Édition du 12 novembre 2024

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Afrique

Le Gabon crée la plus grande réserve océanique d'Afrique pour protéger la biodiversité

L’annonce faite par le Gabon limite également la surpêche et pourrait participer à la lutte contre le changement climatique. Le dernier sanctuaire marin au monde, dont la création a été annoncée cette semaine, comprend plus de 46 000 kilomètres carrés d’océans bordant le Gabon.

Ce lundi, le Gabon a annoncé la création du plus grand réseau de réserves marines protégées d’Afrique abritant d’innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luth et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines.

Ce réseau composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques protégera 26 % des eaux territoriales du Gabon et s’étendra sur 53 000 kilomètres carrés. Par le biais de la création de zones protégées, le gouvernement gabonais a également établi ce qui est considéré par les scientifiques comme le plan de gestion de la pêche le plus durable en Afrique de l’Ouest, une région réputée pour une surpêche effrénée et les abus commis par les flottilles de pêche étrangères. Des zones distinctes ont été créées pour les flottilles de pêche commerciales et artisanales dans l’espoir de rétablir la pêche durable.

« L’Afrique de l’Ouest est une région aux océans incroyablement riches, mais elle est en train d’être ravagée par les flottes de pêche internationales », explique Callum Roberts, biologiste spécialisé dans la conservation marine à l’université de York en Grande-Bretagne. « En l’espace de quelques décennies, les eaux de l’Afrique de l’Ouest, véritable corne d’abondance en matière d’espèces marines, ont été réduites à peau de chagrin. Leur préservation est urgente si l’on souhaite le rééquilibre des ressources ichtyques. »

Callum Roberts, qui a consacré plus de trois décennies à l’étude de la santé des océans, affirme dans un nouvel article publié lundi dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences que les aires marines protégées, qui contribuent d’ores et déjà à la restauration de populations de poissons, permettent également aux écosystèmes marins de s’adapter aux effets du changement climatique. Des écosystèmes vastes et complètement intacts sont en meilleure santé et davantage armés pour s’adapter à ce que le biologiste désigne comme le « cocktail meurtrier » : acidification des océans, tempêtes intenses, montée du niveau de la mer, modifications de la distribution des espèces et diminution du taux d’oxygène dans les profondeurs des océans. Il explique qu’une réduction de la concentration d’oxygène s’observe déjà dans les océans Pacifique et Atlantique, où les « déserts océaniques » pauvres en nutriments ont augmenté de 15 % entre 1998 et 2006.« L’impact de la pêche sur les écosystèmes océaniques a été le plus néfaste », affirme Callum Roberts.

« Mais le réchauffement climatique est en train de le rattraper rapidement et, dans certains écosystèmes, a pris le dessus. »

Le biologiste ne prétend pas que les zones marines protégées permettent aux habitats marins de résister au changement climatique. Il soutient plutôt que des habitats en meilleure santé les rendent plus résistants. À titre d’exemple, il est impossible de préserver les récifs coralliens de la hausse des températures des océans. Cependant, la protection des récifs contre la surpêche, le dragage et la pollution qui en découle peut réduire la sensibilité des coraux au réchauffement océanique et favoriser leur rétablissement suite à des inondations ou à des phénomènes de blanchissement. La zone marine protégée de l’archipel des Chagos, située dans une région reculée de l’océan Indien, dispose désormais d’un récif exempt de tensions causées par l’homme qui, en retour, a favorisé leur incroyable capacité à se rétablir. Plus de 90 % du récif avait disparu lors d’un phénomène de blanchissement en 1998 ; en 2010, le récif s’était rétabli.

De la même manière, dans la décennie qui a suivi la création d’une aire marine protégée, la zone de Baja en Californie a enregistré un nombre de poissons prédateurs multiplié par dix.

Selon lui, des réseaux d’aires marines protégées peuvent également faire office de tremplins, ou de « zones d’amerrissage » sécurisées pour les espèces colonisatrices lors de leur migration vers des eaux plus froides. Le monument national marin de Papahanaumokuakeasitué au nord-ouest d’Hawaï a offert un « refuge stratégique » pour les écosystèmes des récifs coralliens forcés de se déplacer vers les pôles en raison du réchauffement climatique.

