Tout le système est revenu tranquillement au « business as usual », et vogue la galère des enflures boursières sans fin ! Même le Pape François s’y est mis en joignant récemment sa voix à celle des détracteurs (dont je suis) de la finance mondialisée et débridée. Et il a bien raison ! C’est ce que nous allons montrer ici, à travers quelques arguments et raisonnements irréfutables, dont certains remontent à aussi loin qu’Aristote, avant de voir, prochainement, avec des éclairages plus modernes et plus scientifiques, à quel point l’affaire est encore bien plus grave qu’on ne le pense.
Aristote 1 : distinguer chrématistique et économique
Déjà au 4ème siècle avant notre ère, Aristote avait magistralement entrevu comment ce que l’on dénommera bien plus tard « finances », pure création artificielle de « valeur » abstraite, finira par avoir raison de ce dont, hélas, nous supposons qu’elle est le support : l’économie. Dans son œuvre Aristote fait bien un net distinguo entre « économie », « économique » et autre chose qu’il dénommera « chrématistique ». Il insiste en effet sur le fait que « l’économique » c’est le nom à donner, spécifiquement, à tout ce qui est entrepris ou réalisé en vue d’assurer et de maintenir le bien-être de la communauté. La racine étymologique du terme étant la réunion de deux vocables : oïkos et nomia. Le premier terme signifiant « maison », et par extension « maison commune », « communauté »… et le second « norme » ou « règle ». Ce qui conduit à comprendre que le concept « économie » et tous ses dérivés, « économique »… a à voir avant tout avec toutes formes d’activités destinées à réaliser et sauvegarder le bien-être de la communauté. Non pas à seulement produire et accumuler des richesses, encore moins à titre individuel ! C’est alors qu’Aristote oppose radicalement ce concept à celui de « chrématistique » qui, lui dérive de deux autres notions : d’un côté chréma qui signifie « argent », et de l’autre atos, suffixe voulant dire « recherche », « poursuite »… et par extension « accumulation »… Nous voyons bien donc déjà ici, qu’il est, étymologiquement, tout à fait fallacieux et faux de confondre ou d’associer ce qui relève d’activités destinées au bien-être de tous et activités destinées à produire et accumuler des richesses ou de l’argent.
Aristote 2 : les deux visages de la monnaie
Il convient de savoir qu’Aristote a vu (pour ainsi dire) naître et se répandre l’usage d’une toute nouvelle « chose » dans la vie des humains : la monnaie. Jusque vers les 6ème ou 7ème siècles avant JC, la monnaie était inconnue. Elle apparut quelque part dans ou autour de la Crète, environ 1 ou 2 siècles avant l’ère de la Grèce dite classique. Aristote a donc été un des premiers témoins privilégiés de son essor en tant que moyen de commerce. Avec une sagacité inouïe, le grand philosophe y voit « deux visages ». Le premier lui, serait « bon » : le fait de faciliter les échanges, même à grandes distances, sans avoir à transporter les marchandises physiques en elles-mêmes. Ceci est un progrès indéniable qu’Aristote louange : le commerce et les échanges vont devenir aussi universels que débarrassés des corvées d’errer avec cargaisons de blé, d’huile ou de chaussures. Mais le second visage de la monnaie effraye Aristote : c’est celui qui donnera la chrématistique (et par « affiliation », l’usure, le fait de vouloir « faire de l’argent avec de l’argent », la spéculation, le maximalisme, le désir d’accumuler l’argent pour l’argent…) en apportant à l’humanité quelque chose de totalement inconnu jusque-là : l’illusion de pouvoir accumuler à l’infini. En effet seule la monnaie (et encore plus de nos jours avec les digits, les crypto monnaies…) a pu introduire chez l’humain l’idée de quelque chose qui peut se produire (« créer ») indéfiniment, sans limites aucunes ! (jusque-là il ne pouvait venir à l’idée de personne de vouloir accumuler des chaussures à l’infini, ou des bidons d’huile à l’infini… ce serait pure folie). Or insiste Aristote, notre monde lui, est « fini ». Notre Terre a des limites ; elle ne connait ni maximalisme ni infinitude. Dès lors « comment prétendre faire de l’infini dans le fini » !? Aristote répond : par la destruction ! Comment en effet vouloir prétendre « créer » des profits maximaux, ou infinis, à partir de « sources » qui, par nature et par définition, ne sauraient aucunement l’être ? Comment songer à faire des profits infinis à partir, par exemple, d’arbres, de poissons, de pétrole, de minerais… qui, eux, ne sont pas infinis !?
Passer de la valeur « économie réelle » à la valeur « boursière »
Dans des termes plus proches du raisonnement d’Aristote (ou plus tard Marx), nous dirions passer du primat de la « valeur d’usage » à celui de la « valeur d’échange ». Au risque de prendre des raccourcis pour les puristes, je conclurai cette première démonstration de l’opposition finances – économie, par l’affirmation que, pour continuer à se donner l’illusion de pouvoir faire et accumuler des profits-richesses maximaux, on s’est inventé la… « Bourse » ! À la Bourse, il n’y a en effet aucune limite à renchérir (spéculation) sur la valeur des actions. C’est ainsi que se constituent des « bulles » et que se provoquent des « crises », des « récessions », puis des « corrections » qui aggravent toujours davantage – sur les cycles longs - inégalités, injustices, pauvreté globale, pollutions irréversibles, extinctions accélérées des espèces, conflits endémiques… C’est que la finance ou chrématistique, se mue ainsi en ennemi de l’économique. Nous verrons dans de prochaines contributions, comment, à l’aide notamment, de l’analyse comparée « finances – économie réelle », et… de la thermodynamique, à quel point Aristote avait raison, et à quel point l’argent fait par pures activités financières (intérêts, spéculations…) est infiniment plus destructeur que celui fait à partir de l’économie dite des secteurs primaire (extractions) et secondaire (transformations).
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