Les mécanismes de prévention doivent être appliqués à tous les secteurs d’activités, sans distinction !
La prévention doit s’appliquer à tout le monde
Lors de son entrée en vigueur, la LSST* prévoyait l’application graduelle des mécanismes de prévention à tous et à toutes selon une série de groupes prioritaires. Les gouvernements successifs ont failli à la tâche puisqu’aujourd’hui seulement 11,6% des travailleurs et travailleuses profitent de tous ces mécanismes.
Si la loi vise l’élimination des dangers à la source, c’est par l’application des mécanismes de prévention que le tout se met en action. La participation des travailleurs et des travailleuses dans un cadre paritaire permettrait d’éviter les lésions professionnelles et donc de réduire les coûts pour la société.
En 2019, le bureau du Vérificateur général du Québec rappelait à juste titre que « selon le type de mesures mises en place par le milieu de travail, chaque dollar investi en prévention peut permettre d’éviter de 1 à plus de 10 dollars en indemnisation, en réadaptation ou en perte de productivité ».
Alors, pourquoi s’en passer ?
Qu’est-ce que la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) ?
Le régime de santé et de sécurité du travail du Québec est composé de deux volets complémentaires : la prévention et la réparation des lésions professionnelles. De manière générale, la prévention doit prévoir la prise en charge des milieux de travail par l’ensemble des acteurs présents. Toutes les études démontrent que la participation paritaire dans les mécanismes de prévention est la formule gagnante pour réellement diminuer les risques dans les milieux de travail. C’est ce que prévoit la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) actuellement en vigueur à travers quatre mécanismes de prévention.
Ces 4 mécanismes sont la présence de :
• un représentant ou une représentante à la prévention ;
• un comité de SST ;
• un programme de prévention ; et
• un programme de santé.
La prévention dans le projet de loi nº59
La classification par niveaux de risque inadéquate
Avec le nouveau projet de loi, l’application des mécanismes de prévention de la LSST dépendra d’un établissement à l’autre selon le niveau de risque attribué à chacun des secteurs d’activité économique[1], lequel peut être faible, moyen ou élevé. Le temps consacré par le RP, le comité de santé et sécurité, ainsi que l’élaboration et la mise en application d’un programme de prévention vont dépendre de cette classification.
Cela peut sembler une bonne idée à première vue. Malheureusement, la méthode pour déterminer le niveau de risque de chaque secteur comporte de graves lacunes. Les niveaux de risque ont été déterminés en appliquant bêtement un ratio, soit celui des sommes dépensées pour les lésions professionnelles (débours) par rapport à la masse salariale. Donc, les secteurs qui engendrent davantage de dépenses en matière d’accidents du travail et de lésions professionnelles par rapport à la moyenne seront considérés comme étant à risque élevé. Un raisonnement similaire s’applique pour les secteurs à risque moyen ou faible. Plutôt que de procéder à une véritable évaluation des dangers, des risques et des besoins en prévention pour chaque secteur, le législateur a opté pour l’arbitraire.
Cette classification a pour effet de limiter grandement l’accès à la prévention alors que les besoins sont immenses. Les secteurs à faible risque comprendraient environ 62 % de la main-d’œuvre contre 22 % pour le risque moyen et 16 % pour le risque élevé. Les femmes sont plus présentes que les hommes dans les secteurs à risque faible. Certains secteurs qui ont considérablement amélioré la santé et la sécurité grâce à la prévention, mais qui demeurent dangereux, sont dorénavant à risque faible. Ils seront donc moins bien protégés qu’avant la réforme. On constate également que des secteurs où le nombre et l’intensité des lésions professionnelles augmentent de manière inquiétante continuent d’être considérés comme étant à risque faible. C’est notamment le cas de plusieurs secteurs d’activité économique en santé.
Ce ne sont là que quelques-unes des critiques d’une classification qui demeure profondément problématique. Pour la FTQ, tous les travailleurs et toutes les travailleuses doivent avoir accès aux mécanismes de prévention, sans distinction.
