À eux deux, la première secrétaire et le premier ministre ont caporalisé cette première phase du congrès PS. Leur texte, récit du magnifique bilan de l’une et des impeccables débuts gouvernementaux de l’autre, avec moultes odes au « redressement dans la justice », a été signé par une très grande majorité des ministres, parlementaires, grands élus et cadres du parti. Après avoir imaginé déposer leurs propres textes, et beaucoup pesté contre l’initiative du duo , « Hollandais historiques », proches de Vincent Peillon et soutiens de Pierre Moscovici se sont finalement rangés. Parfois même de façon zélée, comme le patron des sénateurs socialistes François Rebsamen, enjoignant ses collègues se rallier eux-aussi.
« Ce n’est même plus du verrouillage, c’est du cadenassage », sourit le Marseillais Patrick Menucci, proche de Vincent Peillon, tandis qu’un jeune député soupire : « Ils nous gèrent ça comme un club Léo Lagrange : on est au courant de rien, on découvre tout au dernier moment, et on est prié de voter sans rien dire. » « Avant, la grosse motion unique était un passage obligé pour le PS au pouvoir, admet un cadre socialiste. Mais là, imposer d’emblée une contribution unique, c’est une nouveauté un peu inquiétante, qui ne laisse guère d’espoirs pour la suite du congrès et l’avenir du parti. »
Autre inquiétude parmi les signataires de la grande contribution : le contenu du texte « Réussir le changement ». « Il aurait pu être écrit il y a 5 ans, et il pourrait être écrit dans 5 ans », dit un nouvel élu au Palais-Bourbon… « J’espère que c’est volontairement flou et peu musclé, afin de permettre de l’améliorer avec les autres textes… », veut croire un autre jeune député, proche de Ségolène Royal.
Car dans la scénographie des congrès socialistes, la phase des contributions est le prélude à celle dite des motions (prévue début septembre), fusionnant les différentes contributions. Les contributions déposées, qui doivent être signées par au moins un membre des instances nationales du parti, sont au nombre de 18 (ainsi que plus d’une centaine de contributions dites thématiques, c’est-à-dire n’ayant pas vocation à devenir motion).
Parmi elles, on retrouve un texte des amis d’Arnaud Montebourg (mais non signé par le ministre du redressement productif), un autre de Gaëtan Gorce et Juliette Méadel, une du pôle écologiste du PS, une « contribution citoyenne », une du réseau Utopia, une d’anciens jeunes cadres du courant DSK, ou encore une de Julien Dray, sous forme de pièce de théâtre. Autant de contributions qui devraient rejoindre sans barguigner la majorité « Aubry-Ayrault » en septembre.
Ayrault appelle Hamon au rassemblement
Seul Benoît Hamon a enfreint la consigne du chef de gouvernement et signé la contribution de son courant (« Réussir le changement »). Le chef de file de l’aile gauche du PS veut laisser passer l’été et voir comment évolue le débat, pour décider s’il rejoint ou non la future grosse motion. Mais devant les micros, le premier ministre l’a d’ores et déjà prévenu : « J’ai eu une discussion avec lui. Il est membre du gouvernement. Je souhaite qu’au moment où l’on soumettra une motion au vote des militants, nous soyons tous rassemblés. »
Cette attitude crispe les proches du ministre délégué à l’économie sociale et solidaire, arrivés tous ensemble au conseil national. « Ils feraient mieux de ne pas trop spéculer à l’avance ! » grimace le député Pascal Cherki. « On n’a pas eu de débat interne depuis la primaire, et pas eu de discussions depuis la présidentielle, dit-il. Or la situation a évolué. Je comprends bien le souhait de réussir une grand-messe unitaire, face au congrès de l’UMP (qui a lieu peu de temps après – ndlr). Mais ça, c’est de la com’ ! Nous, on fait de la politique… »
Benoît HamonBenoît Hamon© Reuters
Parmi les signataires du texte Hamon (également paraphé par 23 députés de l’aile gauche du SPD allemand), certains ont fait le choix de soutenir également deux autres contributions. Celle de Gérard Filoche, axée sur la question du travail, des revenus et de la retraite à 60 ans. Et celle de Marie-Noëlle Lienemann, également signée par le président du conseil général de l’Essonne Jérôme Guedj, portant essentiellement sur la question européenne et défendant notamment l’idée d’un référendum pour ratifier les nouveaux traités européens. Eux ont déjà prévenu : si le courant Hamon se rallie à la majorité du parti, ils déposeront leur motion. Mais ils sont déjà un certain nombre parmi les figures de l’aile gauche à espérer présenter un texte alternatif à celui d’une future « grosse motion ».
