Paru sur le site Contretemps
1er septembre 2022
Par Charles Forsdick
Le récit de Sudhir Hazareesingh sur ce qu’il appelle la « vie épique » de Toussaint Louverture constitue une biographie méticuleuse de son sujet et, en même temps, une nouvelle introduction complète à la révolution haïtienne en général. Black Spartacus représente une intervention substantielle dans le domaine de l’historiographie révolutionnaire haïtienne et de l’historiographie de la révolution en général.
La biographie de Hazareesingh a, à juste titre, reçu de nombreux éloges, notamment le Wolfson History Prize, la récompense la plus prestigieuse du Royaume-Uni pour un ouvrage de non-fiction historique. Une adaptation télévisée serait également en préparation par Mammoth Screen, la société de production britannique connue pour des séries telles que The Serpent et Poldark.
Black Spartacus est écrit de façon convaincante et présente, avec une agréable légèreté, ses riches sources, aussi bien du point de vue de l’historiographie que des archives. L’ouvrage consolidera la position de Louverture dans le monde anglophone en tant que figure clé de l’ère des révolutions dont la résonance contemporaine est plus évidente que jamais.
Une énergie sans limite
« L’idéal de l’émancipation des Noirs, note Hazareesingh, était au cœur de la légende de Toussaint. » Publiée pour la première fois en septembre 2020, durant l’automne qui a suivi le meurtre de George Floyd et les manifestations mondiales associées à Black Lives Matter, cette nouvelle biographie est arrivée à point nommé. De nombreuses personnes considèrent le leader haïtien comme un précédent historique et une inspiration pour le mouvement contemporain.
Il ne s’agit peut-être pas d’un « manuel progressiste pour la révolution dans le monde entier », comme l’auteur décrit l’ouvrage de C. L. R. James, Les Jacobins noirs. Black Spartacus offre néanmoins le récit d’une icône révolutionnaire qui a mené une lutte pour l’émancipation des Noirs en combattant les principales formes d’oppression de son époque : « l’esclavage, le colonialisme de peuplement, la domination impériale, la hiérarchie raciale et la suprématie culturelle européenne ». Voici un homme qui a transformé la révolte en révolution organisée, un leader caractérisé par un engagement sans compromis en faveur de l’émancipation universelle qui a exposé les angles morts et l’illogisme de la pensée européenne.
L’objectif de Hazareesingh est de montrer comment Louverture était avant tout « inspiré par l’ambition Makandaliste de créer une conscience commune parmi les esclaves noirs, par l’appel du mouvement à leurs aspirations à la liberté et par son objectif de forger une organisation révolutionnaire efficace. » Le terme « Makandaliste » fait référence à François Mackandal, qui a organisé une société secrète d’esclaves haïtiens une génération avant Louverture, préparant une révolte avant d’être capturé et brutalement exécuté. Son exemple a contribué à inspirer la révolution que Louverture a ensuite dirigée.
L’image de couverture du livre relié original est tirée du portrait de François Cauvin (2009) représentant Louverture avec une pintade formant son chapeau. En Haïti, la population voit dans ces oiseaux un symbole de liberté et de résistance. Lors de leur introduction dans la colonie, ils auraient résisté à la domestication et fui leurs ravisseurs potentiels à la manière des Marrons.
La conclusion de Black Spartacus passe de l’archive au corpus varié des représentations culturelles qui mettent en scène Louverture. Après avoir cité Wyclef Jean et Akala, Hazareesingh conclut avec des voix haïtiennes, plus précisément avec celles du groupe Chouk Bwa (« Souche d’Arbre »). Le nom du groupe est inspiré du discours du leader révolutionnaire sur « l’arbre de la liberté », qu’il aurait prononcé lorsque les troupes de Napoléon Bonaparte l’ont enlevé et déporté d’Haïti en France, où il est mort en captivité en avril 1803. Hazareesingh cite le chanteur du groupe, Edele Joseph, qui résume l’esprit louverturien de son groupe : » La mission est d’apporter de l’énergie positive aux gens. . . . . L’énergie n’a pas de frontières ».
Le Précurseur et le Libérateur
En dehors d’Haïti, Louverture a eu tendance à attirer des approches plus hagiographiques qui minimisent souvent ses défauts personnels et stratégiques. Ces complexités sont plus visibles en Haïti même, où les spectres de la Révolution ne sont jamais loin de la surface.
