Les estafettes
D’où provient ce soudain « engouement spontané et populaire » pour cette affaire qui a nom La Coalition pour l ?avenir du Québec (CAQ) de François Legault ? Comment comprendre qu’une telle météorite s’abatte sur la tête du peuple québécois se reposant benoîtement devant sa chaîne télé “cette machine à occuper le cerveau et à distiller la pensée unique “ ce pauvre peuple que l’on baratine avec de lourds sondages trafiqués par la firme Léger & Léger présentant ce « déjà-vieux » politicien éculé comme le parangon de la « nouveauté » [1] ?
Le tasseau à Legault est l’homme d’affaires Charles Sirois, ex-magnat des télécommunications (ex-PDG de Téléglobe Canada, société acquise à vil prix du gouvernement fédéral qui crée ainsi des milliardaires grâce aux entreprises publiques qu’il privatise ou nationalise selon les besoins de ses estafettes) [2]. Charles Sirois est aujourd’hui Président du conseil de la très grande banque torontoise CIBC (2e au Canada, présente dans 110 pays) attestant ainsi que la querelle linguistique anglophone ‘ francophone est un leurre que les bourgeoisies anglophone et francophone canadiennes utilisent pour diviser le peuple canadien sur des bases chauvines [3].
Je ne voudrais pas laisser entendre que le SDPF (Sans Domicile Politique Fixe) François Legault n’est pas intelligent et son sergent Sirois tout autant. Toutefois, ces deux là ne sont pas des pointures à mener une révolution de palais. Peu ou prou de Jean-Marie Le Pen parmi ces gentlemen, et pour Marina on repassera. Alors, qui sont-ils ? Quel est leur mantra ? Que veulent-ils au juste ?
Rappel historique
Pour comprendre le rôle et le jeu de ces deux étoiles filantes au firmament de la politique québécoise, je vous invite à une rétrospective politique. Pour les fins de la démonstration, nous analyserons l’ascension puis la perdition de l’appareil adéquiste (Action Démocratique du Québec) de ses débuts en 1994 (dans un sous-sol de banlieue où ce groupe amateur s’exhibait devant quelques groupies d’un certain âge sachant mieux exécuter les danses en ligne que de karaoké le RAP) jusqu’à sa descente aux enfers suite à l’élection catastrophique de 2008.
Le machin-à-Mario Dumont prit son envol après son pèlerinage au Club de Réforme de Montréal où un aréopage de grands capitalistes québécois l’avait convoqué pour l’intimer de bien orienter le programme de son parti, ce qu’il fit. Après ce Canossa les sondeurs d’opinion reçurent l’ordre de faire quelques ajustements aux sondages « démocratiques populaires » réclamant du changement avec l’ADQ comme mouvement « d’avant-garde ». Le battage publicitaire fut ahurissant. Le parrain Marcel Dutil, fut enjoint de rejoindre ce petit club « Bonne entente » en train de se métamorphoser en parti politique majeur [4]. L’industriel beauceron recueillit auprès de ses amis l’argent requis pour accréditer la chose-à-Mario qui, du coup, passa des clubs amateurs aux ligues majeurs. Observons la montée en puissance puis la déchéance de la patente-à-Mario.
Résultats électoraux de l’ADQ [5]
Après l’élection déconfiture de 2008, Mario abandonna le bateau à vau-l’eau et les quelques matelots restés sur le paquebot firent mutinerie sous la houlette du mégalomane Gilles Taillon. Aujourd’hui, le machin ne regroupe plus que quatre députés et se prépare à une nouvelle dégelée lors des prochaines élections provinciales. Si nous parvenons à comprendre l’histoire de l’ADQ nous parviendrons à anticiper ce que sera l’avenir de la CAQ à Legault, ce dernier n’étant qu’un « remake » sophistiquée du premier.
Que s’est-il passé pour que, d’un club amateur les riches en fassent le parti de l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec et qu’ils le transforment ensuite en épave en cours de naufrage ? Que s’est-il donc passé en quinze années pour que s’étiole ainsi une si belle destinée ? Nous y reviendrons. Auparavant examinons le fonctionnement du système « démocratique » québécois.