[1] Selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN).
Les femmes sont les moins bien protégées
Puisque les mécanismes de prévention ne s’appliqueront pas de la même façon selon le niveau de risque établi par la CNESST, certains groupes qui travaillent dans les secteurs à niveau faible seront pénalisés. Ce sera le cas de 75 % des femmes actives sur le marché de l’emploi. On entretient ainsi par ce projet de loi une discrimination systémique envers les femmes. Les mécanismes de prévention doivent s’appliquer pour tous et toutes et de la même façon.
Autre attaque envers les femmes, elles seront dorénavant soumises à un protocole provincial lorsque viendra le temps de se prévaloir du PMSD. Si une femme enceinte demande un retrait préventif, mais qu’elle n’entre pas dans les petites cases prédéfinies, elle devra se battre contre la machine pour faire reconnaître ses droits. Fini le temps où chacune des femmes avait le droit à une évaluation de ses conditions de travail à elle ! Toutes les femmes ont droit à une évaluation juste et équitable.
Réduire les heures en prévention ne rendra pas les milieux de travail plus sécuritaires
Le projet de loi propose un encadrement des heures de libération pour les membres des comités de santé et de sécurité (CSS) et pour les représentants en prévention (RP) qui est tout à l’avantage des employeurs. En effet, en l’absence d’entente entre les parties sur le nombre d’heures, un règlement en prévoit… un nombre ridiculement bas. À 30 minutes par semaine, comment un RP d’un centre de machinage de pièces métalliques pourra-t-il arriver à faire une enquête utile de son milieu de travail pour réduire les risques ? Si, pour le ministre, la prévention est la clé du succès, les heures de libération doivent refléter les exigences réelles du travail du RP.
Le multiétablissement, oui, mais pas à n’importe quelle condition
Le ministre Boulet propose une nouvelle disposition dans son projet de loi qui permettra à un employeur de regrouper ses établissements pour l’application des mécanismes de prévention. C’est ce qu’il appelle le multiétablissement. Un tel regroupement fait en sorte d’augmenter le travail du RP et du CSS sans pour autant augmenter leurs heures de libération pour couvrir tous ces milieux de travail. Ça perd tout son sens ! Comment le CSS d’une grande entreprise ayant des établissements aux quatre coins du Québec pourra avoir une bonne connaissance des dangers de chacun ? Le multiétablissement rend inopérants les mécanismes de prévention. Il ne doit pas être possible sans l’accord des travailleurs et des travailleuses.
La pandémie a montré les lacunes de la prévention dans le réseau de la santé, pourquoi est-il à risque faible ?
Actuellement, une personne infectée par la COVID-19 sur quatre provient du milieu de la santé. Il y a des dangers dans ce secteur d’activité économique. Avec la proposition actuelle du ministre Boulet, le réseau de la santé est considéré à risque faible ! La crise de la COVID-19 met bien en lumière que le réseau de la santé est aussi à risque de lésions que les autres et que les travailleuses et travailleurs qui y œuvrent ont droit à la même protection de la loi que les autres. Assurer un milieu de travail sain et sécuritaire dans le contexte actuel demande des ressources et du temps que le projet de loi ne garantit pas.
Le milieu de la construction : pourquoi ne pas profiter de la nouvelle mouture pour enfin régler la situation ?
Le secteur de la construction est celui qui présente le plus de lésions graves et mortelles année après année, et ce, depuis l’adoption de la LSST en 1979. Or, les mécanismes propres à ce secteur qui avaient été définis au départ n’ont jamais été mis en application. Le projet de loi actuel tente de remédier à cette situation sans pour autant la régler. Le ministre doit être à l’écoute des acteurs syndicaux du milieu et ne pas faire en sorte de précariser les travailleurs et les travailleuses qui seront appelés à faire de la prévention sur les chantiers.
