« Continuons », et approfondissons la recomposition politique amorcée aux élections de 2018
Les reculs du Parti Libéral du Québec et du Parti Québécois se sont poursuivis. Le PLQ a dû porter durant ces élections les stigmates de la gestion néolibérale et anti-québécoise des gouvernements Charest et Couillard : politiques d’austérité en santé et en éducation, politiques antisyndicales systématiques, refus de la défense de la langue française et aplaventrisme total devant le gouvernement fédéral. Sans oublier, les scandales divers mis en lumière par la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction qui a jeté une lumière crue sur la corruption du Parti libéral du Québec. Dans la majorité des circonscriptions à majorité francophone, ce parti n’a pas été à même d’aller chercher plus que 5% des votes.
Le PQ a connu un recul majeur en 2014, puis en 2018. En 2022, il a continué son recul tant au niveau des suffrages obtenus que de l’élection de trois députés. Il n’a pu croire à une remontée qu’à la lumière des sondages qui annonçaient une situation encore plus catastrophique. Depuis la défaite du référendum de 1995, ce parti, dans toutes les élections qui ont suivi a refusé de faire de la défense de la souveraineté le centre de sa plate-forme. Il a à chaque fois promis qu’il n’y aurait pas de référendum sur cette question. Il a sans cesse oscillé depuis lors entre visées sociales et politiques néolibérales. Ses politiques environnementales sont allées du soutien à l’exploitation des hydrocarbures par le gouvernement Marois à une perspective de capitalisme vert. Malgré le redressement tenté sur ces terrains par la nouvelle direction de ce parti, il a, encore une fois, payé le poids de ces politiques passées. Sur le terrain national, s’il a osé, enfin, parler d’indépendance, il est resté engoncé dans un nationalisme identitaire illustré par le refus de reconnaître la réalité du racisme systémique dans la société québécoise, par sa défense de la loi 21 et par la proposition d’un seuil d’immigration qui se situerait à 35 000 personnes par année, s’il prenait le pouvoir.
1. La victoire de la CAQ approfondit ce processus de recomposition déjà bien amorcé.
La CAQ s’est construite sur cette marginalisation du PLQ, particulièrement dans la population francophone et sur la décomposition du bloc souverainiste dirigé par le PQ. Il a réussi à remplacer le bloc souverainiste par un bloc nationaliste et autonomiste qui a continué à affaiblir et à marginaliser le PQ. Il a donc réussi à dépasser l’ancienne polarisation entre fédéralisme et souverainisme des dernières décennies et à imposer suite aux défaites référendaires, un fédéralisme plus autonomiste. Si on additionne les votes de la CAQ, du PLQ et du PCQ., c’est près de 70% de la population qui se rallie maintenant à des partis qui défendent, chacun sous un mode particulier il est vrai, le fédéralisme canadien.
2. Des postures qui consolident son enracinement
a. un tournant vers le verdissement du capitalisme
Lors des élections de 2018, le gouvernement de la CAQ avait fait la preuve d’une cécité importante sur la lutte aux changements climatiques. Les manifestations massives de l’automne 2019 ont fait comprendre au gouvernement Legault qu’il ne pouvait rester insensible aux préoccupations de la population du Québec à cet égard. Il a alors entrepris d’opérer un virage vert. S’il a maintenu les cibles de réduction des GES de 37,5% du gouvernement Couillard, il a élaboré un Plan pour une Économie Verte, et prétendu faire du Québec la pile de l’Amérique du Nord. Il a parlé d’un plan pour la transition énergétique. Il a fait de l’électrification du parc automobile, le centre de son plan vert. Il a fait du soutien financier aux entreprises voulant opérer le tournant vers une économie verte l’axe de ce plan. Il a mis fin à son soutien au projet de GNL-Québec. Il s’est engagé à mettre fin à l’exploitation de ressources pétrolières sur le territoire du Québec. Il a donc su se défaire, au moins partiellement, de son image de gouvernement lié au développement des énergies fossiles.
b. Un raidissement contre les revendications syndicales et populaires.