Dans son essai de 2005, La Cohée du Lamentin, Édouard Glissant décrit le fantôme de Toussaint Louverture hantant les remparts du Château de Joux, le fort du Jura français où, progressivement privé par Napoléon de nourriture, de chaleur et de lumière, il mourut en avril 1803. Les Français avaient cherché à éloigner Louverture du pays et à neutraliser son influence sur les habitants de la colonie de Saint-Domingue, autrefois réduits en esclavage. Au lieu de cela, l’homme désormais connu sous le nom de « Précurseur » a inspiré ses anciens généraux, notamment Jean-Jacques Dessalines (le « Libérateur ») et Henri Christophe, à se soulever à nouveau contre les forces d’occupation de Charles Leclerc. Ils ont transformé une révolution motivée par un désir d’émancipation de l’esclavage en une guerre d’indépendance anticoloniale.
Les auteurs attribuent souvent au Précurseur et au Libérateur des visions très différentes de l’avenir d’Haïti, le premier étant censé s’engager en faveur de l’autonomie du pays dans un Commonwealth français des nations, tandis que le second se méfiait naturellement des anciens colonisateurs et insistait sur l’autosuffisance à tout prix. En réalité, les différences entre les deux hommes n’étaient pas aussi polarisées que ces représentations le suggèrent. Pourtant, la politique haïtienne reste divisée entre Louverturiens et Dessaliens, car les héritages de la Révolution continuent de résonner dans le présent.
Dans le contexte de la récente présidence de Jovenel Moïse, par exemple, c’est Dessalines qui est passé au premier plan. La population étant de plus en plus frustrée par la corruption, les pénuries alimentaires et l’échec des procédures constitutionnelles de base, des images au pochoir du leader fondateur d’Haïti ont commencé à apparaître sur les murs de la capitale. Des manifestants déguisés en Dessalines descendirent dans la rue et de grandes manifestations ont lieu les 17 octobre, date anniversaire de sa mort en 1806.
Après l’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021, les observateurs ont établi d’autres parallèles, car il a rejoint la liste des chefs d’État haïtiens tués pendant leur mandat. Cependant, le déploiement de l’exemple de Dessalines montre l’importance vitale du contexte. Les références aux leaders de la révolution diffèrent grandement à l’intérieur et à l’extérieur d’Haïti.
Citoyen Toussaint
Black Spartacus s’inscrit dans une longue tradition de biographies en langue anglaise qui se concentrent sur Toussaint Louverture. Cette lignée remonte à la traduction anglaise de 1802 de La Vie de Toussaint-Louverture, chef des noirs insurgés de Saint-Domingue , récit raciste, calomnieux et pro-napoléonien de Jean-François Dubroca sur sa vie, mais comprend également des textes plus favorables qui ont suivi au XIXe siècle, The Life of Toussaint L’Ouverture, the Negro Patriot of Hayti, publié par le pasteur unitarien John Relly Beard en 1853.
Le principal texte avec lequel Hazareesingh se confronte inévitablement est cependant Les Jacobins noirs. Il s’agit d’un ouvrage que l’auteur admire manifestement, mais qui n’échappe pas à sa critique. Selon Hazareesingh, en mettant l’accent sur les références jacobines de son sujet, C. L. R. James a ignoré ses tendances monarchistes ainsi que « l’originalité époustouflante » de ses efforts révolutionnaires.
D’autres biographies en langue anglaise ont suivi le sillage de C.L.R. James, notamment Citizen Toussaint de Ralph Korngold, publié par le Left Book Club en 1944 (Citoyen Toussaint), et « This Gilded African » de Wenda Parkinson, paru en 1978. Plus récemment, il y a eu une série d’études biographiques, notamment celles de Madison Smartt Bell et de Philippe Girard.
Toussain Louverture :A Biography par Madison Smartt Bell est un complément à sa trilogie de romans sur la révolution haïtienne. Il présente son sujet comme un vaudouisant, un praticien changeant de la religion traditionnelle qui, en même temps, maîtrisait et déployait le savoir des Lumières. Philippe Girard s’appuie sur une quantité impressionnante de documents d’archives, notamment en ce qui concerne les débuts de la vie de Toussaint Louverture. Pourtant, son analyse revient à un nouveau révisionnisme conservateur qui prétend que l’un des principaux objectifs de Louverture était d’acquérir richesse et statut social pour lui-même.