Le régime d’indemnisation attaqué
En matière de réparation des lésions professionnelles, le projet de loi nº59 constitue une attaque réelle : les travailleuses et les travailleurs subiront des reculs majeurs de leurs droits en cas d’accidents ou de maladies du travail. Mais d’abord, faisons un court rappel historique.
C’est en 1913 que sir William Meredith, juge ontarien, formule les bases des régimes d’indemnisation des accidents du travail telles qu’on les connaît au Canada en déposant le Meredith Report. Les lois sur les accidents du travail du pays reposent, encore aujourd’hui, sur plusieurs grands principes : les individus n’ont plus le droit de poursuivre au civil leur employeur à la suite d’une lésion professionnelle. En échange, les employeurs financent un régime sans égards à la responsabilité de quiconque et qui permet l’indemnisation automatique des personnes qui subissent une lésion professionnelle. Ainsi, la législation en SST doit répondre aux besoins des victimes qui subissent une lésion professionnelle, puisqu’aucun autre recours n’est possible.
La LATMP* en particulier est la réponse au compromis historique. Il faut donc que ce soit une loi favorable pour les travailleurs et les travailleuses. Avec le projet de loi nº59, le ministre Boulet rejette ce compromis historique en permettant à la CNESST d’agir comme une simple compagnie d’assurance, alors que ce n’est pas le cas.
Qu’est ce que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ?
En ce qui concerne la réparation, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences. Il s’agit d’une loi qui doit recevoir une interprétation large et libérale, comme confirmée à maintes reprises par les tribunaux. Ce principe doit continuer d’être au cœur de la réparation des lésions professionnelles afin de permettre aux personnes qui ont subi une lésion professionnelle d’être indemnisées et d’avoir accès facilement et rapidement à la réadaptation que demande leur condition. L’objectif final étant aussi de permettre aux victimes de continuer le plus possible à maintenir leur activité le plus normalement possible.
L’indemnisation dans le projet de loi nº59
Des économies réalisées sur le dos des personnes accidentées
La réforme actuelle prévoit des modifications importantes à la LATMP qui auront pour effet de nier le droit des victimes à une vraie réparation de leur lésion ou de rendre l’accès au régime plus difficile.
Que penser de l’abolition des présomptions d’invalidité des travailleuses et travailleurs âgés de 55 ans et plus au moment d’une maladie professionnelle ? Ou de ceux et celles de 60 ans et plus au moment d’un accident du travail qu’on pourrait désormais obliger à chercher un emploi malgré leur incapacité à pratiquer leur métier ? Ce n’est pas facile de se trouver un emploi avec une incapacité à plus de 60 ans !
De plus, c’est sur le dos des travailleurs et des travailleuses que toutes ces économies se feront, comme indiqué dans l’analyse de l’impact réglementaire qui est vraiment éclairante quant aux réelles intentions du gouvernement.
La fin des services de réadaptation pour les victimes de lésions professionnelles ?
Difficile à croire : le projet de loi no 59 prévoit l’abolition du droit à la réadaptation physique, programme qui a pour but d’éliminer ou d’atténuer l’incapacité physique à la suite d’une lésion professionnelle. Aussi, nous constatons des restrictions au droit à l’assistance médicale (paiement de médicaments, orthèses, prothèses et autres traitements essentiels) et la possibilité de faire payer une partie des traitements par les victimes de lésions professionnelles. Ceci est évidemment inacceptable !
La prépondérance du médecin traitant sous attaque
La prépondérance du médecin traitant est un élément fondamental du régime, c’est-à-dire que la LATMP reconnait que l’opinion du médecin qui traite la victime d’une lésion professionnelle est déterminante. Or, le projet de loi no 59 permet, de façon détournée, l’affaiblissement du rôle prépondérant du médecin traitant, notamment en réglementant ce qui est possible d’offrir comme traitement et réadaptation et en donnant préséance à l’opinion du médecin de la CNESST lorsque le Bureau d’évaluation médicale ne respecte pas les délais prévus par la loi.
