Democracy Now, 30 décembre 2024
Traduction, Alexandra Cyr
photo Serge d’Ignazio
Nermeen Shaikh : Pendant que 2024 va vers la fin, nous recevons plus de détails d’information de la part du ministère de la santé de Gaza. Il confirme que depuis le 7 octobre 2023, 108,000 Palestiniens.nes ont été blessés.es dans des attaques israéliennes. Plus de 45,500 ont été tués.es mais en réalité cest beaucoup plus que cela. Pendant ce temps, les représentants.es de Gaza continuent à accuser Israël de bloquer délibérément l’aide et l’UNRWA a avisé que la « famine approche » à Gaza où la population fait face à une grande insécurité alimentaire.
Cela se passe alors que des milliers de protestataires israéliens.nes demandent au gouvernement Netanyahu de mettre fin à cette guerre, de déclarer une cessez-le-feu et de ramener les otages encore aux mains du Hamas, au pays.
Notre prochaine invité, le professeur Omer Bartov, soutien qu’Israël mène une combinaison « d’actions génocidaires, de nettoyage ethnique et d’annexion de la bande de Gaza ». (…) Il est allé récemment en Israël et en est revenu ce mois-ci.
Professeur Bartov, soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Pouvez-vous commencer par nous expliquer pourquoi vous pensez qu’un génocide est en marche à Gaza ?
Omer Bartov : Merci de votre invitation. (…) Comme vous devez le savoir, déjà en novembre 2023, j’ai publié une opinion dans le New York Times où j’écrivais que je croyais que les Forces de défense israéliennes (FDI) menaient des actions qui s’apparentaient à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Mais, je n’étais pas convaincu que les preuves étaient suffisantes pour parler de génocide. J’ai changé d’avis aux environs de mai 2024, quand la FDI a décidé, malgré l’opposition des États-Unis, d’envahir Rafa, la seule portion de la Bande de Gaza qui ne l’avait pas été. Il y avait là, environ un million de Palestiniens.nes qui avaient été déplacés.es plusieurs fois antérieurement. La FDI les a déplacés.es une fois de plus vers la plage, vers la zone de Mawasi où il n’y avait pas d’infrastructures adéquates du tout, seulement un camp de tentes le long de la plage et elle a procédé à la démolition de l’essentiel de Rafa.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à examiner toute l’opération en commençant par les déclarations faites par des dirigeants.es politiques et militaires israéliens.nes détenant une autorité d’exécution dès le début de la guerre les 7-8-9 octobre 2023. Ces déclarations affirmaient la volonté d’éliminer Gaza, de la détruire et que personne ne pouvait échapper à cette décision etc. etc. Il est devenu évident à ce moment-là, qu’il y avait une tentative systématique de rendre Gaza invivable et d’y détruire toutes les institutions qui rendent possibles la résistance d’un groupe non seulement physiquement mais aussi culturellement avec son identité et sa mémoire collective. Cela veut dire la destruction systématique des universités, des écoles, des mosquées, des musées et bien sûr des maisons et des infrastructures. Donc, ce qu’on pouvait voir alors c’était ce qu’on peut qualifier de destruction totale du milieu urbain, une tentative de détruire les centres urbains, de les détruire matériellement, de tuer les membres des institutions d’enseignement, des écoles, des professeurs.es d’université etc. Alors, la population qui a été déplacée tant de fois comme je vous l’ai dit plus tôt, dont un grand nombre a été soit tué, blessé ou affaibli ne pourra jamais se rétablir comme groupe dans cet endroit. C’est la dérive généralisée.
Mais, en octobre de cette année, un an après le début de la guerre, l’armée israélienne a commencé une opération dans le nord de Gaza, au nord de ce qu’on nomme le Corridor Nerzarim. En fait ce n’est pas un corridor, c’est une espèce de boite d’environ 5 milles de large sur 5 milles de long. Il s’agit de vider tout ce qui est au nord de ce corridor de sa population. C’est un plan qui a été mis de l’avant par un général retraité, M. Giora Eiland à la télévision israélienne quelques mois au paravent. Il s’agit de forcer toute la population à s’en aller par l’action militaire, par la famine en la privant de nourriture et d’eau. De fait, la majorité de cette population a été déplacée. Cette dernière attaque contre l’hôpital dont vous parliez plus tôt (dans l’émission), n’est qu’un pas de plus pour arriver à rendre cette zone libre de toute population.
Un ancien chef de cabinet du ministre de la défense, lui-même faucon en cette matière, a qualifié ce genre d’opération de nettoyage ethnique dans les médias israéliens. Mais, le nettoyage ethnique implique que vous déplacez une population, un groupe ethnique particulier d’un endroit où vous ne voulez pas qu’elle soit, vers un autre où elle sera au moins protégée de ces attaques. Mais, évidemment à Gaza, quand vous déplacez des gens d’un endroit à un autre prétendument sécurisé … il n’y a pas de ces dites zones sécurisées, ces personnes ne sont pas en sécurité et sont constamment soumises à des attaques. C’est ce qui fait que ces soit disant nettoyages ethniques font partie d’opérations génocidaires.
En ce moment, les médias israéliens traitent avec une certaine insistance la situation dans la portion nord de Gaza. Comme elle a été rasée et vidée de sa population, des groupes de colons attendent de l’autre côté de la clôture pour y entrer et démarrer une aire de colonisation avec le projet de l’occuper totalement. Et lorsqu’ils en seront là, après que l’armée les aura autorisés à entrer, je ne vois aucun mécanisme en Israël proprement dit, et même internationalement bien franchement, qui pourrait les en faire sortir. Ce serait donc le commencement d’une annexion rampante et de recolonisation puisque la zone aurait été vidée complètement de sa population palestinienne.