La biographie de Hazareesingh se distingue par la fraîcheur de son approche et les nouvelles perspectives qu’elle apporte. L’auteur est un fin connaisseur de l’histoire politique et culturelle de la France depuis 1789 : ses précédents ouvrages ont démystifié les représentations de Charles de Gaulle et fourni un aperçu (largement affectueux) de la France avec How the French think, publié en français sous le titre Ce pays qui aime les idées. Histoire d’une passion française. Pour Hazareesingh, s’engager dans l’histoire coloniale française dans les Caraïbes était en ce sens un nouveau départ.
Black Spartacus développe néanmoins les thèmes de son travail précédent de diverses manières, en abordant les contorsions intellectuelles implicites dans les abstractions de l’universalisme républicain français et l’instrumentalisation idéologique de figures mythifiées du passé. En même temps, l’exploration de la vie de Louverture a permis à Hazareesingh de réfléchir à un cadre géographique plus large, en créant des liens entre la langue et l’histoire d’Haïti et celles de l’île Maurice, pays natal de l’auteur, qui a sa propre longue tradition de résistance des esclaves, représentée par des figures telles que Daimamouve, Tatamaka et Madame Françoise.
Débroussailler le terrain
L’historiographie haïtienne est souvent un domaine délicat. Il existe des lignes de faille entre les chercheurs haïtiens et non haïtiens, les radicaux néo-marxistes et les conservateurs, les Louverturiens et les Dessaliens. Hazareesingh se positionne subtilement dans ce paysage : tout en laissant souvent ses sources parler d’elles-mêmes, il conteste ceux qui ont cherché à dépeindre Louverture et ses pairs comme des révolutionnaires bourgeois dont le but était de servir leurs propres intérêts plutôt que ceux du peuple qu’ils prétendaient émanciper.
Il reconnaît pleinement les défauts ou les paradoxes que les biographes antérieurs et les critiques plus récents ont décelés chez Louverture : son statut prérévolutionnaire de propriétaire de personnes asservies ; l’exclusion apparente des femmes de sa vision de l’État ; la dégénérescence de sa règle émancipatrice en une approche apparemment autoritaire. Pourtant, Hazareesingh rejette activement les tendances « conservatrices et néo-impérialistes » apparaissant dans certaines historiographies coloniales récentes. Son objectif déclaré est le suivant : débroussailler le terrain et retrouver le chemin de Toussaint Louverture, revenir autant que possible aux sources primaires, essayer de voir le monde à travers ses yeux, et retrouver l’audace de sa pensée et l’originalité de sa voix.
La navigation dans l’ambiguïté est au cœur de cette approche. À un moment donné, Hazareesingh note que « localiser Toussaint n’était pas facile car il se déplaçait constamment et allait si vite qu’il laissait souvent ses propres gardes loin derrière lui ». Un défi similaire se pose à ses biographes. Confronté.es à une accumulation de mythes et de légendes, obligé.es de combler les lacunes par des spéculations, prudentes ou non, ses biographes semblent aussi souvent à la traîne. Le Louverture qui émerge, souvent avec une théâtralité marquée, dans Black Spartacus est fermement ancré dans les preuves que son auteur déploie.
Il associe notamment le chef révolutionnaire à une adaptation créative du Makandalisme, tant dans sa philosophie que dans ses tactiques militaires. Hazareesingh trouve des preuves de cette dette envers les techniques développées par les Marrons dans les efforts de Louverture pour forger une conscience partagée, enracinée dans des expériences communes d’oppression et une aspiration à un avenir meilleur, parmi les Africains autrefois esclaves qui allaient former ses armées. L’engagement en faveur de l’émancipation des Noirs convergeait avec une fraternité plus large ancrée dans les valeurs créoles, républicaines et chrétiennes. L’auteur résume l’esprit du louverturianisme comme « un effort collectif sans relâche, une discipline rigoureuse et le service du bien commun ».
Hazareesingh suit subtilement l’émergence de ces valeurs louverturiennes dans les premières années de la Révolution, lorsque le futur leader révolutionnaire maintenait un profil relativement bas. Il explore en détail l’évolution de la relation de Louverture avec le républicanisme français, qui était symbiotique plutôt que dérivée. Cette relation s’est traduite par un engagement souvent incompris à redonner à Saint-Domingue sa force économique d’avant la révolution.
L’auteur présente l’objectif de Louverture d’assurer la santé de la colonie comme la motivation de divers développements que d’autres biographes ont critiqués : l’accord de Louverture avec les Britanniques, par exemple, ou l’imposition d’une nouvelle forme d’engagement aux anciens esclaves. Hazareesingh décrit son sujet comme étant déchiré entre son pouvoir charismatique, presque magique, sur la population d’une part, et l’incapacité hubristique d’articuler son projet au peuple d’autre part. C’est un aspect que C. L. R. James avait notamment identifié.