Ce gouvernement a également répondu aux revendications patronales en s’opposant à toutes les politiques de redistribution des richesses. Il a refusé la hausse du salaire minimum à 15$, puis à 18$ de l’heure. Il s’est opposé à toutes concessions importantes à l’ensemble des salariés-é-s du secteur public. Les revendications accordées sont bien en deçà de l’inflation qui s’est développée en 2022. Il n’a pas hésité à suspendre l’application des clauses de conventions collectives pour faire face à la pandémie alors qu’il s’est refusé à accorder les moyens de protection appropriés aux travailleuses et travailleurs de ce secteur. Il a reculé sur les rémunérations des employé-e-s de garderies qu’à la faveur de luttes importantes. Il a dénoncé des arrêts de travail, même quand c’était les patrons qui en étaient à l’initiative. L’acceptation de son gouvernement de surseoir à l’application des normes de la santé publique dans nombre d’entreprises répondait à un soutien sans faille aux revendications du patronat. Sans négliger, la manipulation par des menaces de fermetures comme à la fonderie Horne de Rouyn-Noranda. Cela a pesé pour lui permettre de présenter ses choix politiques comme des choix pragmatiques et raisonnables. Encore, une fois, il a été complètement en phase avec les demandes et aspirations du patronat et de la clique médiatique qui lui est lié.
c. Le nationalisme identitaire pour diviser la majorité populaire
Déjà pour l’obtention de son précédent mandat, il a joué sur la crainte de l’immigration. Il a plaidé pour la baisse des seuils d’immigration de 10 000 par année. Il a proposé l’introduction d’un test des valeurs. Il a rejeté la tenue d’une commission d’enquête sur le racisme systémique. Durant son mandat, il a refusé de reconnaître l’existence du racisme systémique dans la société québécoise. Il a dénoncé la porosité de la frontière canadienne. Il a fait adopter la loi 21 d’interdiction des signes religieux, présentant cette contrainte à la liberté d’expression, comme la défense de la laïcité. Il a divisé la majorité populaire et a semé les craintes face aux personnes migrantes. Il a utilisé ce nationalisme identitaire comme le ciment d’un bloc afin de consolider une base électorale.
3. Des lendemains qui risquent de déchanter
a. La CAQ assume un véritable déni démocratique
41% des votes, 90 député-e-s. Le premier ministre Legault réussit à obtenir un deuxième gouvernement majoritaire. Les principaux partis d’opposition ont réussi à rallier 57% des votes, mais ne font élire que 35 député-e-s. Le Québec est divisé. La CAQ n’obtient que 2 député-e-s sur l’île de Montréal. Le Parti conservateur du Québec n’obtient aucune représentation à l’Assemblée nationale malgré ses 13% d’appui. Le PQ qui obtient plus de votes que le PLQ, ne va chercher que 3 députés alors que le parti de Dominique Anglade forme l’opposition officielle. C’est un véritable déni démocratique. Legault a déjà annoncé qu’il refusera toute ouverture d’un débat sur le mode de scrutin, bloquant toute réforme.
Accepter la réforme du mode de scrutin, ce serait reconnaître que la société québécoise est fortement divisée politiquement. Si le PQ pouvait compter sur autant de député-e-s que le PLQ, la voie serait ouverte pour la reconstitution d’un bloc souverainiste au Québec. Cela remettrait en cause le bloc nationaliste qui fait fi de toute perspective indépendantiste. Si le PCQ n’était pas exclu d’une représentation à l’Assemblée nationale, la CAQ ouvrait la possibilité que s’ouvre sur sa droite la montée d’un parti conservateur qui pourrait lui ravir une partie de sa base conservatrice. Si Québec solidaire était pleinement représenté, c’est une alternative de gauche qui serait à même de bouleverser l’échiquier politique et de recomposer le champ politique sur de nouvelles bases. Le premier ministre Legault et sa députation en sont bien conscients. C’est pourquoi, si ce gouvernement veut continuer de pouvoir prétendre représenter l’ensemble du Québec alors qu’il n’a été cherché que 40% des votes, il faut qu’il assume un déni démocratique de plus en plus visible par une bonne partie de la population.
b. La détérioration des services publics va se poursuivre.
Le gouvernement de la CAQ va continuer de refuser de faire un réinvestissement massif dans les services publics. Alors qu’il avait des surplus, il a refusé de le faire. La diminution des impôts qu’il projette va diminuer ses possibilités de faire les investissements qui s’imposent. Avec la récession économique qui s’annonce, il risque de s’appuyer sur cette situation pour développer de nouvelles politiques austéritaires qui vont approfondir la détérioration des services publics. Cette détérioration vise à créer les conditions de la privatisation des services de santé et d’éducation. Le premier ministre Legault a déjà annoncé ses intentions à cet égard. La Chambre de commerce du Montréal Métropolitain demande d’ailleurs au gouvernement du Québec « de mieux tirer profit des innovations provenant du secteur privé afin d’optimiser la livraison des services publics. »
c. Une véritable redistribution des richesses pour lutter contre les inégalités n’est pas à l’ordre du jour pour le gouvernement de la CAQ.
