille Noûs, INRS et Centre de recherche Léa-Roback

Tout irait donc (relativement) pour le mieux dans le « plus meilleur » pays du monde. Or il demeure objectivement très difficile de dénicher un logement à Montréal. Que se passe-t-il vraiment ? À vrai dire, le taux calculé par la SCHL n’est pas fiable. Le problème vient de la méthode de calcul du taux d’inoccupation. Cette méthode convient pourtant très bien dans les cas de Toronto ou de Vancouver (et c’est d’ailleurs pour ces milieux que le taux a été conçu et calibré).

Mais ce taux donne une image faussée, tronquée de notre réalité montréalaise. En effet, le taux d’inoccupation sur le marché locatif, tel que mesuré par la SCHL, ne tient absolument pas compte des logements à louer dans les « plex » (duplex, triplex, quadruplex). Et tout le monde sait qu’il n’y a pas beaucoup de plex à Montréal. Sans blague, le taux laisse de côté plus du tiers du parc locatif, probablement presque la moitié. On ne tient compte en fait que des logements disponibles (ou pas) dans les tours ou dans les walk-up, ces relativement petits « blocs appartements » de 12, 20 voire 30 logements, sans ascenseur (où on monte à l’étage à pied : walk-up).

Sur le site de la SCHL, on peut lire cet aveu presque candide :

MÉTHODE DE L’ENQUÊTE SUR LES LOGEMENTS LOCATIFS

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) mène l’Enquête sur les logements locatifs (ELL) […]. L’enquête porte sur un échantillon de logements […] et elle vise seulement les immeubles d’initiative privée qui comptent au moins trois logements locatifs et qui sont sur le marché depuis au moins trois mois.
L’Enquête permet d’obtenir des données sur les loyers du marché, les logements disponibles (sauf au Québec) […].

[En principe, pourrait faire partie de l’échantillon] Tout immeuble comptant au moins trois logements offerts en location, dont un ou plus n’a pas d’entrée privée au rez-de-chaussée […].

https://www03.cmhc-schl.gc.ca/hmip-pimh/fr/tablemapchart/rmsmethodology

De larges pans du marché montréalais sont ainsi laissés de côté : tous ces petits immeubles dont les propriétaires sont au rez-de-chaussée avec des locataires aux étages, tous ces logements locatifs qui ont chacun une entrée directe sur l’extérieur qui sont par définition exclus (alors que c’est pourtant tellement pratique pour l’Halloween. Pas rapport, je sais).

Mal comprendre la réalité des locataires à Montréal c’est pire que tout du fait que c’est l’une des deux seules villes nord-américaines, avec New York, où l’on compte une majorité de locataires ; partout ailleurs, les villes sont composées majoritairement de propriétaires. On peut certes repérer quelques plex un peu partout dans les plus anciennes villes du nord-est de l’Amérique du Nord (Boston, Québec, Saint-Hyacinthe, Richmond en Virginie) mais on n’en retrouve donc ni à Vancouver ni même vraiment à Toronto ; chose certaine, c’est au Québec que ce type d’immeuble a surtout prospéré jusqu’à la Deuxième Guerre (et un peu après). Ailleurs, ce sont davantage des unifamiliales détachées ou en rangée, généralement occupées par leurs propriétaires ou alors, à l’opposé presque, des blocs ou des tours carrément, des conciergeries locatives avec une seule entrée pour tous les logements.

Le dernier grand incendie de Montréal, celui de 1852, a détruit quantité de logements à l’est du boulevard Saint-Laurent ; dans les 100 années qui ont suivi, la reconstruction et la vigoureuse expansion urbaine firent la part belle aux plex dans les quartiers ouvriers (Hanna, 1986), ces plex qui étaient déjà bien présents à Montréal comme à Québec depuis le régime français. À compter de 1900, on a construit des conciergeries multilogements avec une montée en gamme, surtout au pourtour du Mont-Royal, par exemple rue Sherbrooke Ouest ou dans Outremont (Choko, 1994). En 1945, les plex constituaient plus des deux-tiers des logements de Montréal, d’après Hanna et Dufaux (2002). Depuis, on a encore construit des plex (mais en proportion moindre), dans de nouveaux quartiers comme LaSalle, Saint-Léonard et Anjou. Parfois, dans les quartiers centraux, un walk up locatif est venu remplacer deux vieux triplex mitoyens, démolis pour laisser la place à la modernité des années cinquante et soixante (du siècle dernier) et, surtout, pour remplacer six logements (deux au rez-de-chaussée, occupés par leurs propriétaires et quatre aux étages, occupés par des locataires) par vingt logements locatifs, en demi-sous-sol plus trois paliers ; ce sont des logements plus petits mais offrant globalement un meilleur rendement financier. Depuis la guerre, on a surtout construit des unifamiliales, avec les petites « maisons de vétérans » jusqu’au cœur de l’agglomération et encore bien davantage avec le développement de la banlieue. Les dernières vagues de construction ont vu se développer de gigantesques immeubles locatifs destinés aux retraités. Et il y a eu aussi une floraison de walk up locatifs tout neufs en banlieue (et, oui, ceux-là peuvent faire partie de l’échantillon qui sert au calcul du taux de la SCHL). Notons finalement que ce n’est que récemment que les condos ont fait leur réel démarrage en trombe avec de nouvelles constructions de tours ou des démolitions / remodelages d’anciens plex (un ancien triplex peut parfaitement renaître sous la forme d’un immeuble de six condos).