Des maladies professionnelles plus difficiles à faire reconnaitre
Le projet de loi prévoit l’abolition de la liste des maladies professionnelles reconnues pour la remplacer par un règlement que la CNESST pourra modifier à sa guise à l’avenir. On constate l’introduction de critères supplémentaires concernant certaines maladies professionnelles souvent reconnues, comme certains cancers professionnels ou la surdité reliée au travail. Des critères qui ne correspondent même pas à ce que la science dit sur les maladies professionnelles. C’est complètement aberrant !
Pour la FTQ, il nous apparait clair que le but de cette modification est de rendre plus difficile l’indemnisation des maladies reliée au travail, alors que l’on devrait plutôt bonifier la liste des maladies afin de rejoindre ce qui est reconnu au niveau international.
De nouvelles conditions complexes à l’obtention des indemnités
Ce projet de loi contient plusieurs mesures complexifiant encore plus les démarches que doivent faire les travailleuses et les travailleurs afin d’obtenir réparation pour leurs dommages. On parle ici de procédures de réclamations plus compliquées, de délais de réclamation différents, de choix de recours selon le type de dossier, etc. Cela risque de limiter l’accès au régime d’indemnisation en plus de judiciariser davantage le processus d’indemnisation, alors que c’est le contraire que demande la FTQ. Il ne faut pas oublier que le régime doit être souple, simple et facile d’accès pour la population. C’est le compromis qui a été fait au début du siècle dernier !
Des pouvoirs réglementaires trop importants
Avec ce projet de loi, on pense tout régler en créant des règlements. Présentement, c’est les tribunaux qui ont à se prononcer quand il n’y a pas une application large et libérale de la loi. Or, en réglementant, le gouvernent vient limiter le pouvoir des tribunaux d’intervenir en faveur des victimes. Il faut demeurer avec une loi à visée sociale qui permet aux victimes de lésions professionnelles d’être indemnisées, pas une loi qui vise à minimiser les coûts pour les employeurs en réglementant ce qui est admissible ou non.
Protégeons les travailleuses et les travailleurs du Québec
Appuyez la campagne pour que la loi s’applique à tous et toutes sans distinction
"Joignez-vous au mouvement. La santé et la sécurité à rabais, ça met tout le monde en danger."
Daniel Boyer, président de la FTQ
Le 27 octobre 2020, le gouvernement a déposé le projet de loi nº59 visant la réforme du régime de santé et de sécurité du travail. Alors que le ministre Jean Boulet parle d’une modernisation, force est de constater que ce projet de loi va plutôt empirer la situation. Ce que nous voulons est pourtant simple : appliquer la loi à toutes et tous sans distinction.
Cette campagne, menée par la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), a pour but de sensibiliser à l’importance des lois en SST ainsi qu’aux enjeux et dérives possibles des propositions gouvernementales dans le projet de loi nº59.
Ce que nous voulons
Maintenir des objectifs et des obligations de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) ;
Appliquer des quatre mécanismes de prévention prévus à la LSST à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du Québec, avec les adaptations nécessaires pour les entreprises de 20 travailleurs et moins (programme de santé, programme de prévention, comité SST et représentants à la prévention) ;
Maintenir le Programme pour une maternité sans danger (PMSD) et qu’il soit appliqué dans l’ensemble des régions du Québec de manière uniforme et rigoureuse afin d’éliminer les dangers à la source ;
Ajouter une obligation de prévention de la violence, incluant la violence conjugale, pour les employeurs ;
Mettre à jour la liste des maladies professionnelles de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP, Annexe 1), afin que les présomptions donnant accès aux indemnités prévues à la LATMP reflètent l’état de la science et du marché du travail d’aujourd’hui ;
Maintenir la prépondérance du médecin traitant dans le processus de réparation et de réadaptation des lésions professionnelles ;
Alléger le processus de contestation afin de minimiser les délais juridiques et la suspension des droits des travailleuses et des travailleurs.
* LATMP : Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Un message, un commentaire ?