Édition du 17 décembre 2024

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Politique canadienne

Le Canada : criminel climatique

À l’aube du 21e siècle un nouveau régime politique a profondément transformé l’image du Canada dans le monde, le faisant passer de héros international, grand défenseur de la paix, de l’humanité et de la nature, à criminel mondial impliqué dans des guerres et occupé à faire reculer les droits civiques et à malmener l’environnement.

Qu’est-ce qui a bien pu arriver au Canada ? La découverte de pétrole dans son sous-sol. Et pas n’importe lequel : le plus sale et le plus nuisible. La trahison du Canada aux discussions sur le climat à Durban (où il a abandonné les engagements pris en vertu du Protocole de Kyoto) découle directement de son nouveau statut d’État tributaire du pétrole.

À la fin du vingtième siècle, les pétrolières savaient que les champs pétrolifères classiques étaient en déclin et que la production mondiale allait bientôt plafonner, ce qui s’est d’ailleurs produit en 2005. Ces sociétés pétrolières, dont certaines sont des entreprises nationales souveraines, comme PétroChine, portèrent leur attention soit sur les gisements de gaz de schiste dont la teneur en hydrocarbures est faible, soit sur le pétrole extracôtier en eau profonde ou les sables bitumineux de l’Alberta. Simultanément, des sociétés pétrolières opérant au Canada ont commencé à promouvoir la carrière politique du fils d’un cadre albertain oeuvrant dans le secteur du pétrole, l’idéologue conservateur Stephen Harper.

La compagnie Shell s’est lancée dans l’exploitation des sables bitumineux en 2003. L’année suivante, le Canada signait l’entente de Kyoto et s’engageait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre ; c’est alors que des compagnies pétrolières commencèrent à former des « groupes de réflexion » canadiens et des organismes de façade dont on dit faussement qu’ils émanent de la base et dont les buts sont d’aider l’industrie pétrolière à atteindre ses objectifs et de favoriser la carrière politique de Harper en tant que chef du Parti conservateur. Deux ans après, en 2006, ce même parti dirigé par Stephen Harper formait un gouvernement minoritaire avec 36 % des voix. Une nouvelle ère s’ouvrait alors, le Canada allait devenir peu à peu un État dépendant du pétrole. La nouvelle administration mettait la hache dans la réglementation environnementale, participait aux guerres américaines du Moyen-Orient et lançait sa campagne de promotion des sables bitumineux, un des projets industriels les plus nocifs pour l’environnement de l’histoire humaine.

À Durban en décembre 2011, après s’être moqué de la science climatique et avoir fait fi de la décence la plus élémentaire, le ministre de l’Environnement Peter Kent annonçait que le Canada abandonnait l’accord de Kyoto. Il dénonçait ainsi l’entente internationale juridiquement contraignante que le Canada avait signée sept ans auparavant. En plus d’être devenu le porte-parole de l’industrie pétrolière mondiale, le gouvernement du Canada est devenu l’instrument chargé d’en entériner les politiques, et cette transformation a pour effet de ruiner sa réputation en tant que pays éthique.

Des millions de Canadiens ont exprimé leur indignation parce que leur gouvernement les avait laissés tomber en plus d’avoir humilié le pays sur la scène internationale. Ces voix dénonciatrices trouvent rarement un écho dans les médias grands publics du Canada. Pendant ce temps, les Canadiens assistent à l’érosion de la liberté de presse et des droits civils dans leur propre pays.

La vie d’une colonie basée sur les ressources pétrolières

« Pétrole et démocratie ne font généralement pas bon ménage », selon Terry Karl, auteur de The Paradox of Plenty : Oil booms and Petro-States (Le Paradoxe de l’abondance : États et boom pétroliers). Comme le savent très bien certaines populations locales du Nigeria, d’Indonésie, du Venezuela, d’Iran, d’Algérie, d’Arabie saoudite et d’autres pays, il existe une « malédiction du pétrole ». Les pays riches en pétrole attirent des clients appartenant au secteur pétrolier, lesquels tendent à appuyer des régimes dictatoriaux. Il arrive souvent que les États pétroliers perdent leur souveraineté économique, subissent des atrocités, voient les droits de l’homme bafoués et leurs environnements saccagés.