« Lorsque nous instaurons une aire marine protégée, nous n’avons d’autre choix que d’aller toujours plus loin », explique Callum Roberts. « Nous le voyons dans le rétablissement de grandes espèces qui vivent très longtemps. Plus les espèces présentes dans les océans sont grandes et âgées, plus elles se reproduisent rapidement. Comme des fontaines, leurs petits coulent à flot à la manière de larves dans l’eau, eau qui est ensuite transportée par les courants océaniques et répand les semences dans d’autres zones. C’est une manière positive de lutter contre le changement climatique. »

Moins de 3% des océans sont actuellement protégés

Le monde compte 11 212 aires marines protégées. Selon le Marine Conservation Institute (https://marine-conservation.org/who-we-are/#mission), une organisation à but non lucratif basée à Seattle et consacrée aux sciences marines, mises bout à bout, elles ne représentent que 2,98 % des océans.

Deux autres mesures complètent le tableau. Si l’on ne tient pas compte des hautes mers, le reste des réserves marines protège 7,29 % des habitats marins des zones économiques exclusives situées dans un rayon de 370 kilomètres de tous les pays. Et si l’on ne considère que les aires marines protégées où la pêche et tout autre type d’extraction (comme l’exploitation minière) sont interdites, seul 1,63 % des océans planétaires sont couverts.Selon Russell Moffitt, analyste des questions de conservation de l’Institut, les réserves interdites à la pêche sont les plus résistantes. Il n’existe qu’une douzaine de ces très grandes zones protégées, parmi lesquelles les zones extracôtières des monuments nationaux marins des îles reculées du Pacifique, des îles Pitcairn en Grande-Bretagne et des réserves marines de l’archipel des Chagos.

L’Organisation des Nations Unies, qui a convoqué cette semaine sa toute première conférence relative aux océans à New York pour répondre à la santé déclinante des océans, a incité les pays du monde entier à protéger 10 % des océans à l’horizon 2020. Environ 500 nouvelles aires marines protégées ont été proposées, mais beaucoup d’entre elles sont bloquées en commissions.

Les projets du Chili de créer la plus grande zone marine protégée des Amériques, afin de sauvegarder les populations de poissons de l’île de Pâques, se sont retrouvés paralysés au cours de négociations avec les Rapa Nui, le peuple indigène de l’île. De la même manière, les grands parcs marins suggérés dans les îles Cook et les îles Kermadec de Nouvelle-Zélande ne se sont pour l’heure pas concrétisés.

Aux yeux de Callum Roberts et d’autres spécialistes des sciences de la mer, les objectifs visés par l’ONU ne sont pas suffisamment ambitieux. Selon eux, la protection de 30 % des océans, transformés en réserves, est nécessaire si l’on souhaite restaurer leur santé.« 10 % représente un grand pas vers l’objectif fixé, mais nous devons suivre les recommandations scientifiques », explique Matt Rand, directeur du Pew Charitable Trusts Bertarelli Ocean Legacy. « Il nous faut des décideurs audacieux qui encouragent à poursuivre l’objectif fixé par les scientifiques. Ce sera la prochaine génération qui bénéficiera des retombées de nos efforts, ou paiera les conséquences de leur absence. »

« Un problème important »

Le Gabon fait partie des quelques nations qui ont déjà atteint l’objectif fixé par l’ONU : le pays l’a même doublé trois ans plus tôt. Ce n’était certes pas chose facile : il a fallu un président résolu qui a vu de ses propres yeux les enjeux écologiques.

La réussite du projet reposait également sur les efforts continus de groupes de conservation et d’organismes gouvernementaux, y compris la Wildlife Conservation Society, la Fondation Waitt, l’Agence Gabonaise des Parcs Nationaux et le projet Pristine Seas de National Geographic, qui a étudié 885 kilomètres du littoral gabonais au cours d’une expédition d’un mois en 2012. Après la présentation des résultats de l’expédition, le président gabonais Ali Bongo Ondimba a décidé d’acter le plan de création d’une nouvelle réserve océanique.

« La richesse des fonds marins que nous avons pu observer au Gabon durant notre expédition en 2012 nous a fascinée, mais nous a aussi montré la menace que représentait la pêche industrielle intensive, » dit Enric Sala, explorateur en résidence chez National Geographic et scientifique marin qui aide au développement de la zone marine protégée au Gabon.

Le plan d’action a été annoncé en 2014 et affiné au cours des trois dernières années. Il s’est ajouté aux 20 parcs et réserves existantes. Cette nouvelle réserve océanique, la plus grande d’Afrique, a été appelée « La Réserve Aquatique du Grand Sud du Gabon, » et est devenue une extension du parc national existant de Mayumba. Elle protège 27 000 kilomètres carrés d’habitats marins, depuis la plage jusqu’aux profondeurs des océans.

« C’est une grande avancée et un exemple pour les autres pays, » affirme Sala. « Si le Gabon peut le faire, tous les pays européens devraient pouvoir le faire aussi. »

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