« On veut apporter nos idées et essayer d’infléchir la ligne, on n’est pas là pour se battre pour avoir un membre en plus au bureau national, dit Pascal Cherki. D’ailleurs si on va à la motion, on ne présentera pas de candidat. » Certes, mais en déposant une motion, les « hamonistes » auront la certitude d’être représentés dans les instances à hauteur du résultat réalisé dans les urnes militantes. Un luxe, par rapport aux autres « chapelles » du PS, toujours dans l’incertitude quant à l’application concrête de la future unité du partie, promise par Aubry et Ayrault.
Quelle nouvelle équipe ? quels enjeux ?
Car cela reste la grande inconnue de ce congrès : qui dit « grosse motion », dit direction « décidée d’en haut ». Comme avec Mitterrand et Jospin en 1981 et 1997. Personne ne sait vraiment comment vont se décider les renouvellements des équipes de direction du PS, nationales et locales. « En l’absence de comptage des forces, une seule chose est sûre : c’est Martine qui a la main, soupire un cadre socialiste. Elle peut très bien nous refaire le coup qu’elle vient de réussir : elle choisit les noms qu’on lui soumet, et si elle n’est pas d’accord ça part au clash… Jusqu’à ce que Ayrault et Hollande disent d’arrêter et lui donnent le dernier mot ».
Une indication tout de même : le conseil national de ce mercredi a entériné la nomination d’une trentaine de nouveaux secrétaires nationaux (voir le nouvel organigramme sous l’onglet Prolonger), dont on n’imagine mal qu’ils ne soient nommés que pour trois mois et n’aient pas de fortes chances de se retrouver dans la future direction (bien qu’il ne comporte que 39 % de femmes).
Certains plaident pour que l’on s’appuie sur les résultats de la dernière primaire pour répartir les postes. Ils ont peu de chance de voir leur requête aboutir, Martine Aubry ayant bien l’intention de conserver la main sur Solférino. Si elle surjoue l’irritation face aux questions de la presse sur le sujet, la première secrétaire sortante assure qu’elle quittera la tête du parti « si les conditions sont réunies, et un grand nombre le sont aujourd’hui ». Mais le mystère reste entier sur son éventuel successeur, celui qui sera le premier signataire du texte déposé en septembre. D’ici là, un candidat de compromis entre aubrystes et hollandais devra avoir fait consensus.
À ce jour, seuls Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis se sont déclarés. Leurs chances sont quasi-nulles. Les noms d’Olivier Faure, d’Anne Hidalgo ou de Guillaume Bachelay transpirent dans les journaux, mais sans que l’on ne sache quelle est la part de machiavélisme de ces fuites, souvent initiées par d’autres qu’eux. Le nom de François Rebsamen est aussi avancé, mais Martine Aubry ne goûte pas franchement d’être remplacée par celui qui a tenté de la renverser, après les européennes de 2009.
Dans ce contexte où l’unité du parti et la bonne entente au service du « redressement dans la justice » priment sur tout le reste, mais où les inconnues sont encore grandes, difficile d’imaginer quels vont pouvoir être les enjeux du futur congrès de Toulouse. La question européenne risque bien d’être le seul clivage de fond, mais seulement si la situation économique changeait d’ici là. Pour l’heure, presque tout le monde au PS s’est accordé pour saluer les efforts de réorientation du président Hollande, en faveur de la croissance.
Plus sûrement, les débats internes du PS pourraient tourner autour de la rénovation du parti. En premier lieu, le respect de l’engagement des parlementaires socialistes à ne plus cumuler de mandats pourraient animer les échanges de pré-congrès. Les questions des statuts du parti, de la parité, de la lutte contre le clientélisme dans les fédérations, de la mise en œuvre d’une école de formation de futurs cadres, de l’application des primaires au niveau local commencent à être évoquées dans les discussions de couloir. Mais il est encore trop tôt pour savoir si Martine Aubry et Jean-Marc Ayrault autoriseront les socialistes à en parler vraiment.