David Suzuki avec la collaboration de Ian Hanington, Rabble
23 janvier 2019
Étiquettes : Environnement, Médias
Traduction : Ludovic Fortin-Turmel
Ce taux grimpe à 87% en Alberta, où 96% de la population estime que le fait de ne pas construire de nouveaux oléoducs aurait une incidence significative sur l’économie canadienne. Ce n’est guère surprenant. Tous les grands journaux appartiennent à la même entreprise et les partis politiques de gauche comme de droite privilégient avant tout les intérêts des entreprises d’hydrocarbures ; même des établissements d’enseignement comme l’Université de Calgary sont influencés par l’industrie.
Quand le National Post a signé en 2013 une entente avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), son éditeur, Douglas Kelly, affirmait : « Nous allons travailler avec l’ACPP pour affirmer notre mandat en faveur du secteur de l’énergie et pour faire partie de la solution afin que le Canada demeure compétitif sur les marchés internationaux. Le National Post prendra tous les moyens éditoriaux, techniques et créatifs pour faire progresser cette discussion primordiale. » Cette entente et cette vision ont ensuite été étendues à la société - mère du Post, Postmedia, qui détient la plupart des grands quotidiens au Canada et plusieurs journaux communautaires.
Les pages d’opinion du National Post sont remplies de déni climatosceptique, avec peu de points de vue opposés. Le gouvernement de l’Alberta a dépensé 23 millions de dollars dans une campagne publicitaire trompeuse pour convaincre les gens que la Colombie-Britannique fait du tort au pays en s’opposant au projet d’un oléoduc reliant les sables bitumineux à Vancouver.
Est-ce que le manque de capacité pipelinière est une crise ? N’y a-t-il pas des enjeux qui devraient nous concerner davantage ?
La plupart de l’information que les gouvernements et les médias répandent à propos des oléoducs est fausse. La Première ministre albertaine, Rachel Notley, affirme que le Canada perd 80 millions de dollars chaque jour en raison d’une « baisse » du prix des sables bitumineux canadiens, baisse qui pourrait être contrée par la construction d’un oléoduc pour accroître les exportations vers d’autres marchés que les États-Unis. Ce chiffre est le double des estimations d’un rapport de la Banque Scotia qui s’est avéré, lui aussi, inexact.
Il n’y a pas vraiment de baisse du prix des hydrocarbures canadiens, de même qu’il n’y a pas de pays à l’extérieur des États-Unis qui réclament notre pétrole. Le prix des sables bitumineux est bas parce qu’il en coûte cher de les extraire, de les raffiner et de les diluer avant d’exporter le brut par oléoduc. Comme Will Horter l’écrivait dans le National Observer, les nouvelles normes d’exportation maritimes sur le pétrole, limitant les hautes teneurs en soufre sur le brut lourd vont « réduire les parts de l’Alberta sur le marché du pétrole transporté par navire et ajouter deux à trois dollars par baril sur les coûts du raffinage pour retirer le soufre ».
De plus, les coûts économiques et sociaux de la pollution et des impacts climatiques de l’extraction rapide, de l’exportation et de la consommation de ces énergies fossiles, que le produit final soit brûlé ici ou ailleurs, vont continuer d’augmenter avec la hausse mondiale des émissions de CO2 et le réchauffement climatique. Cela est une véritable crise !
Le Bureau d’assurance du Canada a signalé que les dommages (résidences, commerces, automobiles) causés par des événements liés à des conditions climatiques extrêmes ont coûté en 2018 aux assureurs 1, 9 milliard de dollars, une hausse de 300 à 400 millions de dollars depuis 2009.
Cela ne représente qu’une fraction des coûts que doivent assumer les gouvernements, les entreprises et les particuliers, attribuables aux changements climatiques, à l’augmentation des impacts sur la santé, aux dommages et à la perte d’habitats, au nettoyage des puits de gaz et de pétrole abandonnés, aux fluctuations des marchés énergétiques internationaux, à la sécurité alimentaire et de l’eau, et au nombre croissant de demandes de statut de réfugiés.
Selon une étude de Nature Communications, le monde pourrait atteindre les objectifs des Accords de Paris sur le climat et ralentir les impacts des changements climatiques en abandonnant les énergies fossiles et leurs infrastructures. Cela s’inscrit dans la ligne du récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui affirmait que nous devons prendre des mesures importantes au cours des douze prochaines années pour réduire l’impact désastreux du réchauffement climatique.
Abandonner les énergies fossiles ne sera pas facile, mais c’est nécessaire et nous devons agir dès maintenant. Les solutions ne manquent pas. Les technologies liées à des énergies propres s’améliorent en même temps que leurs coûts baissent, offrant aussi des possibilités tant pour l’économie que l’emploi. La tarification sur le carbone a prouvé son efficacité en permettant de réduire notre dépendance au charbon, au pétrole et au gaz et en encourageant l’efficacité énergétique et des solutions de rechange plus propres.
Ce qui ne nous aidera pas est de poursuivre fébrilement les forages, la fracturation hydraulique et la vente de ces énergies fossiles nocives pour le climat, jusqu’au moment où les marchés s’effondreront face aux changements climatiques et à des solutions plus viables. Toutes ces personnes dans les médias, le gouvernement, l’industrie et la société qui manquent de vision, d’imagination ou de courage pour reconnaître notre devoir et la tâche à accomplir font peser un grand risque au monde.
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