N.S. : Professeur Bartov je veux que vous nous parliez des facilitateurs de cette situation que vous appelé » génocide ». La semaine dernière la chroniqueuse Nesrine Malik publiait dans le Guardian sa chronique intitulée : Un consensus émerge : Israël commet en ce moment un génocide à Gaza. Que faisons-nous ? Elle condamne ce qu’elle appelle la complicité de l’Occident dans ce qui se passe actuellement à Gaza. Elle souligne : « Actuellement, les Palestiniens.nes sont en danger de mourir deux fois. Physiquement, et ensuite moralement parce les puissants.es restreignent les règles qui définissent le monde tel que nous le connaissons. En refusant la désignation de génocide et de nettoyage ethnique, en ne s’en occupant pas, les alliés d’Israël imposent au monde une adaptation après laquelle il sera possible de simplement accepter que les droits ne sont plus consacrés par l’humanité mais sont laissés aux mains de ceux et celles qui décident qui est humain ou non ». Professeur Bartov pouvez-vous répondre à cette opinion ? Comme vous dites qu’un génocide est en cours à Gaza, il ne serait pas possible sans la complicité et l’implication directe des pouvoirs occidentaux en particulier celui des États-Unis. Donc, en ce sens, mais aussi par association, ils sont aussi coupables de génocide ?
O.B. : (…) Je vais commencer par dire premièrement et par-dessus tout, que la population qui est la plus responsable de ce que fait Israël en ce moment, est la population israélienne. Il y a une profonde complicité entre cette population dont les partis d’opposition, avec ce que fait son gouvernement en le soutenant. Nous pouvons donc en parler.
Mais, bien sûr, Israël ne pourrait pas poursuivre son programme envers Gaza sans le soutien total particulièrement américain mais aussi européen dont l’Allemagne au premier chef mais aussi de beaucoup d’autres dont la France et le Royaume Uni. L’administration Biden aurait pu mettre fin à cette guerre aussi tôt qu’en novembre ou décembre 2023. Israël est incapable mener de telles opérations à cette échelle, sans l’aide constante des États-Unis qui lui fournit une énorme quantité de munitions sur une base quotidienne ; des tanks, des obus, et des intercepteurs de roquettes. Tout cela arrive en masse depuis les États-Unis au prix actuel d’environ 20 mille milliards de dollars des impôts des Américains.es. Si l’administration américaine avait dit à B. Netanyahu en décembre 2023 : « Vous arrêtez ça ou vous aller vous retrouver seul », il se serait arrêté parce que c’était simplement impossible qu’il continue seul. Mais ça n’a pas été fait.
Évidemment nous en voyons le résultat : premièrement, une destruction massive de Gaza. Ensuite c’est tout l’édifice des lois internationales mises en place dans la foulée de la deuxième guerre mondiale et l’holocauste, avec le Tribunal de Nuremberg en 1948 et les accords de Genève de 1949 et maintenant le Statut de Rome, en vue de prévenir la commission de génocides. Tout cet appareil est privé de son sens si un pays comme Israël, soutenu par ses alliés occidentaux, peut agir en toute impunité. Donc, des pays voyous dans le monde pourront conclure que si Israël le fait pourquoi-pas eux ? En ce sens, nous sommes face à un effondrement moral et éthique total dans les pays précis qui se disent protecteurs des droits civiques, de la démocratie, des droits humains dans le monde. Et une partie de cette catastrophe qui se passe maintenant va avoir de bien plus importantes ramifications dans le futur.
N.S. : Professeur, vous étiez en Israël le mois dernier. Vous avez parlé à bon nombre de personnes. Quelle est leur perception de Gaza selon vous ? Est-ce qu’il y a des critiques en ce moment ? Est-ce qu’elles sont plus vastes, évidentes par rapport aux actions d’Israël à Gaza qu’elles n’étaient plus tôt cette année, à l’été quand vous y étiez ou l’an dernier ?
O.B. : Oui, j’étais en Israël en juin 2024. Quand je parlais avec les gens à ce moment-là, pour la plupart des libéraux conventionnels ou de la gauche et que je mentionnais ce qui se passait à Gaza, je faisais face à une énorme réticence à juste en parler. Ces personnes étaient complètement envahies par le traumatisme et la peine suite à l’attaque du Hamas le 7 octobre précédent. 900 civils.es et plusieurs centaines de soldats.es y ont été tués.es.
Cette fois, quand j’étais en Israël le mois dernier, j’ai senti que plus de gens étaient au fait de ce qui se passe à Gaza même si la télévision israélienne, qui est encore totalement bloquée, ne donne volontairement aucune information sur Gaza. Tous ses reportages sont construits sur ce que lui transmet l’armée. Mais il y a eu des reportages dans les journaux et beaucoup sur les réseaux sociaux. Donc plus de gens je pense, sont au courant de ce qui se passe là-bas.
Mais quelle est leur réaction à cela ? Je crois comprendre que le sentiment de résignation, de désespoir et de découragement sont grandissants dans ce cercle mais qu’on pourrait espérer qu’il devienne l’opposition principale aux politiques du gouvernement d’extrême droite.
N.S. : Professeur Bartov, je suis désolée mais nous devons nous arrêter maintenant.
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