Dans les années soixante-dix, les économies du Royaume-Uni et des Pays-Bas ont été frappées par la malédiction liée au pétrole : on avait cru à la prospérité grâce à l’extraction du pétrole en mer du Nord et au boom gazier, mais ce n’était qu’une illusion ; en réalité, la souveraineté économique de ces États avait été entamée. Prenant les rênes de la Grande-Bretagne, Margaret Thatcher a utilisé les revenus du pétrole pour faire la guerre, créer des empires bancaires et subventionner les nantis, tout en pillant la nature et en dépossédant les citoyens ordinaires de leur héritage national commun.

En 1977 The Economist a inventé l’expression « maladie hollandaise » pour décrire les reculs au plan social engendrés par l’exploitation extrême des ressources naturelles, et le déclin de l’activité manufacturière qui en découle. Pendant un certain temps, les revenus du pétrole ont pour effet d’accroître la valeur des monnaies nationales, mais cette appréciation engendre une augmentation du prix des produits exportés. Résultat : l’industrie manufacturière en souffre ainsi que l’économie locale.

En 2011, le MRB de Montréal (Macro Research Board) prévenait que la « pétrolisation » avait fait du Canada « un cas grave de maladie hollandaise », qu’elle avait miné la souveraineté des entreprises canadiennes, « diminué le nombre des exportateurs de produits manufacturiers » et avait rendu le pays « de plus en plus dépendant » envers les exportations de pétrole et de charbon.

Comme ce fut le cas avec Thatcher en Angleterre, le Canada a institué un mécanisme permettant de privatiser les profits et de socialiser les coûts liés à l’exploitation de plus en plus importante du pétrole. Depuis une dizaine d’années, le Canada a donné 14 milliards de dollars aux compagnies pétrolières, charbonnières et gazières au moyen de réductions d’impôt ; pendant ce temps, plus de 340 000 emplois du secteur industriel disparaissaient. Une étude provenant de l’Université d’Ottawa indique que la transformation économique du Canada en « colonie pétrolière » constitue le plus important facteur permettant d’expliquer ces pertes d’emplois.

Il vient un temps où les États pétroliers « n’ont plus de comptes à rendre au grand public ». Cherchant à imposer à leurs citoyens les objectifs recherchés par les entreprises pétrolières, les « pétrorégimes » ont tendance à centraliser le pouvoir, à éviter de faire preuve de transparence et à suivre une stratégie axée sur le mensonge et la supercherie.

La politique comme arme de guerre

Par deux fois, en 2008 et 2009, Harper a prorogé la session parlementaire, fermant ainsi le Parlement, afin de se soustraire à des enquêtes qui auraient porté sur diverses ententes, transactions financières et scandales étrangers auxquels son gouvernement était mêlé, y compris le traitement abusif de détenus afghans. Parmi les pays industrialisés, le Canada figure désormais au dernier rang pour ce qui est des pays acceptant les demandes en vertu des lois sur l’accès à l’information.

La manie du secret qu’affectionne Harper est typique d’un gouvernement pour qui la politique pétrolière se situe au cœur de ses préoccupations. « Les États pétroliers sont handicapés par une infection qui consume sans faire de bruit l’âme tout entière de leur peuple » dit Andrew Nikiforuk dans une des meilleures sources d’information au Canada, The Tyee.

En mars 2011, voyant que Harper dirigeait le Canada à partir de réunions secrètes du Cabinet, cent cinquante-six députés fédéraux conclurent que le Premier ministre et son gouvernement minoritaire avaient commis un outrage au Parlement parce qu’ils avaient refusé de partager de l’information législative avec les députés de l’opposition.

