Le mouvement contre la production du pétrole des sables bitumineux et ses moyens de transport, oléoducs et les pétroliers, est en développement et gagne du souffle au pays. C’est à Victoria, en Colombie britannique le 22 octobre dernier, que nous en avons eu des preuves. 4,000 à 5,000 personnes ont manifesté en face du parlement provincial pour envoyer un message fort à l’industrie des sables bitumineux. On pouvait lire sur leurs pancartes : « Pas d’oléoduc à travers la Colombie britannique ! Pas de pétroliers le long de nos côtes ! »
Deux jours plus tard, des centaines de militantEs ont visité plus de 60 bureaux de députés provinciaux partout dans la province. Les deux actions se tenaient sous l’impulsion d’une nouvelle coalition : Defend Our Coast.
Le ralliement de Victoria était largement dominé par la présence amérindienne. Leur discours et leur musique ont durées des heures.
Un acte important de désobéissance civile
Des bâtons de bois ont été enfoncés dans le gazon de la législature. On y a attaché 235 mètres de tissu noir pour symboliser l’espace qui sera occupé par les pétroliers qui vont transférer le pétrole toxique depuis l’Alberta jusqu’à la côte britano-colombienne via les oléoducs, si l’industrie pétrolière en arrive à ses fins. Des centaines de ces pétroliers navigueraient le long des côtes de la province qui sont riches en bio diversité dans des eaux difficilement navigables.
Dans un discours enflammé lors du rassemblement à Victoria, Art Sterrit, directeur de la Coastal First Nations a demandé aux participantEs : « Jusqu’où êtes-vous prêtEs à aller pour les arrêter ? Êtes-vous prêtEs à vous coucher devant les bulldozers » ? OUI ! a répondu la foule en chœur.
Dans un autre discours, le chef héréditaire, Pete Erickson à déclaré : « Il est temps de combattre » ! Il en référait aux combattants (warriors) qui ont traditionnellement défendu l’auto-défense dans les sociétés amérindiennes.
Le Grand Chef Stewart Phillip, de la Union of BC Indian Chiefs, a insisté sur la nécessité pour les peuples amérindiens de lutter côte à côte contre l’oléoduc : « Nous allons nous battre contre ce projet inadmissible devant les comités d’examen, devant toutes les cours de ce pays, et si nécessaire, avec des barricades sur le terrain. Nous n’allons pas nous écraser, nous n’allons pas reculer. Nous allons empêcher Enbridge et Kinder Morgan d’aller plus loin que la rédaction de leurs projets ».
Les policiers de Victoria ne se sont pas opposés à l’installation des poteaux de bois sur le gazon du parlement. Leah Norwood, de Qualicum Beach, a déclaré au Victoria Times-Colonist : « Comment pouvons-nous dire ‘beautiful British Columbia’ si nous la déguisons avec un oléoduc qui va traverser nos forets et détruire nos côtes. Si je suis arrêté, tant pis ; ce sera pour une bonne cause ».
Le message a été répercuté dans six forums publics qui se sont tenus à travers la province au cours des jours qui ont suivi. Ils étaient organisés par le Conseil des Canadiens. Celui de Vancouver, le 25 octobre, a été envahi par une foule de 400 personnes. On allait y entendre Rueben George le petit fils du grand chef Dan George, gagnant d’un Oscar à titre de comédien, Maude Barlow, présidente du Conseil des Canadiens, Bill McKibben fondateur du mouvement pour la justice en matière de climat, 350.org et Caleb Behn un avocat amérindien, résidant du nord-est de la province et à propos de qui un documentaire, Fractured Land, a été tourné.
Le forum s’est tenu intentionnellement à Burnaby, dans la banlieue de Vancouver, parce que l’oléoduc de la compagnie Trans Mountain qui transporte le bitume des sables aboutit dans son port. La compagnie Kinder Morgan veut tripler la capacité de cette installation pour y transporter 850,000 barils par jour. L’oléoduc arrive d’Edmonton ; il mesure 1,150 kilomètre.
L’opposition vise aussi un autre projet d’exportation du pétrole albertain, l’oléoduc Northern Gateway qui s’étendrait sur 1,200 kilomètre et transporterait 525,000 barils par jour vers Kitimat sur la côte nord de la Colombie Britannique. (Un autre tuyau courra en parallèle pour transporter 200,000 barils d’un produit qui servira à diluer le bitume pour en faciliter le mouvement dans l’oléoduc).
Mme Barlow a résumé les principaux éléments inquiétants à propos du pétrole des sables bitumineux :
Ces sables couvrent une surface plus grande que celle de l’Écosse, dans le nord de l’Alberta.
Cette province a le plus haut taux d’empreinte carbone per capita, que nulle part ailleurs au monde.
On produit 2 millions de barils par jour de ce pétrole toxique en ce moment. Les producteurs veulent multiplier cette production par 4 ou 5.
Les étangs constitués pour recevoir les eaux usées issues de la production du pétrole à partir des sables bitumineux, couvrent maintenant 170 kilomètres carrés. Il s’en échappe 11 millions de litres par jour. On planifie la construction de 14,000 kilomètres d’oléoducs de plus. En Alberta seulement, on a comptabilisé 1,500 fuites venant des oléoducs depuis 20 ans.
Elle souligne que les dommages faits au climat par cette exploitation exigent qu’on élabore un mouvement d’opposition « comme on en a jamais vu ». Et elle cite en appui James Hansen, scientifique et porte parole pour la justice en regard du climat : « Si la production du pétrole des sables bitumineux albertains continue à se développer, s’en est fini du climat ».
