Édition du 18 juin 2024

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Mémoires sur la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail

Le régime de santé et de sécurité du travail tel...

Le régime de santé et de sécurité du travail tel qu’on le connaît au Québec a été mis en place dans les années 1980. Depuis 40 ans, bien des changements ont eu lieu, mais bien que la situation de la main-d’œuvre féminine ait grandement progressé et qu’elles aient intégré différents secteurs d’emploi en améliorant leurs conditions socioéconomiques, il reste encore beaucoup d’efforts à faire afin d’atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

POUR UNE VÉRITABLE MODERNISATION DU RÉGIME DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ AFIN DE GARANTIR L’ÉQUITÉ POUR TOUTES LES FEMMES AU TRAVAIL

Mémoire présenté par le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) à la Commission de l’économie et du travail dans le cadre de la consultation sur le Projet de loi n° 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travaiL

Pour lire le mémoire cliquez sur l’icône

1. INTRODUCTION

Le régime de santé et de sécurité du travail tel qu’on le connaît au Québec a été mis en place dans les années 1980. Depuis 40 ans, bien des changements ont eu lieu, mais bien que la situation de la main-d’œuvre féminine ait grandement progressé et qu’elles aient intégré différents secteurs d’emploi en améliorant leurs conditions socioéconomiques, il reste encore beaucoup d’efforts à faire afin d’atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Au cours de cette période, la très grande majorité des femmes n’était pas couverte par les mécanismes de prévention et de participation-représentation au cœur de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, et les risques présents dans les emplois occupés surtout par les femmes ont été sous-estimés, dont les risques psychosociaux et les risques de trouble musculo-squelettiques ; de ce fait, elles rencontrent des obstacles importants pour que leurs problèmes de santé découlant du travail soient reconnus par le régime d’indemnisation. Les outils législatifs composant le régime québécois de santé et de sécurité du travail méritaient ainsi une modernisation, afin d’être en adéquation avec les réalités vécues par les femmes au travail au Québec. Nous accueillons donc positivement la volonté du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) de procéder à une réforme et saluons la préoccupation qu’il a énoncée envers la santé des femmes au travail en proposant d’inclure à l’obligation de l’employeur la prévention de la violence conjugale et familiale, physique et psychologique, qui se manifeste sur les lieux de travail.

Le Projet de loi 59 est colossal et opère des changements profonds dans le régime de santé et de sécurité du travail. Ce mémoire ne pourra les examiner tous. Nous avons retenu les modifications susceptibles d’affecter particulièrement les femmes. Nous devons constater que l’essentiel des modifications proposées au régime d’indemnisation représentent des reculs pour les travailleuses, comme pour l’ensemble des travailleurs du Québec. Notamment, les modifications faites en matière de reconnaissance des maladies professionnelles risquent de précariser les travailleuses rendues malades en raison des risques de leur milieu de travail. Les façons de faire seront grandement modifiées et on craint un recul important pour les droits de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs, ainsi que des effets importants sur les femmes. Nous regrettons que les modifications proposées à la LATMP excluent toujours certaines travailleuses domestiques, maintenant une situation discriminatoire.

Sur le plan de la prévention, nous saluons plusieurs avancées qui contribueraient à améliorer les conditions de travail des femmes ; cependant, plusieurs de ces mesures nous apparaissent devoir être précisées ou modifiées, selon le cas, pour prendre en compte la situation des femmes ainsi que maintenir et promouvoir leurs droits. C’est le cas de l’extension de la couverture des mécanismes de prévention et de participation-représentation, que nous saluons, en constatant cependant que le critère retenu pour établir le « niveau de risque » donnant accès à ces mécanismes reproduit la sous-estimation des risques vécus par les femmes, du fait de la nature de leur travail. De même, nous saluons le maintien, dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail, du droit à une maternité sans danger, mais exprimons des préoccupations importantes quant aux changements proposés.

Enfin, nous déplorons le fait que les mesures suggérées dans le Projet de loi 59 n’aient pas été soumises à une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+). Ce type d’analyse pourrait éviter certains angles morts et la production d’effets disproportionnés sur toutes les femmes. Encore une fois, étant donné l’ampleur du Projet de loi 59 et des modifications qui seront faites aux pratiques des milieux de travail, il est important qu’une telle analyse soit conduite.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

RECOMMANDATION 1
Que le Gouvernement du Québec conduise, en collaboration avec l’INSPQ, une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) de toute proposition de disposition légale ou réglementaire reliée à la prévention et la reconnaissance et l’indemnisation des lésions professionnelles.

