Vous pensiez que l’évaluation de la gravité d’un accident nucléaire était rigoureusement scientifique ? Vous aviez tort ; c’est (aussi) une affaire éminemment politique. Ainsi, ce n’est qu’après les élections locales du 10 avril que le gouvernement japonais a reconnu que celui de Fukushima Daiichi atteignait le « niveau 7 », [1] le plus élevé sur l’échelle INES [2].
Tokyo avait tout d’abord annoncé, contre toutes évidences, qu’il ne s’agissait que d’un accident de niveau 4 (qui ne produit que des « rejet mineur de matières radioactives n’exigeant probablement pas la mise en œuvre de contre-mesures prévues autres que la surveillance des aliments locaux »). Ce classement a été maintenu du 12 mars au 18 mars, pendant toute la phase de rejets intenses de radioactivité (dégazage, explosions, incendies..) ! Puis, Tokyo a longtemps prétendu qu’il ne dépassait pas le niveau 5 (soit des rejets radioactifs « limités »).
Cette succession de mensonges n’a pas empêché le parti gouvernemental de perdre les élections locales (cependant, sa défaite aurait peut-être été encore plus sévère si la vérité avait été dite plus tôt). Le gouvernement doit maintenant préparer la population à une crise nucléaire durable : l’entreprise responsable du site, Tepco, annonce en effet – sans garantie ! – qu’il lui faudra de 6 à 8 mois pour mettre à l’arrêt la centrale (quant au démantèlement des installations, nul ne sait ce qu’il en sera).
Les autorités nucléaires françaises, jouant l’apparence de la transparence, laissaient depuis longtemps entendre que l’accident de Fukushima était de niveau 6. Pourtant, au lieu de se réjouir de la franchise tardive de leurs homologues nippons, elles font aujourd’hui la fine bouche.
Tout est en effet dans le symbole. Nul ne « visualise » ce que signifie le niveau 6 de gravité (« plus que 5, moins que 7 » a finement répondu un expert interrogé à ce sujet à la télévision). On peut donc prétendre espérer encore que la « catastrophe » sera évitée. En revanche, le niveau 7 évoque immanquablement Tchernobyl. Force est alors de reconnaître que la catastrophe est là ; et depuis les tout premiers jours.
Force est aussi d’avouer qu’une catastrophe nucléaire peut se produire dans l’un des pays technologiquement les plus avancés du monde…
Quelles que soient leurs imperfections (voir plus loin), les informations fournies au Japon justifient pleinement la requalification de l’accident au niveau 7 de l’échelle INES. Pourtant, signe de l’importance qu’accorde à cette question le lobby nucléocrate, l’Association internationale de sûreté atomique (AIEA) s’est mobilisée. L’aveu de Tokyo a été suivi d’une véritable offensive médiatique pour dire que l’on ne pouvait en rien comparer Fukushima à Tchernobyl [3], car la radioactivité libérée jusqu’à aujourd’hui (qu’en sera-t-il demain ?) ne serait que de 10% de ce qui s’était produit en 1986.
Il est bien difficile de comparer les niveaux d’émission de radioactivité quand les chiffres officiellement fournis manquent à ce point de crédibilité et sont aussi incomplets. Les autorités japonaises n’ont pas communiqué les hypothèses et calculs qui fondent leurs conclusions. Seuls les rejets atmosphériques ont été pris en compte et pas les très importants rejets marins. La virulence de la radiotoxicité ne peut être estimée, car trop peu de radioéléments sont pris en compte. Il est vraiment urgent qu’au Japon, des associations puissent effectuer des mesures indépendantes, comme le fait en France la Criirad [4]. Les réseaux antinucléaires internationaux devraient les aider à se doter du matériel nécessaire.
Par bien des aspects, ceci étant dit, Fukushima est plus grave que Tchernobyl. Parce qu’il implique dans un même temps quatre réacteurs et non un seul (un cas de figure qui n’avait jamais été envisagé par les autorités internationales). Parce que le tonnage du combustible nucléaire présent sur les installations de Fukushima Daiichi est bien plus important (1760 tonnes au lieu de 180 tonnes pour le réacteur n°4 de Tchernobyl).
Parce qu’il ne peut pas être imputé à l’irresponsabilité d’ingénieurs-apprentis sorciers (comme on l’a fait en 1986). Parce qu’il a fait mentir toutes les assurances données sur les risques encourus (la possibilité d’un tremblement de terre de force 9 dans cette partie du Japon avait été écartée). Parce qu’il dure beaucoup plus longtemps – et ne cesse de libérer de la radioactivité. Parce qu’il se produit 25 ans après l’expérience traumatique de Tchernobyl, dans une centrale censée être bien mieux sécurisée – et au Japon, pas dans un Etat en crise comme l’était alors l’Ukraine soviétique.
En mentant pendant un mois sur la gravité de l’accident, le gouvernement japonais n’a pas pris quand il l’aurait dû des mesures de protection de la population et des travailleurs intervenant sur le site [5]. En noyant le poisson, les autorités nucléaires françaises et internationales tentent d’interdire tout réel débat sur la politique énergétique. Un véritable déni du droit à l’information et au choix démocratique. Voilà les véritables problèmes.
Le 3 avril, le militant Kazuyoshi Sato s’est adressé à un rassemblement tenu non loin de la centrale en crise. « Je me suis engagé voilà 20 ans dans le Réseau de Fukushima pour la Dénucléarisation ; et nous voici aujourd’hui confrontés à une catastrophe nucléaire en cours. » [6] Nous ne voulons pas avoir à tirer le même constat amer devant d’autres centrales, que ce soit en France, au Japon ou ailleurs. Il faut sortir du nucléaire. Maintenant.
Notes
[1] Voir à ce sujet le communiqué de la Criirad, reproduit sur ESSF (article 21101) : L’autorité de sûreté nucléaire japonaise considère que les accidents survenus à la centrale de Fukushima Daichi doivent être classés au niveau 7, le plus élevé.
[2] International Nuclear Event Scale – Echelle internationale des événements nucléaires.
[3] pour affirmer aussi que Tchernobyl, finalement ce n’était pas si grave.
[5] Concernant ce dernier point, voir sur ESSF (article 21123), Pierre Rousset : Fukushima ou l’inhumanité capitaliste.
[6] Voir sur ESSF (article 21130), « I have engaged in the activities of our Fukushima Network for Denuclearization for more than 20 years, but we are now confronted with the ongoing nuclear disaster ».