Édition du 19 novembre 2024

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Canada

Le pétrole canadien, des sables bitumineux à l’océan Atlantique

Le projet Bay du Nord fait fi de l’Accord de Paris comme de la COP15

En 2021, l’Agence internationale de l’énergie, qui n’est pas connue pour sa sensibilité écologique, plaidait d’abandonner dès maintenant tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles. Qu’à cela ne tienne, la Régie de l’énergie du Canada prévoit une croissance de plus de 30 % de la production gazière d’ici 2040, et dans le secteur pétrolier l’industrie envisage également une croissance, notamment dans le secteur des sables bitumineux. Au large de Terre-Neuve, on souhaite aussi doubler la production pétrolière en milieu marin après 2030 — un souhait appuyé par le gouvernement Trudeau, qui a déjà approuvé 40 nouveaux forages depuis 2021. Pas surprenant que parmi les pays du G-7, la croissance canadienne des gaz à effet de serre soit la pire depuis 1990 (World in data). Et ça continue ! Les investissements dans la production de pétrole et de gaz naturel atteindront 40 milliards de dollars cette année dont une douzaine de milliards dans les sables bitumineux et un petit un milliard en mer, soit la troisième année d’affilée de croissance, à un niveau supérieur à celui prépandémie.

Du risque sécuritaire qui n’a rien de fictif à celui sur la biodiversité qui n’a rien de marginal

Le projet le plus prêt de se réaliser dans l’Atlantique à l’est de Terre-Neuve, approuvé en 2022 pour des fins d’exploitation, est celui, au coût de 12 milliards $, de la plateforme géante Bay du Nord par l’entreprise Equinor dont le gouvernement norvégien est le propriétaire majoritaire. En découlera une soixantaine de forages à plus de 1000 mètres de profondeur, une première au Canada, dans une zone située à 470 kilomètres des côtes de Terre-Neuve sujette à de fortes tempêtes et à des passages d’iceberg. « À titre de comparaison, la plateforme Hibernia [la première plateforme opérant au large de Terre-Neuve depuis 1997] exploite du pétrole à environ 90 mètres de profondeur. Et avec Bay du Nord, on devrait avoir plusieurs zones exploitées et raccordées par des conduites sous-marines à un navire d’exploitation. » (Le Devoir, 28/02/23). Pourtant Hibernia a donné lieu à un effondrement de la première plateforme d’exploration en 1982 causant 84 morts. « À titre de comparaison, le forage de BP qui a provoqué la marée noire dans le golfe du Mexique en 2010 était un forage exploratoire qui se situait à environ 1500 mètres de profondeur. » (Le Devoir, 26/01/21)

À ce risque sécuritaire s’ajoute celui de la biodiversité. « Le projet d’Equinor se situe dans une ‘’zone d’importance écologique et biologique de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique’’, mais aussi dans des ‘’écosystèmes marins vulnérables’’. Les forages seront également menés non loin d’habitats essentiels reconnus d’espèces menacées, de refuges d’oiseaux et d’un important ‘’refuge marin’’ mis en place par le gouvernement Trudeau pour atteindre ses objectifs de protection des océans » (Le Devoir, 7/04/22) ce qu’a cristallisé la récente COP15 sur la biodiversité qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022. « Cette région maritime est par ailleurs reconnue comme un habitat important pour plusieurs espèces de poissons exploitées commercialement, 14 espèces d’oiseaux en péril ainsi qu’une quinzaine d’espèces de mammifères marins, qui sont particulièrement sensibles à la pollution sonore sous- marine. Equinor prévoit d’y faire des levés sismiques. » Malgré tout, « ‘’compte tenu de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada conclut que le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants’’, indique le rapport d’évaluation. »

La complaisance sans limites du gouvernement canadien contre ses propres fonctionnaires