La pseudo-démocratie
Le premier constat que l’on doit faire, c’est qu’en démocratie vox populi n’est jamais vox dei. « Tous les discours sur le suffrage universel, sur la volonté du peuple, sur l’égalité des électeurs seront un pur mensonge, car il ne peut pas exister d’égalité entre exploiteurs et exploités, entre le détenteur du capital et de la propriété et l’esclave salarié. ». Le vote de la populace est chose manipulable et modelable à volonté par les médias à la solde et ce vote peut être orienté dans un sens ou dans un autre selon les intérêts de la classe en possession de l’argent, des médias et du pouvoir. Que peut faire un parti populaire sans moyens financiers ? On arguera que le NPD (Nouveau Parti Démocratique) a remporté de nombreux sièges aux dernières élections canadienens (2011) ! Certainement, pour la raison que les médias à la solde avaient donné leur aval à ce renversement de la tendance électorale parce qu’une fraction des riches de l’Est du Canada a finalement décidé de laisser tomber le Parti Libéral qui n’apparaissait plus capable de battre le champion de la fraction de l’Ouest de la classe capitaliste (les magnats des hydrocarbures).
Au Québec tout comme dans l’ensemble du Canada, le système parlementgaire bourgeois est calqué sur le système parlementaire britannique avec vote uninominal (un tour) la plupart des circonscriptions (125 et 308) ayant approximativement le même nombre d’électeurs et couvrant un territoire immense aux ressources naturelles abondantes et regroupant en moyenne une faible densité de population. Le pays et la province furent longtemps colonisés par l’impérialisme britannique puis, entre les deux guerres, l’impérialisme états-unien prit la relève. Au cours des années 1940, la classe capitaliste monopoliste canadienne s’érigea en classe impérialiste mondiale et poursuivit l’exploitation des ressources du nord, des réserves indiennes et dans le sillage de l’impérialisme américain elle se lança à la conquête des marchés mondiaux (Amérique du Sud et Afrique), de leurs sources de matières premières ? 9 entreprises minières canadiennes sont parmi les plus importantes au monde ? [6](elle n’est qu’au 10e rang nominal et au 19e rang par habitant), mais parce que le Canada assure automatiquement une deuxième voix docile aux propositions américaines [7].
Dans la province de Québec les capitalistes québécois francophones et anglophones sont totalement intégrés à cette structure de propriété financière et industrielle et ces riches siègent sur les conseils d’administration des entreprises du reste du Canada et vice versa. C’est ce qui explique que le Québec ne fera jamais l’indépendance parce que la grande bourgeoisie québécoise n’a aucun intérêt à cette séparation. Seul le mammouth Jacques Parizeau, une fraction bureaucratique, une fraction de la moyenne bourgeoisie québécoise et une frange des « bobos » (universitaires et artistes) ont intérêt à soulever cette menace à la face du Canada afin de hausser le prix de leur adhésion à la constitution canadienne.
Le petit peuple sert de monnaie d’enchère dans cette saga indépendantiste où les péquistes jouent tantôt au yoyo référendaire, et tantôt au « bon gouvernement ». La haute bourgeoisie québécoise est cosmopolite et mondialisée, à titre d’exemple Paul Desmarais résidant dans Charlevoix contrôle via sa société de gestion une centaine d’entreprises actives dans une dizaine de pays couvrant les cinq continents. Même chose pour la famille Bombardier-Beaudoin, etc.
La table étant mise décrivant le substrat économique et financier de la légende à Mario, revenons à l’analyse politique de cet éphémère afin d’établir ensuite le parallèle avec Legault l’avatar.
Le système électoral
Dans un tel système économique, étatique, juridique et judiciaire, la classe dirigeante s’accommode très bien d’un système électoral uninominal entraînant la constitution de deux vastes coalitions - partis politiques qui alternent tous les huit ans environ à la gouvernance de l’État. Au début de la Confédération, le Parti Libéral alternait avec le Parti Conservateur, puis les noms ont changé et ce furent les Libéraux et l’Union Nationale, puis les Libéraux et le Parti Québécois. Si l’on excepte quelques différences esthétiques et verbales (souverainiste vis-à-vis fédéraliste), ces deux partis sont quasi identiques et s’échangent le pouvoir sans bouleversement étatique. Dans un tel système un tiers parti n’est jamais qu’un accident temporaire voué soit à l’opposition éternelle ; soit à remplacer l’un des deux vieux partis en décrépitude ou alors à disparaître après une ronde plus ou moins longue sur la piste électorale (Action libérale Nationale, Rassemblement créditiste, RIN, Parti Égalité, NPD-Québec).
La montée récente du NPD au niveau fédéral signifie que la couche des bureaucrates syndicaux et la classe des industriels de l’Est du Canada est mécontente de la gestion du pouvoir par les capitalistes pétroliers de l’Ouest et par les financiers de Toronto et qu’elle n’a pas trouvé dans le Parti Libéral du Canada l’alternative à opposer à leurs concurrents. Il se pourrait qu’une nouvelle alliance regroupe le NPD et les représentants du Parti Libéral du Canada. Sinon, à la prochaine élection, le NPD perdra son « glamour » et le Parti Libéral renaîtra de ses cendres comme le Parti Conservateur l’a fait avant lui.