Mais au fait, ne pas tenir compte des plex des quartiers centraux, est-ce vraiment important ? Il faut admettre qu’il est inutile de faire un recensement exhaustif pour se faire une idée juste de l’évolution du marché locatif : un échantillon est suffisant, à condition qu’il soit représentatif de l’ensemble. Ensuite, on peut constater que les plex et les autres immeubles où on offre du logement locatif ne constituent pas des marchés parfaitement étanches l’un à l’autre : dans une certaine mesure, ce sont des vases communicants, un locataire évincé d’un logement dans un plex pouvant très bien se reloger dans un walk-up. De la même façon, la propriété et la location ne sont pas non plus sur planètes distantes : il y a des passerelles et l’accession à la propriété demeure (ou pas) une porte de sortie pour un ménage qui se retrouverait coincé sur un marché locatif exigu, de son point de vue ‒ peu importe le mode de tenure, faut se loger. Pour se soustraire à des pratiques discriminatoires, il est clair que certains ménages feront tous les sacrifices du monde pour s’acheter un toit si modeste soit-il. Et certains demeureront coincés sans avoir les moyens d’acheter quoi que ce soit de convenable.

Accession à la propriété ou location, le marché du logement n’est pas vraiment un marché homogène. Et sur le marché locatif, plex ou conciergeries constituent eux-aussi deux sous-marchés très distincts : quiconque a vécu dans un plex peut attester que c’est « autre chose ». Sans compter que la proportion de logements relativement grands est sans doute plus importante dans les plex que dans les blocs où on trouve tant et tellement de studios. Si ce n’est pas un marché homogène, unique, un échantillon sur les conciergeries ne pourra pas prétendre être représentatif de l’ensemble ; il faudrait autant d’échantillons qu’il y a de sous-marchés distincts. D’ailleurs, dans les faits, avec la pandémie de 2020-2021, on constate que l’image des vases communicants a objectivement atteint ses limites : le desserrement du marché locatif étudiant du McGill ghetto se produit vraiment et le taux d’inoccupation augmente nettement, même en le calculant à l’échelle de l’île de Montréal ; en même temps, on voit bien que le marché des plex ne se détend pas, au contraire, même que cela ne paraît pas dans le calcul du taux, simplement parce qu’on ne tient pas compte des plex, tout bêtement, très bêtement.
Il devient clair que l’image donnée par la SCHL ne correspond qu’à une partie de la réalité.

Si la moitié des informations manquaient pour comprendre le marché de Toronto, on peut penser que la SCHL patinerait vigoureusement et s’arrangerait rapidement pour qu’il n’en soit plus ainsi. Ce sous-dénombrement, cette tache aveugle qui laisse de côté les plex dure depuis toujours, depuis que le taux est calculé : il a été construit sans les plex dès le départ parce que ceux-ci ne présentaient aucun intérêt, trop exclusivement montréalais. Il faudra probablement que le Québec devienne, un jour, maître de ses données pour qu’on finisse par avoir une meilleure idée de ce qui se passe vraiment chez-nous et qu’on cesse de dépendre d’une vision déformée par des lunettes Canadian, formatées correctement mais selon des paramètres torontois.

Choko, Marc H. (1994). « Le « boom » des immeubles d’appartements à Montréal

de 1921 à 1951 », Urban History Review / Revue d’histoire urbaine, vol. 23, No 1 (nov.), p. 3–18 https://id.erudit.org/iderudit/1016693ar
Hanna, David B. (1986). Montreal, A City Built by Small Builders, 1867-1880, thèse de doctorat, Montréal : McGill, xi et 303 p. https://escholarship.mcgill.ca/concern/theses/bn9999075
Hanna, David B. et François Dufaux. (2002). Montreal : a rich tradition in medium density housing, rapport de recherche commandé par la SCHL, Ottawa : SCHL, 187 p. https://eppdscrmssa01.blob.core.windows.net/cmhcprodcontainer/sf/project/archive/research/ca1-mh-02m56-w.pdf

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