RECOMMANDATION 2
Qu’une classification selon le niveau de risque soit retenue ou non, que le nombre d’heures de libération pour le RSS soit revu substantiellement à la hausse pour tous les niveaux de risque, ceci afin d’assurer une identification adéquate des risques, y compris des risques psychosociaux, ainsi que la sélection et l’application des mesures préventives appropriées.

RECOMMANDATION 3
Si une classification selon le niveau de risque est retenue, qu’elle soit revue afin d’éliminer la sousestimation des risques qui affectent en particulier les femmes, dont les risques de troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux, et s’appuie non plus sur les données d’indemnisation, mais sur les résultats d’enquêtes auprès d’échantillons représentatifs des travailleuses et travailleurs, sur leurs conditions de travail et les risques auxquels ils sont exposés, en tenant compte au minimum, du sexe, du genre, du statut d’emploi et du statut migratoire.

RECOMMANDATION 4
Que la réforme du régime de prévention prévoie l’ajout d’un dispositif de représentant des travailleuses et des travailleuses en santé et en sécurité itinérant, pour les petits établissements.

RECOMMANDATION 5
Que l’article 156 du Projet de loi soit modifié afin d’intégrer, à l’article 78 paragraphe 6, l’identification des risques pour les travailleuses enceintes ou qui allaitent ainsi que l’identification des réaménagements ou des postes de réaffectation requis pour assurer leur droit à une maternité sans danger.

RECOMMANDATION 6
Que l’article 147 du Projet de loi soit modifié, afin d’intégrer au contenu du programme de prévention, comme prévu à l’article 59 alinéa 1 de la LSST révisé, l’identification et l’analyse des risques pour la santé et la sécurité des travailleuses enceintes ou qui allaitent, ainsi que l’identification des réaménagements ou des postes de réaffectation requis pour assurer leur droit à une maternité sans danger.

RECOMMANDATION 7
Que le paragraphe 16 de l’article 51 de la LSST, prévu à l’article 143 du Projet de loi, soit assorti de l’obligation de l’employeur d’adopter une politique de prévention de la violence conjugale qui prévoit, notamment, la notion de droit au respect de la vie privée des travailleuses et une procédure de signalement en lien avec les ressources externes spécialisées en matière de violence conjugale.

RECOMMANDATION 8
Que le gouvernement du Québec offre un financement approprié aux ressources externes spécialisées afin qu’elles puissent accomplir leur rôle lié aux risques de violence dans le milieu de travail.

RECOMMANDATION 9
Que le Projet de loi soit modifié afin de maintenir l’existence du « médecin responsable des services de santé de l’établissement » et le rôle qui lui est dévolu par la version actuelle de la LSST quant à l’application du droit à une maternité sans danger. Dans l’éventualité où un nouvel acteur, le « médecin chargé de la santé au travail » est introduit, que le Projet de loi établisse clairement son rattachement au Réseau de santé publique en santé au travail, et définisse des exigences en matière de formation spécialisée en santé au travail et en matière d’indépendance professionnelle par rapport aux employeurs.

RECOMMANDATION 10
Que l’article 140 soit modifié afin d’identifier de manière explicite les personnes pouvant jouer le rôle de « professionnel qui effectue le suivi de grossesse » en incluant les infirmières praticiennes spécialisées, les sages-femmes et les médecins traitants.

RECOMMANDATION 11
Que l’article 139 du Projet de loi soit modifié afin de préserver l’autonomie du « professionnel qui effectue le suivi de grossesse », et ce, de la façon suivante : Le certificat serait délivré par le professionnel qui effectue le suivi de grossesse en se basant, notamment, mais non exclusivement, s’ils sont adoptés, sur des guides de référence (voir recommandation 12). Avant de délivrer le certificat, le « professionnel qui effectue le suivi de grossesse » devrait consulter le « médecin responsable des services de santé de l’établissement » ou le médecin responsable de cette fonction à la direction régionale de la santé publique de la région où se retrouve l’établissement, ou la personne que ce dernier désigne. Le « professionnel qui effectue le suivi de grossesse » pourra modifier l’avis de ces derniers pour tenir compte des spécificités de la situation de travail de la travailleuse de l’état de santé de celleci. La CNESST sera liée à l’avis du « professionnel qui effectue le suivi de grossesse ».