Super-héros
L’une des véritables forces de Black Spartacus réside dans la capacité du livre à maintenir en tension des opposés aussi polaires. Un exemple frappant est la discussion de Hazareesingh sur la constitution de 1801, qui a longtemps été une source de controverse. Elle nommait Louverture gouverneur d’Haïti pour le reste de sa vie et lui donnait le droit de choisir son successeur en secret.
Comme le note Hazareesingh, d’autres auteurs ont opposé une version conservatrice de ce texte, considéré comme « l’incarnation de la traîtrise » de la part de Louverture, à son interprétation plus radicale comme « l’apothéose de sa lutte contre l’esclavage ». Hazareesingh est plus mesuré, discernant plutôt une volonté plus subtile de la part de Louverture de créer une distance nette entre la France et Saint-Domingue. Il comprenait cela comme un moyen de renforcer la gouvernance interne tout en évitant les risques d’instabilité politique française :
« La pensée de Toussaint n’était guidée ni par l’hubris ni par la fantaisie, mais, comme toujours, par des calculs politiques rationnels. »
Néanmoins, Hazareesingh converge avec des commentateurs tels que C.L.R. James qui voyait Louverture comme étant « de plus en plus pris au piège dans une spirale autoritaire », un leader autodidacte dont le repli sur l’autonomie favorisait une réticence croissante à partager le pouvoir ou à divulguer les stratégies qu’il déployait pour le conserver. Les interprètes conservateurs de Louverture ont permis aux circonstances de son déclin d’éclipser une compréhension plus complète de ses réalisations et on pourrait parfois en dire autant des auteurs plus radicaux. Hazareesingh ne tombe pas dans ce piège.
Dans un brillant chapitre final consacré à la postérité de son sujet, Hazareesingh suit l’émergence et la pérennité d’un « culte louverturien spontané. » Des Irlandais unis à la rébellion d’Aponte à Cuba, du mouvement anti-esclavagiste américain à la lutte des Maoris pour réclamer leurs droits aux colons européens en Nouvelle-Zélande, Louverture est apparu comme la personnification de la révolution haïtienne et son inspiration historique. Hazareesingh détecte des traces de Louverture dans une série de dirigeants du XXe siècle, Frantz Fanon, Fidel Castro, Yasser Arafat, Nelson Mandela, et présente son sujet comme le « premier super-héros noir de l’ère moderne ».
Hazareesingh explique que le titre de son livre, qui l’élève au rang de super-héros, s’inscrit dans une longue lignée historique. Cela commence avec le gouverneur républicain de la colonie française de Saint-Domingue, Étienne Laveaux, qui dépeignait Louverture avec admiration comme le « Spartacus Noir », un nom qu’il associait au « chef annoncé par le philosophe Guillaume-Thomas Raynal pour venger les crimes perpétrés contre sa race ». Les journaux noirs et progressistes des États-Unis du XIXe siècle ont également décrit le leader haïtien comme le « Spartacus Noir ». Depuis sa cellule de prison en 1954, Fidel Castro a affirmé que l’âme de Spartacus avait été « réincarnée en Toussaint Louverture ».
À son tour, Louverture est devenu un point de comparaison pour les autres. Pendant la guerre d’indépendance cubaine, les admirateurs d’Antonio Maceo l’appelaient le « Toussaint Louverture cubain ». Après l’humiliation de l’armée française à Dien Bien Phu, Paul Robeson a affirmé que Ho Chi Minh était le « Toussaint du Vietnam ».
L’historien haïtien Gaétan Mentor a contesté l’association de Louverture avec l’original Spartacus, qui n’a peut-être pas du tout cherché à abolir l’esclavage dans le monde romain. Il a insisté sur le fait que le leader d’Haïti mérite d’être considéré comme un personnage à part entière :
Notre Toussaint n’était pas un Spartacus Noir. Nous refusons ce Noir juxtaposé au nom du célèbre gladiateur de Thrace… Toussaint ne peut être classé ou réduit à une version noire, avec toutes les connotations réductrices que cela implique dans la pensée occidentale.
Hazareesingh n’est pas un hagiographe, mais sa description de Louverture comme le « Spartacus Noir » révèle néanmoins certaines hypothèses qui façonnent son récit. Premièrement, l’accent mis sur un individu détourne l’attention de la tendance croissante à écrire l’histoire de la révolution à partir de la base. C. L. R James a exploré cette perspective dans ses conférences de 1971 à l’Institute of the Black World d’Atlanta, et elle est évidente dans les travaux ultérieurs de Carolyn Fick.