Et en avril 2011, les Canadiens ont appris que l’individu ayant servi d’intermédiaire entre Harper et l’Association canadienne des producteurs pétroliers avait été antérieurement condamné pour avoir fraudé deux banques canadiennes, un concessionnaire automobile, et même des clients qui avaient recouru à ses services juridiques. De plus, il avait fait pression auprès du gouvernement canadien pour le compte de sa petite amie, une ancienne prostituée.

Le criminel ayant été reconnu coupable, Bruce Carson, agissait comme promoteur en chef des sables bitumineux. Il prétendait que « La valeur économique et la sécurité qu’apporte l’expansion de l’industrie des sables bitumineux vont sans doute l’emporter sur les atteintes climatiques découlant de cette activité. » En outre, Carson s’opposait aux « efforts déployés en sol américain pour favoriser les énergies propres ». Par les pressions qu’ils ont exercées auprès du gouvernement américain, certains lobbyistes canadiens sont parvenus à saper les normes régissant les combustibles faibles en carbone aux É.-U.

Juin 2011, un autre homme de main du chef Harper, Tom Flanagan, préconisait sur le réseau de la télévision nationale d’assassiner le fondateur de Wikileaks, Julian Assange : « Je pense qu’Assange devrait être assassiné » avait-il confié au réseau anglais de Radio-Canada. Flanagan a été un des principaux maîtres d’oeuvre de la guerre qu’a livrée Harper à son propre peuple. Flanagan a écrit dans le Globe and Mail, un journal canadien influent « Une élection est une façon de faire la guerre en employant d’autres moyens. » Il établissait un parallèle entre le déroulement d’une campagne électorale et la destruction de Carthage par les Romains. Ceux-ci « avaient complètement rasé la ville, puis ils avaient répandu du sel dans les champs pour les rendre stériles à jamais. »

À ce sujet, Alan White du Collège militaire royal du Canada a affirmé : « Cette prise de position suggère un paradigme comprenant non pas une rivalité pacifique entre concitoyens, mais plutôt une guerre à outrance généralisée visant à annihiler et à oblitérer l’adversaire. Cette sorte de vision malicieuse, empreinte d’un ton hostile semble aux antipodes de l’esprit démocratique. » L’administration Harper en est rendue au point d’ériger des barricades autour des édifices parlementaires, d’augmenter le nombre de prisons et de durcir le Code pénal. Le peuple canadien, naguère fier de ses institutions démocratiques, a maintenant l’impression d’être devenu l’ « ennemi » aux yeux de son propre gouvernement.

Le Canada en lutte contre le reste de la planète

En ce qui concerne la politique étrangère du régime Harper, celui-ci a attiré l’attention par son attitude carrément négative envers les Nations Unies et l’opinion internationale. Des représentants du gouvernement ont qualifié l’ONU d’ « organisation corrompue ». Une ancienne haute fonctionnaire canadienne à l’ONU, Carolyn McAskie a écrit dans Canada and Multilateralism : Missing in Action que le Canada, autrefois chef de file respecté à l’ONU « repoussait désormais tout un réseau d’organismes indispensables au maintien de la paix mondiale et au développement. »

Pour sa part, l’analyste financier Jim Willie écrivait que le Canada a « suivi la voie tracée par Goldman Sachs conduisant à la corruption et au favoritisme... Le Canada s’est conformé à la doctrine fasciste de Bush en se mettant sur un pied de guerre... et en resserrant l’étau de la sécurité. La prochaine étape du gouvernement Harper va consister à faire du Canada une colonie commerciale de la Chine. »

Lorsque des personnes du monde entier ont protesté contre les impacts climatiques résultant de l’exploitation des sables bitumineux, le gouvernement Harper a cherché à refaire l’image notoirement sinistre de cette bombe à retardement en qualifiant le pétrole obtenu de « pétrole éthique », témoignant d’un mépris éhonté des faits. L’extraction des sables bitumineux constitue un crime contre l’humanité et la nature. Cette opération se déroule comme suit : on commence par oblitérer la forêt boréale et le sol par la création d’immenses mines à ciel ouvert et l’enlèvement de deux tonnes de sable et de terre pour chaque baril de pétrole. Puis on fait fondre le bitume très visqueux avec du gaz naturel, l’énergie nécessaire à cette opération d’extraction étant équivalente à un tiers de celle contenue dans le pétrole bitumineux.

