« Les emprunts constituent le moyen le plus sûr pour les vieux pays capitalistes de tenir les jeunes pays en tutelle, de contrôler leurs finances et d’exercer une pression sur leur politique étrangère, douanière et commerciale » (Rosa Luxemburg, 1913).
Dès le 19e, les puissances du Nord ont condamné les jeunes États endettés à un sous-développement endémique en imposant des traités de libre-échange à l’Amérique Latine, l’Égypte ou la Turquie, en instaurant des commissions du remboursement de la dette en Turquie, en Tunisie et en Grèce, au détriment des productions nationales. Complices, les élites locales se sont enrichies par l’achat d’obligations souveraines dévaluées, tout en favorisant l’endettement extérieur plutôt que de contribuer par l’impôt. Les grandes puissances soutiennent alors des régimes locaux corrompus et coercitifs pour dégager les excédents destinés au remboursement. Impôts, récoltes confisquées, monopoles à bas prix sur les matières premières et les produits de première nécessité imposent aux peuples saignés à blanc une véritable servitude par la dette, au moyen de « plans d’ajustement ». Une méthode reprise plus tard par le FMI et la Banque Mondiale.
Devant les cessations de paiement dues à ces politiques prédatrices, les grandes Puissances ont mené des guerres de conquête en prétextant le remboursement des emprunts souverains dû à leurs banquiers privés. Ainsi le Système Dette se révèle comme la clé de l’histoire des dominations et de l’impérialisme.
Mais la dette sert aussi à exploiter la naïveté des peuples du Nord, avec l’aval de leurs dirigeants : soutenu à la fois par le gouvernement français, la Banque de France et les journaux – à l’exception notable de L’Humanité -, l’emprunt russe réfuté dès 1918 par les Soviétiques a dégagé des profits au détriment des petits porteurs jusqu’en 1927. Cette collusion États-Finance-Presse a entraîné les peuples dans un cycle infernal de la dette et de la faillite, jusqu’aux deux conflits mondiaux du XXe siècle.
De nos jours, dans le processus néo-colonialiste de la mondialisation, la dette publique justifie l’aliénation des peuples périphériques et désormais, celle des peuples du Nord, par la destruction de l’État-Providence et la précarité qu’entraînent les mesures d’austérité budgétaire. Or, selon le théoricien de la dette odieuse Alexander Sack, une dette souveraine devient odieuse quand l’usage des fonds prêtés est contraire aux intérêts de la population de tout ou partie du territoire, et quand les créanciers en sont prévenus ; les répudiations menées par les États-Unis, le Portugal et l’URSS en établissent la jurisprudence. Toussaint démontre le caractère odieux des dettes contractées dans le cadre de « plans d’aide » et conditionnées par des politiques d’ajustement structurel
, en Afrique ou en Grèce, qui bafouent les droits humains élémentaires et le droit international sur les Traités.
Enfin le livre décrit les annulations unilatérales de dette en insistant sur les répudiations victorieuses : l’URSS, le Mexique, Cuba sont sortis de la spirale d’endettement et ont retrouvé le contrôle de leur politique, en accédant très vite à l’emprunt souverain. Au passage les « démocraties occidentales » et les organismes internationaux qu’elles ont mis en place, Banque Mondiale, OCDE et FMI, se révèlent directement liés aux grands organismes financiers privés.
Accessible au grand public, Le Système Dette d’Éric Toussaint éclaire magistralement l’histoire des pays de la périphérie à la lumière de l’exploitation de leurs dettes extérieures par les puissances occidentales alliées au capitalisme financier
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