Pour protéger les revenus de la majorité populaire, il prétend offrir un bouclier fiscal. Mais il refuse d’augmenter le salaire minimum. Il rejette avec la plus grande véhémence le renforcement de la taxation des plus riches et une redistribution des richesses alors que les inégalités s’approfondissent au Québec. Il répond aux revendications des associations patronales qui demandent au gouvernement de réduire le fardeau fiscal des entreprises et de mettre en place une fiscalité concurrentielle. Ce ne sont pas des chèques ponctuels qui permettront à la majorité populaire de défendre leur pouvoir d’achat face à l’inflation actuelle.
d. Le verdissement du capitalisme ne signifie en rien une volonté de lutte aux changements climatiques
Le gouvernement a déjà élevé le gaz naturel au rang d’énergie propre. Il a laissé le développement des énergies renouvelables aux mains des entreprises privées. Il a défendu, envers et contre tout, la construction d’un tunnel sous fluvial entre Québec et Lévis (le fameux troisième lien) permettant l’étalement urbain. Son sérieux de gouvernement œuvrant à la lutte aux changements climatiques a été fortement entamé aux yeux de la population. Son parti pris pour le verdissement du capitalisme s’inscrit dans une stratégie d’enrichissement de la classe entrepreneuriale du Québec. Cette orientation lui a permis qu’il se construise, sur ce terrain également, un soutien sans faille parmi les élites économiques. Son mot d’ordre « Plus de richesses, moins de GES » a été reprise par tous les tenants de l’écocapitalisme qui a trouvé un nouveau secteur pour assurer la croissance de l’économie et de leurs profits aux dépens des limites de la nature. Il ne saurait en rien être un partenaire dans la lutte aux changements climatiques.
e. L’immigration, une richesse ou danger mortel, c’est selon les fins poursuivies
Durant la campagne électorale, il a présenté l’immigration comme une menace à la langue française. Il a même affirmé qu’accepter un seuil de plus de 50 000 personnes était une attitude suicidaire pour la nation québécoise. Il inscrivait ainsi le Québec dans la logique de la forteresse assiégée, ce qui ne peut que paver la voie à des politiques discriminatoires et normaliser les discours xénophobes. Le PQ l’a suivi sur ce terrain… Il confortait ainsi son bloc nationaliste se présentant comme le défenseur de la nation québécoise face aux dangers représentés par l’immigration. Après les élections, le premier ministre Legault affirme maintenant que l’immigration est une richesse et qu’il se veut le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. On voit bien que ce sont selon les fins poursuivies que son discours se modifie et que ces différentes versions relèvent d’un positionnement stratégique. C’est faire preuve d’une grande naïveté que de les attribuer à de simples dérapages ou à leur correction.
4. Aucune collaboration ne doit être offerte à ce gouvernement
Que ce soit pour défendre les services publics, pour améliorer pour le pouvoir d’achat, pour faciliter la redistribution des richesses, pour contrer la crise climatique, pour assurer la lutte contre les discriminations envers les personnes migrantes, aucune confiance ne peut être accordé à ce gouvernement et aucune collaboration ne doit lui être offerte. Il ne saurait en rien être un partenaire dans ces différents combats.
C’est pourquoi nous ne pouvons que contester les déclarations des centrales syndicales (CSN, CSQ ou FTQ) qui assurent à ce gouvernement qu’elles collaboreront avec lui. Les invitations à ce gouvernement d’établir un véritable dialogue avec la société civile dont les représentant-e-s des travailleurs et des travailleuses ne peuvent que nourrir les illusions de ce qu’on peut attendre de ce gouvernement. Ce gouvernement s’appuie sur un tel déni démocratique que le dialogue social qu’il pourrait prétendre entamer nous préparerait de nouveaux coups fourrés. L’unité n’est pas à construire avec un tel représentant des élites économiques, mais c’est bien plutôt l’unité populaire prête à mener ces importants combats qu’il faut construire. La gauche politique pour sa part ne peut envisager de traiter ce gouvernement comme un partenaire, mais elle doit chercher à dévoiler et à dénoncer les politiques que le gouvernement de la CAQ s’apprête à mener contre la population du Québec.
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