Pourtant Pêches et Océans Canada, en janvier 2022, réfutait les prétentions d’Equinor qui affirmait dans son étude d’impact que le risque d’un déversement est « extrêmement faible ». « Si 40 puits sont forés en 30 ans, la probabilité d’un déversement extrêmement important est de 16 % », écrivent les experts fédéraux. Équiterre et le Sierra Club, qui avec les communautés Mi’kmaq du Nouveau-Brubswick contestent devant la Cour fédérale l’approbation du projet, rappellent qu’en cas de déversement, Equinor ne pourra pas déployer immédiatement un « système de coiffage » nécessaire pour bloquer la sortie du pétrole. La pétrolière n’en possède pas. Elle a plutôt prévu de faire venir cet équipement du Brésil ou de la Norvège ce qui prend de 18 à 36 jours. Les plaignants font aussi valoir que les émissions de gaz à effet de serre produites en aval, soit 90 % des émissions liées au projet, ne seront pas pris en compte.

Faut-il se surprendre de la complaisance de l’étude d’impact qui évaluait le projet Bay du Nord selon l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, adoptée en 2012 par le gouvernement Conservateur pro-pétrole, qui ne devait pas prendre en compte les cibles d’émissions de GES du Canada ou des objectifs de l’Accord de Paris. Quant à l’actuel gouvernement Libéral, qui prétend que Bay du Nord cadre avec le plan du gouvernement d’atteindre une réduction globale de 40 % des émissions de GES par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, il a poussé la coche plus loin en exemptant depuis 2020 tous les forages exploratoires réalisés en milieu marin, au large de Terre-Neuve, du processus d’évaluation environnementale qui était jusque là en vigueur. Relance économique oblige affirme Ottawa. Cerise sur le gâteau, le projet Bay du Nord approuvé en 2022 prévoyait un potentiel de 300 millions de barils. Moins d’un an plus tard, la confirmation d’une « découverte significative » porte ce potentiel à près d’un milliard de barils.

L’art de l’acrobatie se combine à celui de faire une chose et son contraire

Il est cocasse qu’une des organisations plaignantes, Équiterre, ait été cofondée par l’actuel ministre fédéral de l’Environnement dont la notoriété militante était due à ses cascades comme employé de Greenpeace. Aujourd’hui, le politicien opportuniste fait des pirouettes en faveur des pétrolières de l’Alberta financées par les grandes banques de Toronto. Comme son ministre de l’Environnement, le gouvernement Libéral parle des deux côtés de la bouche en même temps à propos de la question climatique. Quant à prendre en considération la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exigeant leur consentement préalable sur ce qui met en danger leurs droits de pêche, il n’en est pas question pas plus que ce le fut pour les Wet’suwet’en de Colombie britannique.

Il est vrai qu’il est impensable d’exiger de la population terre-neuvienne un tel renoncement, alors que la manne pétrolière l’a sortie du triste record de la province la plus pauvre. Il faudrait qu’Ottawa exige plus encore de l’Alberta, la province la plus riche grâce à son pétrole autrement plus sale. À moins de proposer à l’une et à l’autre un gigantesque programme de reconversion industrielle axée sur une économie verte telle la fabrication d’autobus, de trains, de panneaux solaires, d’éoliennes sans compter comme partout ailleurs une un réinvestissement écoféministe de prendre soin dans les services publics sur un fond de baisse de temps de travail et de sobriété consommatrice sans obsolescence programmée et plus que compensée par une société solidaire.

Il n’est pas le seul gouvernement à être un visage à deux faces devant s’amender. Le gouvernement travailliste de l’Australie, le plus important exportateur mondial de charbon, s’est doté d’un « mécanisme de sauvegarde » lui permettant de limiter les émanations des 215 principaux pollueurs... tout en permettant de nouvelles installations productrices d’hydrocarbures (Down to Earth, The Guardian, 2/03/23). Le gouvernement norvégien ne vaut guère mieux comme possédant le fonds souverain basé sur les hydrocarbures le plus garni au monde ce qui lui permet d’être le champion mondial des véhicules électriques par habitant. D’un extractivisme à l’autre pourrait-on dire.

Marc Bonhomme, 4 mars 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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