Les activités d’extraction consomment environ 680 millions de litres d’eau chaque jour, provenant de la rivière Athabasca et des aquifères de la région. La masse sombre des déchets engendrés par cette activité transforme les lacs boréaux en étangs de boues, tue les oiseaux et autres animaux sauvages, en plus de contaminer la nappe phréatique locale. Les polluants émis par les hautes cheminées utilisées pour les opérations ont accru l’incidence des troubles pulmonaires dans toute la région, et on note depuis dix ans une augmentation de 30 % des cancers. Mike Mercredi, un autochtone de la nation crie de Fort Chipewyan parle de l’impact comme d’un « lent génocide industriel ».

Mais le crime ne s’arrête pas là, car on prévoit des déversements pétroliers à partir des oléoducs dont la construction est envisagée, sans oublier les pétroliers dont l’apparition menacerait toute la côte ouest de l’Amérique du Nord. Pendant ce temps, les installations d’extraction des sables bitumineux émettent plus de 45 millions de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. Le climatologue James Hansen, de la NASA, a affirmé que si les sables bitumineux étaient pleinement exploités, « cela en était fait pour le climat ».

Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères a commenté la décision du Canada de renier les engagements climatiques qu’il avait pris à Kyoto en disant qu’il s’agissait « d’une mauvaise nouvelle dans la lutte aux changements climatiques ».

De son côté, le délégué Ian Fry de l’État insulaire du Tuvalu dans l’océan Pacifique a qualifié la volte-face du Canada « d’acte de sabotage...complètement irréfléchi et irresponsable ».

Quant à l’agence de presse chinoise Xinhua, elle a qualifié la décision du Canada de « ridicule », et le ministre chinois des Affaires étrangères a pressé le pays « d’assumer les responsabilités qui lui incombent et de s’acquitter de ses devoirs...en faisant preuve d’une attitude positive et constructive, prélude devant conduire à sa participation aux discussions internationales de lutte aux changements climatiques ».

Pour sa part la secrétaire exécutive du dossier climatique à l’ONU, Christiana Figueres souligne dans sa mise en garde que le Canada « est juridiquement contraint en vertu de la convention de réduire ses émissions, en plus d’être moralement obligé envers lui-même et les générations futures de se porter à la tête des efforts internationaux. » Maude Barlow, conseillère des Nations Unies pour l’eau a qualifié les sables bitumineux de « Mordor du Canada », c’est-à-dire la Terre des ombres.

Un homme d’affaires canadien a fait parvenir ce commentaire au Globe & Mail après la honteuse performance du Canada à Durban : « On pouvait auparavant être fier d’arborer la feuille d’érable au revers de son veston ou sur son sac à dos, mais ce temps-là est révolu. Désormais, mieux vaut la cacher...pas une seule personne dans tous les pays que j’ai visités n’a fait de commentaires élogieux à son sujet. Harper et ses moutons de Panurge vont nier ou ignorer ces faits pendant que des gens comme moi vont perdre des occasions d’affaires. »

Mais au sein du pays des gens se lèvent pour se porter à la défense de l’environnement, sous la gouverne de The Wilderness Committee, de Greenpeace, du Conseil des Canadiens, de l’Indigenous Environmental Network, de l’alliance Yinka-Déné et d’autres groupes. Ces organismes ont besoin d’être soutenus au niveau international pour mettre un terme à ce crime contre l’environnement qu’est l’exploitation des sables bitumineux, et pour aider le Canada à retrouver sa bonne réputation.

Rex Wyler

Greenpeace International

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