Le but était de vendre aux Québécois et aux Québécoises ce pétrole dont on ne connait encore ni la quantité exacte qui pourrait être exploitée, ni le profit financier qu’on pourrait en tirer. En cette période de crise économique qui s’éternise, offrir cette manne hypothétique à une population, dont chaque rapport annuel nous annonce qu’elle est surendettée et inquiète pour son avenir, c’est lui faire miroiter des bidous qui n’existent qu’au pays de Cocagne. Un grand acte de foi envers le dieu Richesse.
Mais selon la rhétorique de Monsieur Landry, moi, militante écolo, je devrais me taire, puisque non investie de la science infuse dont il se pare, lui, en compagnie de ses pairs. Je fais effectivement partie de cette « mouvance écologiste » telle que la nomme, de façon assez hautaine, le journaliste Alain Dubuc dans la Presse du 10 janvier dernier.
Le même jour, Monsieur Landry, était l’invité de Simon Durivage à « La période de questions » sur RDI. Au menu : le Manifeste, bien sûr. Inutile ici de répéter ses raisons invoquées, pour foncer tête baissée dans cette exploitation pétrolière. Je soulignerai simplement sa façon désinvolte d’éluder les risques environnementaux. « Le risque zéro n’existe pas », a-t-il répété. Oui, on l’a bien vu à Lac Mégantic et ces derniers jours au Nouveau Brunswick ! Et de discourir sur les mots écologie et économie, comme ayant la même racine, « éco ». Donc, selon lui, des mots indissociables ou interdépendants. Mais lequel prime pour lui, croyez-vous, l’éco-nomie ou l’éco-logie ? Vision on ne peut plus simpliste de la gérance de la grande « maison » (Oïkos en grec, nous a-t-il précisé !) québécoise.
Le discours était formaté pour emboucaner celui ou celle qui ne sait trop quoi penser de tout ce débat. Et pour conforter les autres qui voient déjà, comme la Perrette du pot au lait, ce pétrole miraculeux effacer notre ardoise et remplir nos coffres. Pour les dégâts, on s’arrangera… après. Mandaté par ses pairs, Monsieur Landry a eu tout le champ libre, puisqu’aucun environnementaliste n’avait été invité à débattre avec lui.
Ce qui m’a le plus indignée lors de cette émission, c’est une petite phrase insidieuse, lancée par notre ex-Premier Ministre, presqu’à la fin de l’émission : « Nos écologistes nous doivent logique, respect, rigueur ». Rien de moins.
« Nous », d’abord. Passe encore sur ce « nos » écologistes, mais ce « nous », qui représente-t-il, au juste ? « Nous » comme les bons citoyens, opposés à « eux » les mauvais ? Devrais-je entendre « nous » comme incluant l’ensemble de la société québécoise, ou bien « nous » petit groupe du genre éco-nomie, ou Néo-Lucides ? Autrement dit, en tant qu’écolo, Monsieur Landry m’exclut-il d’office du « nous » intégral dont je fais partie en tant que Québécoise ? Ou bien pensait-il à un « nous » plus restreint, face à ces écolos qu’on veut marginaliser d’emblée parce que trop récalcitrants ? Mais dans ces deux cas de « nous », il y a exclusion des écolos. « Nous » versus « Eux ». Fracturer le tissu social comme on voudrait fracturer le territoire.
« Logique » et « rigueur », autres dûs des écologistes à ces « nous » imprécis. Pour ce porte-parole désigné par les dix autres « Sages », ces opposants sont donc des farfelus sans discipline, qui s’appuient sur des études sans fondement rigoureux. Alain Dubuc, dans son article du 10 janvier, va dans le même sens et parle de leur « argument principal (…) spécieux ». Les experts sur lesquels s’appuient ces ignares d’écolos, même s’ils sont bardés de diplômes, n’auraient donc, selon la « logique » Landry aucune méthode de travail non plus, ni aucun souci de vérifications. Leurs études seraient bidon. Mais quelle logique, et quelle rigueur nous offre son Manifeste si approximatif ?
Bernard Landry et ses acolytes en sont encore à une vision folklorique des militants écolos, du genre « Arpents verts ». Déjà, au printemps, le ministre de l’environnement, Monsieur Blanchet, tentait de saper notre crédibilité en nous traitant de « pancartes », autant dire de petits rigolos. Le même mépris, en sorte. En nous associant à des rêveurs brouillons et insouciants, à des Peace and Love nouvelle mouture, le but de ce lobby pro-pétrole ne serait-il pas de convaincre l’ensemble des « tièdes ». des indécis, du bien fondé de leurs arguments ? Si Landry le dit, coudonc, ça doit être vrai qu’on dort sur un gros pactole !
Enfin, le « respect » que (leurs) écologistes (leur) doivent. Je ne comprends pas : qui avons-nous insulté, nous, les Verts , en sonnant l’alerte des dangers de contamination de l’eau et en demandant un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste ? Avoir recueilli logiquement, et avec rigueur, 80% de signatures d’opposition aux gazières dans nos patelins respectifs, est-ce un manque de respect ? Alerter nos concitoyens que la méthode de fracturation hydraulique sera la même pour l’extraction du pétrole de schiste que pour le gaz de schiste, est-ce un manque de respect ? Que les environnementalistes s’inquiètent des conséquences de l’exploitation du pétrole dans le Golfe du St-Laurent et à Anticosti, encore un manque de respect ? Et envers qui ?
Parlons plutôt du manque de respect de Monsieur Landry envers ce citoyen des Iles de la Madeleine, très inquiet, à qui il a rétorqué que son coin de terre appartenait au Québec tout entier, et non à lui seul. Aucune empathie envers ce citoyen né là-bas, qui a sans doute une famille, investi de l’argent dans une maison et qui compte légitimement finir ses jours dans son bel environnement. Autrement dit : ferme-là, s’il y a une catastrophe chez toi un jour, tu compteras pour un dommage collatéral, tu feras avec, mon homme ! Tous les Madelinots, les Gaspésiens aussi.
Mais le mot respect, pour cet ex-Premier Ministre, veut peut-être dire aussi obéissance, ou bien serment d’allégeance… Mais à quel « nous » ?
Affirmer ses convictions n’a rien d’irrespectueux. Quand on fait ses devoirs sérieusement en lisant des tomes d’études, et en se fiant à son propre bon sens, en quoi contrevient-on à une quelconque règle de courtoisie ? Qui avons-nous insulté pour que Monsieur Landry se fende de ce sermon de prêtre ? Et de quel droit le faire ? Ne serait-ce pas plutôt lui, l’irrespectueux, qui prend les environnementalistes pour des citoyens de seconde zone ?
Liliane Blanc
St-Joachim-de-Shefford
Le 11 janvier 2014