Depuis plus de trois mois, les étudiants du Québec sont très massivement en grève contre le projet gouvernemental de hausse des droits d’inscription à l’université. Des manifestations considérables ont déstabilisé le gouvernement libéral, entraînant la démission de la ministre de l’éducation, Line Beauchamp. Le premier ministre Jean Charest ne trouve rien de mieux à faire en ce 17 mai que de faire passer une « loi spéciale » visant à rendre illégale la grève et à criminaliser les étudiants en lutte.
La détermination dont ont fait preuve les étudiants, la durée de leur action, l’unité de leurs associations jusqu’à ces derniers jours face aux manœuvres du pouvoir et à la violence de la police sont en tout point remarquables. Cela ne doit pas faire oublier le contenu de leurs revendications et le sens de leur lutte. Les étudiants québécois sont vent debout contre l’alignement de la Belle Province sur la norme néolibérale mondiale en matière d’enseignement supérieur, dont l’une des caractéristiques est l’augmentation de la part du financement privé des dépenses universitaires.
La décision du gouvernement Charest d’augmenter de 75 % les frais d’inscription ne sont, au dire même des responsables politiques, qu’une mesure de rattrapage par rapport à la norme établie en Amérique du Nord. Or, ce modèle défendu dans les hauts lieux de la pensée dominante, depuis l’OCDE jusqu’à la Commission européenne, commence à prendre l’eau. Cette décision survient en effet à un moment où, dans le monde entier, les révoltes contre le modèle néolibéral d’enseignement supérieur se multiplient. Que l’on songe à la grève des étudiants anglais à l’hiver 2010 ou à celle des étudiants chiliens au printemps et en été 2011.
Ces luttes ont pour trait ne pas rester confinées au seul monde de l’enseignement. L’alourdissement des charges pesant sur les familles et les étudiants vient frapper les couches sociales les moins favorisées mais aussi une masse croissance de membres des classes moyennes en voie d’appauvrissement. La situation est particulièrement dramatique en Europe. Les pays les plus frappés par les conséquences de la crise financière sur les budgets publics, de l’Irlande à la Grèce en passant par l’Italie et l’Espagne, ont tous eu recours à l’augmentation des frais d’inscription qui encourage mécaniquement l’endettement privé. Et ceci à un moment où les tensions sociales en Europe se font sentir de plus en plus fortement du fait des politiques d’austérité qui aggravent les conditions de vie et détruisent l’emploi.
Les luttes étudiantes contiennent donc un potentiel de contestation de l’ordre néolibéral très puissant, capable d’entraîner de larges couches de la population et de s’élargir à toutes les conséquences des politiques néolibérales, comme on l’a vu au Chili ces derniers mois.
Il ne faut pas non plus oublier que le mouvement des Indignés et d’Occupy Wall Street s’inscrit explicitement contre ce modèle de financement privé de l’enseignement supérieur. Le cas des Etats-Unis commence à être mieux connu. Dans un article remarquable, intitulé « Endettement étudiant : une bombe à retardement aux Etats-Unis », le quotidien Le devoir faisait le 14 mai dernier le point sur la dette des étudiants américains. Elle a quintuplé en douze ans pour atteindre mille milliards de dollars, soit une dette moyenne par étudiants de 25 000 $.
Cet article n’hésitait pas à écrire : « On commence à parler d’une bulle comparable à celle des subprimes, ces prêts hypothécaires à risque, dont l’éclatement avait plongé les États-Unis et le monde dans une grave récession en 2008. Plus du tiers des dettes d’étudiants sont « titrisées », c’est-à-dire regroupées puis cédées à des investisseurs sous forme de produits dérivés. Il y a pour 400 milliards de dollars de SLABS en circulation chez nos voisins du Sud : il s’agit de papiers commerciaux appuyés sur des actifs (PCAA), en l’occurrence des prêts étudiants. »
On comprend que le président américain Obama commence à s’inquiéter de cette nouvelle « bombe » qui menace le système bancaire. L’aveuglement de tous ces gouvernements qui veulent suivre la même voie est sans doute plus étonnant. Mais comment oublier le matraquage des formules dogmatiques qui répètent depuis des années que l’université dans un contexte concurrentiel doit impérativement avoir recours aux portefeuilles des familles et des étudiants plutôt qu’aux financements publics ? N’est-ce pas le modèle que les think tanks néolibéraux veulent toujours mettre en place en France, non sans l’appui de certains idéologues de Terra nova ?
La lutte des étudiants contre l’emprise du capitalisme financier sur l’enseignement reste en tout cas aujourd’hui l’un des signes les plus encourageants qu’une autre politique est possible qui consisterait à faire contribuer fiscalement ceux qui profitent le plus sur le plan économique du haut niveau des connaissances de la population sans vouloir en financer les conditions.
* Tiré du blogue de l’auteur sur le site de Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-laval/170512/la-formidable-greve-des-etudiants-quebecois
* On pourra lire sur la question québécoise le livre de deux enseignants canadiens Éric Martin et Maxime Ouellet, Université inc., Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Lux, 2011.