RECOMMANDATION 12
Que l’article 142 du Projet de loi prévoie la mise en place d’un comité multidisciplinaire indépendant, ayant pour rôle le développement des connaissances liées aux dangers et aux conditions de l’emploi qui y sont associés, sur la base tant des études scientifiques que des connaissances développées par les intervenants du Réseau de santé publique en santé au travail, en contact avec les milieux de travail. Que les travaux du comité servent à développer, regrouper et rendre accessible ces connaissances, sous la forme de guides de référence.

RECOMMANDATION 13
Que l’article 2 paragraphe 5 du Projet de loi soit modifié afin de garantir que les travailleuses domestiques reçoivent la protection automatique de la LATMP, en retirant le paragraphe 1 suggéré qui prévoit le critère du nombre d’heures et en retirant l’exclusion du « travailleur domestique » dans la définition de « travailleur » prévue dans la LATMP.

RECOMMANDATION 14
Que l’article 19 du Projet de loi 59 soit retiré afin de maintenir les droits acquis prévus par l’article 53 de la LATMP et d’éviter les effets disproportionnés sur les droits des femmes au travail générés par l’article 19.

RECOMMANDATION 15
Que soit retirée la modification proposée par le Projet de loi 59 aux critères donnant accès à la reconnaissance, par présomption, d’une lésion musculo-squelettique à titre de maladie professionnelle.

RECOMMANDATION 16
Que l’article 2 de la LSST soit modifié afin d’ajouter la notion de l’intégrité psychologique des travailleuses et des travailleurs.

RECOMMANDATION 17
Que soient examinés les moyens à mettre en œuvre pour que les travailleuses et travailleurs non syndiqués aient un meilleur accès à la représentation légale, pour les soutenir dans le processus de réclamation pour lésion professionnelle.

RECOMMANDATION 18
Que le Gouvernement du Québec conduise, en collaboration avec l’INSPQ, une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) de toute modification réglementaire ou législative faite dans le cadre de l’adoption du Projet de loi 59, et de rendre publics les résultats d’une telle analyse.

RECOMMANDATION 19
Que le Projet de loi 59 prévoit une obligation pour le gouvernement du Québec d’intégrer une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) sur tout rapport produit en vertu de la LATMP ou de la LSST.

RECOMMANDATION 20
Que le Projet de loi 59 prévoit, de manière prioritaire, que le régime de prévention établit clairement la responsabilité conjointe de l’agence et du donneur d’ouvrage, notamment quant à la fourniture de l’équipement de protection individuelle, à l’information et à la formation.

RECOMMANDATION 21
Que le gouvernement du Québec mandate, de façon spécifique, le service de préventioninspection de la CNESST de prioriser les inspections dans les milieux de travail où se trouvent des travailleuses et des travailleurs d’agence de placement de personnel, et recevoir pour cela les ressources appropriées.

RECOMMANDATION 22
Que le MTESS réfléchisse, dans le cadre du Projet de loi 59, à la définition de dispositions pour assurer la représentation effective des travailleuses et travailleurs d’agence de location de personnel, au sein des comités de santé et de sécurité, et assurer leur protection contre les représailles.

4. CONCLUSION

En somme, nous souhaitons souligner l’intention présente dans du Projet de loi 59 de prendre en compte la situation spécifique des femmes au travail, telle qu’elle se manifeste dans les dispositions innovantes en matière de prévention de la violence dans la LSST. Celles-ci témoignent d’une volonté d’assurer une véritable protection des femmes au travail. Toutefois, nous ne pouvons que constater que cette volonté ne s’est pas encore transposée dans toutes les propositions faites par le Projet de loi 59, dans sa version actuelle. Certains des changements imposants qui sont suggérés auraient comme effet de renforcer et de perpétuer les effets de la discrimination systémique en emploi vécue par toutes les travailleuses. La pandémie de Covid-19 a maintes fois révélé ces effets pervers ; elle a surtout montré le besoin de reconnaître la valeur du travail féminin et le fait que les femmes sont exposées à des risques majeurs mais sous-estimés. Au front depuis le début de l’année 2020, de nombreuses travailleuses doivent faire face à des milieux de travail non sécuritaires, conjuguer famille, travail, proche-aidance et études et continuent de récolter un maigre salaire. Pour que la modernisation souhaitée en soit véritablement une, elle doit répondre aux besoins criants des femmes en matière de prévention et de protection de toutes les femmes au travail. Nous croyons toutefois que les 22 recommandations formulées dans ce mémoire permettraient d’assurer cette cohérence, nécessaire à une modernisation réelle, prenant en compte la réalité des femmes au travail, en évitant de perpétuer les effets pernicieux de la discrimination systémique en emploi que vivent les femmes depuis trop longtemps

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