Elle a aussi insisté sur l’obligation où se trouve le mouvement de reconnaitre le leadership des Premières Nations. Il faut, dit-elle, dès maintenant se concentrer sur les oléoducs : « Ce sont les veines des sables bitumineux. Si nous arrivons à empêcher leur étalement, nous pourrons arrêter l’expansion de la production de ce pétrole. À un moment donné ça s’arrêtera ». La foule l’a ovationnée quand elle a terminé en disant : « Notre slogan doit être : Vous ne passerez pas » !
Caleb Behn a parlé du développement de la production du gaz naturel dans son pays depuis 20 ans. On y a creusé des dizaines de milliers de puits « conventionnels ». Maintenant c’est la méthode de la fracturation qui se multiplie. Il a souligné que, selon lui, les populations du nord-est de la Colombie britannique verront leur mode de vie sérieusement affecté par l’extraction du gaz. Et il a insisté sur le fait que tout CO2 que nous produisons affecte la totalité de la planète ; c’est un enjeu mondial.
De son côté, Bill McKibben a rappelé que juillet 2012 a été le mois le plus chaud de tous le temps aux États-Unis. On a assisté à une sécheresse qui a fait augmenter les prix du maïs et du soja de 40%. Il a expliqué qu’au cours des 40 dernières années les océans se sont acidifié parce qu’ils absorbent de plus en plus de CO2. À la fin de l’été arctique, en septembre dernier, la glace ne couvrait plus que 25% de la surface moyenne calculée au cours des derniers 40 ans. C’est l’activité humaine qui a endommagé la biosphère et le pire est à venir a-t-il ajouté. « C’est ce qui arrive de plus important dans le monde et nous devons nous organiser pour le faire cesser ». Et il a conclut en disant : « L’industrie de l’énergie fossile est une industrie délinquante qui est hors de contrôle. Nous devons laisser le gaz et le pétrole là où il se trouve ».
Le mouvement face à des changements politiques
Ce mouvement d’opposition au pétrole des sables bitumineux grandit partout au Canada. Enbridge Corporation a demandé l’autorisation pour expédier son pétrole non raffiné vers l’Ontario et le Québec. En juillet dernier, une de ses vieilles installations s’est cassée au Michigan et a laissé écouler son bitume toxique dans la rivière Kalamazoo.
Le mouvement d’opposition fait face à d’importants défis. Comment convaincre les travailleurs et travailleuses de toutes catégories, en Alberta, en Colombie britannique et ailleurs au Canada de la valeur d’un virage vers des énergies moins dommageables. Souvent ils et elles viennent de régions du pays où le chômage est important et en plus, (dans cette industrie) les salaires sont exceptionnellement élevés. On observe aussi des embauches de personnels venant de pays pauvres.
Il ne s’agit pas du seul produit que ce défi concerne. Il s’applique aussi à l’industrie du charbon qui se développe à toute vitesse dans l’ouest du pays [2].
Les discussions autour de ce défi sont à leur balbutiement. Le Nouveau parti démocratique, lié aux syndicats, qui compose l’opposition à Ottawa en ce moment, et qui est susceptible d’être aux commandes en 2014, demeure redevable envers l’industrie pétrolière et gazière. Il ne rejette pas la poursuite de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux.
Quant au NPD de la Colombie britannique, il hésite sur la position à adopter en regard du projet Northern Gateway. Son chef, Adrian Dix, a déclaré que son parti s’opposait à cet oléoduc mais qu’il voulait aussi que la province procède à un examen du projet. (Il faudrait créer pour cela une toute nouvelle agence puisque le gouvernement fédéral a renvoyé cette responsabilité aux provinces). Mais, qu’y a-t-il à examiner si on sait déjà que le pétrole voyageant par oléoduc contribue à détruire le climat de la planète et que c’est dommageable pour les populations où il va passer ?
A. Dix et le NPD n’ont pas encore pris position quant au Trans Mountain Pipeline. Ils se sont prononcé pour le développement de l’extraction du gaz naturel par fracturation et pour l’installation des oléoducs qui sont reliés à cette industrie dans le nord-est de la Colombie britannique. De même pour la construction d’au moins 3 usines de liquéfaction du gaz à Kitimat. Tout cela va augmenter massivement les émissions de gaz à effet de serre de la province et déstabiliser ses installations de production d’électricité [3].
Les syndicats affiliés au NPD participent aux actions de protestation contre les oléoducs. Mais les deux plus importants dans le secteur, le CEP (qui doit fusionner avec les TCA ) et la Fédération du Travail de l’Alberta pressent l’industrie de bâtir des raffineries dans cette province pour y traiter l’huile des sables bitumineux et ainsi créer des « emplois pour les CanadienNEs ».
Le président du CEP, David Coles, après avoir annoncé par communiqué, la participation de son organisation aux manifestations à Victoria le 22 octobre dernier, a expliqué ainsi cette décision : « Nous ne pouvons plus permettre la construction d’oléoducs qui ne font que transporter le pétrole brut au-delà de nos frontières. Cela laisse nos propres communautés sans travail et sans moyens de développement. Nous croyons que le Canada doit se concentrer sur les emplois qui viendront du traitement de ce pétrole ici, au lieu de se précipiter pour augmenter nos capacité d’exportation de l’huile brute ».
Ces syndicats ne disent pas toutefois quel oléoduc ils favoriseraient pour transporter le pétrole raffiné hors d’Alberta. Leur position est très éloignée des mesures radicales invoquées par les orateurs-trices du forum du 25 octobre pour intervenir d’urgence sur la situation climatique [4].
Ce dont le monde a besoin, c’est rien de moins qu’un arrêt rapide de notre dépendance aux énergies fossiles et de l’organisation d’une transition des travailleurs vers la production d’énergies alternatives. Avec le développement d’autres types d’activités économiques socialement utiles [5]