La patente à Legault
Au Québec, quand le grand capital désire moderniser les politiques de son État providence pour les riches, il exprime ses desiderata directement aux chefs des deux grandes formations politiques susceptibles de constituer le gouvernement .Ceux-ci se chargent aussitôt de réorienter la plate forme électorale de leur parti respectif. Si les chefs rechignent ou ne parviennent pas à ajuster leur programme, la grande bourgeoisie appointe alors un club sélect de penseurs « lucides » chargés de diffuser sa propagande et de battre le rappel des polémistes, des journalistes, des faiseurs d’opinions et d’élections afin d’accroître la pression sur ces chefs politiques poltrons. Si enfin cette dernière manoeuvre ne fonctionne pas suite à la résistance de la base électorale, conséquence de la lâcheté des roitelets qui dirigent ces deux vieilles formations (incapables de démanteler les restes de « l’État providence » pour les pauvres et de renforcer « l’État providence » pour les riches), alors la bourgeoisie sort de son chapeau magique un Mario électrique ou un Legault électronique, un avatar, un vieux « nouveau » bonhomme dissimulant sa menace derrière un sourire engageant et des mots enjôleurs comme « moderniser, transformer, rajeunir, efficacité, changer, travailler plus pour gagner plus, et patati et patata. ».
Le columniste Alain Dubuc fait dire aux québécois ce qu’ils n’ont jamais dit et probablement jamais pensé mais ce n’est pas important : ce que les électeurs disent ou pensent, ce qui importe, c’est ce que les politiciens véreux font de ce mécontentement populaire orageux. Voici les mots d’ordres que Dubuc colporte de la part de ses patrons en haut lieu « Une rupture avec le consensus traditionnel sur l’État (État providence pour les pauvres NDLR), le syndicalisme (à mâter NDLR), la fiscalité (augmenter les impôts des pauvres NDLR), et donc un discours à droite du centre. » [8]. « Puisque vous regimbez, chers affidés, nous les propriétaires des médias ‘ mensonges, allons publier quelques sondages, mettre tout notre appareil médiatique au service de ce clown, nous allons le financer généreusement et le faire passer lui et ses « bobos » en réflexion pour les sauveurs de la nation en péril, Mario l’ouragan ou Legault l’épatant, à un point tel que l’un d’entre vous (vieux partis) sera balayé par le tsunami de la propagande du « renouveau » que nous allons soulever pour soutenir nos vieilles politiques éculées déjà présentées par les « lucides » l’an dernier et rejetées par la population. ».
Legault est tellement conscient de l’impopularité réelle de ses vieilles « nouvelles » politiques qu’il annonce par avance son plan de match : « Je pense que le prochain gouvernement doit avoir un mandat clair et ensuite très rapidement au début du mandat, un peu comme Roosevelt dans les 100 premiers jours, il doit faire des changements majeurs sans regarder les sondages, sans s’inquiéter de la réaction du public. » [9].
Pas idiots nos deux bozos à la tête des deux vieux partis menacés ! Les dirigeants des vieux partis rivaux (libéraux et péquistes) font pression sur leur députation et réajustent leur programme électoral en glanant dans le programme à Mario (et bientôt dans celui à Legault) les mesures que leurs militants avaient d’abord refusé d’endosser. C’est ce qui faisait dire à Mario aux élections de 2008 que les deux vieux partis pillaient sa plate forme électorale.
La grande bourgeoisie appellera-t-elle le « nouveau » Legault à la tête de l’État si les deux vieux partis de gouvernement se soumettent et appliquent les politiques des riches ‘ La bourgeoisie n’est pas dupe, elle maintiendra la pression sur les deux larrons jusqu’à la fin (comme à l’élection de mars 2007) afin de s’assurer que ces lâches mèneront leurs ouailles jusqu’à l’abattoir. Charest ayant appliqué la politique de l’ADQ, maintenant de nouvelles concessions sont exigées et de nouveaux transferts du coût de la crise économique doivent être effectués sur le dos des travailleurs ; d’autres réaménagements des dépenses de l’État en faveur des riches sont requis par les patrons des politiciens. Si Charest et si Marois ne s’y résignent pas, alors Legault le fera et l’un de ces deux vieux partis risque ou bien de disparaître ou bien de pourrir dans l’opposition sans accès à « l’assiette au beurre » gouvernementale pendant des années.
Si libéraux et péquistes marchent au pas de la garde montante de la grande bourgeoisie d’affaire québécoise, alors l’étoile filante Legault disparaîtra comme elle est apparue. Sinon, une nouvelle « star » des médias bourgeois viendra hanter notre destinée pour encore quelques années. Le peuple sache nous en préserver et souhaitons qu’il rejette toutes ces malversations.