Les historiens haïtiens modernes tels que Jean Casimir ont également adopté cette approche : le livre de Casimir, Une lecture décoloniale de l’histoire des Haïtiens. Du traité de Ryswick à l’occupation américaine (1697-1915) est récemment paru dans une traduction anglaise. Il y a eu des histoires plus inclusives, notamment le projet Fanm Rebèl de Nicole Wilson, qui a mis en lumière les contributions des femmes et un engagement croissant pour reconnaître les perspectives haïtiennes dans l’historiographie du pays. La nouvelle traduction du récit de la révolution en créole haïtien de Michel-Rolph Trouillot, Stirring the Pot of Haitian History, a encouragé cette tendance.
Bien que Dessalines joue un rôle dans le récit de Hazareesingh, il est toujours éclipsé par Louverture, souvent considéré comme le leader de la révolution plus facile à traduire, plus facile à domestiquer et finalement plus acceptable pour les publics occidentaux. Cette négligence des autres figures de proue de la révolution pourrait toutefois être bientôt corrigée. Une biographie de Dessalines par Julia Gaffield et deux biographies d’Henri Christophe par Paul Clammer et Marlene Daut devraient paraître dans un avenir proche.
Un exercice de récupération
Black Spartacus rassemble un éventail exceptionnel de documents pour offrir ce qui sera pendant un certain temps la biographie de référence de Toussaint Louverture en langue anglaise. Sans doute légère sur les premières années de son sujet, une période bien couverte par Philippe Girard dans sa propre biographie, l’étude de Hazareesingh montre néanmoins une réelle sensibilité à la langue et au pouvoir du créole comme vecteur de résistance. Black Spartacus s’intéresse également de près à la religiosité de Louverture et à la valeur qu’il attachait aux liens familiaux, explorant leurs implications pour sa vie ultérieure.
À bien des égards, l’approche de Hazareesingh est un exercice de récupération. Il s’appuie sur de riches sources d’archives françaises, de Paris et des régions et sur des documents espagnols jusqu’alors peu explorés. Il y a également de nouveaux documents provenant des Archives Nationales du Royaume-Uni à Kew, qui rappellent que la révolution haïtienne, malgré son désaveu systématique dans l’histoire nationale, est un élément important du passé britannique. L’ouvrage s’appuie également de manière intelligente sur la correspondance de Louverture, non seulement comme source historiographique mais aussi comme moyen de comprendre la psyché de son auteur et les diverses contradictions auxquelles il a été confronté tout au long de sa vie.
Une autre dimension originale est l’accent mis sur la localité. Black Spartacus contient une micro-histoire saisissante, s’appuyant sur des sources des archives françaises d’outre-mer, qui examine comment les idées de Louverture ont été reçues et traduites en pratique sur le terrain en Haïti. Hazareesingh prend la municipalité de Môle Saint-Nicolas comme étude de cas, démontrant comment un système de pouvoir combinant les principes républicains, catholiques et créoles était fermement ancré dans les communautés locales, créant une infrastructure destinée à reconstruire la Saint-Domingue postrévolutionnaire.
Une telle analyse fournit la preuve de ce qui est considéré comme la qualité essentielle de Louverture : « l’audace d’envisager un monde organisé autour de principes radicalement différents ». L’accent mis dans Black Spartacus sur les années cruciales du milieu de la présidence de Louverture montre qu’il ne cherchait pas, comme le suggère Philippe Girard, à consolider sa richesse et son pouvoir personnels, mais plutôt à protéger les acquis de la Révolution contre ceux qui auraient voulu les liquider.
La principale réussite de Sudhir Hazareesingh est d’avoir tiré de cette histoire un récit qui parle directement des défis du XXIe siècle. Comme le dit l’auteur lui-même :
La lutte louverturienne reste une source vitale d’inspiration intellectuelle et de renouveau progressiste, surtout à l’époque actuelle du populisme, et rappelle que les injustices que nous observons aujourd’hui sur la planète, au sein des sociétés et entre elles, ont des racines historiques profondes.
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Ce texte a été publié initialement par Jacobin. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.
Charles Forsdick est professeur de français à l’université de Liverpool et le coauteur de Toussaint Louverture : A Black Jacobin in the Age of Revolutions (Pluto Press, 2017).
Illustration : Auteur inconnu — Schomburg Center for Research in Black Culture, Photographs and Prints Division, The New York Public Library.
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