Édition du 19 novembre 2024

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La démocratie à l'ère de l'austérité : au-delà du scandale des appels robotisés

Beaucoup de personnes sont en colère à propos du scandale des appels robotisés. Même aux yeux des normes des conservateurs de Harper, la tentative d’empêcher des milliers de personnes de voter aux élections fédérales de 2011 est assez répugnante.

tiré de New Socialist - (Traduction : Bernard Rioux)

Dans un récent sondage, 75 pour cent des répondants ont dit qu’ils voulaient une enquête formelle sur la campagne de tromperie du Parti conservateur. Des manifestations contre les appels robotisés ont été organisées dans plus de 25 villes. Lors d’un rassemblement à Saskatoon le mois dernier, un manifestant Nayyar Javec a dit à la foule : « La démocratie est très importante pour moi. Mais nous sommes complaisants ou nous dénions l’érosion de la démocratie. »

Aux gens qui reconnaissent qu’un véritable changement social ne va pas se produire dans le système démocratique actuel, se préoccuper des appels robotisés peut sembler une perte de temps et d’énergie. Mais quand les appels robotisés sont envisagés dans une perspective plus large, ils commencent à livrer leur véritable signification. En fait, il y a de bonnes raisons pour voir dans les appels robotisés un épisode dans toute une série d’attaques qui se manifestent clairement contre la démocratie.

L’an passé uniquement, des gouvernements au Canada et au Québec ont enlevé aux syndicats leur droit de grève ; ils ont fait des coupures dans les programmes d’aide sociale ; ils ont privatisé des services publics, ils ont imposé un système d’emprisonnement et de déportation brutale et raciste ; ils ont augmenté les frais de scolarité postsecondaires, ils ont poussé les diffuseurs publics vers de nouvelles formes de marchandisation, et se sont orientés pour criminaliser les actions de protestation contre l’industrie pétrolière et l’apartheid israélien.

L’objectif des appels robotisés placés par les conservateurs était d’empêcher les électeurs et électrices de voter. Mais ils faisaient également partie d’un programme plus vaste des gouvernements Harper et McGuinty et des gouvernements dans le monde, qui est de mener un assaut direct contre le pouvoir populaire dans tous les secteurs de la vie sociale.

Austérité vs démocratie

A l’âge de l’austérité, les gouvernements partout monde disent qu’ils n’ont pas d’autres choix que de couper l’aide sociale, les pensions, les emplois du secteur public, le salaire minimum, les programmes d’évaluation environnementale. On nous dit que les masses sont cupides et paresseuses et qu’elles ont vécu au-dessus de leurs moyens depuis trop longtemps. Pour la plupart des gens, cela signifie qu’ils doivent accepter moins en termes de sécurité d’emploi, de droits en milieux de travail, en termes de soutien aux communautés de migrants ou autochtones, en termes de santé publique, d’aide sociale et pour les autres droits et protections gagnés par les luttes ouvrières dans le passé.

En Grèce, les politiques d’austérité ont fait chuter le salaire minimum de plus de 20%, ont supprimé 150 000 emplois dans les services publics et ont diminué le montant des pensions. En Grande-Bretagne, les frais de scolarité ont triplé et le gouvernement a annoncé des plans prévoyant supprimer 490 000 emplois dans le secteur public alors qu’au même moment il coupait les impôts sur la richesse.

L’impact global du budget fédéral au Canada n’est pas encore clair, mais les conservateurs de Stephen Harper ont promis d’élever l’âge auquel les personnes pourraient recevoir la sécurité de la vieillesse, tout en réduisant des milliers d’emplois dans le secteur public, tout en faisant reculer la protection de l’environnement, tout en réduisant le financement des organisations des droits humains comme l’ Organisation nationale pour la santé des Autochtones et Radio-Canada. La Ontario Coalition Against Poverty a noté que le récent budget d’austérité de l’Ontario impliquerait le gel des taux de l’aide sociale ce qui signifie en fait une nouvelle baisse des revenus.

Les travailleurs et les travailleuses ne veulent pas être licenciés, voir leur salaire et l’aide sociale coupés, être obligés d’accepter du travail non rémunéré, attendre plus longtemps leur retraite et perdre les services publics qu’ils ont encore. Les étudiantEs ne veulent pas d’augmentation de leurs frais de scolarité. Personne ne veut être expulsé de leur maison. Le sociologue Wolfgang Streeck a dit que lorsque les gens ont la chance comme cela se passe inévitablement dans une démocratie qui fonctionne, ils ont tendance d’une façon ou d’une autre à vouloir que les engagements et les obligations sociales soient protégés des pressions du marché à la flexibilité et à vouloir une société qui favorise les attentes humaines d’une vie libérée de la dictature des signaux fluctuants du marché.

C’est pourquoi les politiciens au service des politiques d’austérité n’aiment pas la version même restreinte de la démocratie capitaliste comme celle qui existe aujourd’hui. C’est pourquoi ils s’efforcent de mettre en place une nouvelle gouvernance qui leur permettra d’éroder la démocratie minimale qui reste à l’intérieur du système politique officiel tout en laissant en place les institutions officielles actuelles.

C’est pourquoi en Grèce, par exemple, le premier ministère a été contraint de démissionner à la fin de 2011 seulement pour avoir soulevé l’idée que des politiques d’austérité sans précédent devraient être soumises à un référendum national. Il a été remplacé par une direction technocratique non élue qui a obtenu la liberté d’imposer les exigences des classes dirigeantes européennes sans même un quelconque encadrement de reddition de compte public. En fait, les politiciens grecs ont été forcés de réécrire la constitution du pays de façon à prioriser le remboursement de la dette.

Le gouvernement canadien est intervenu à plusieurs reprises dans le processus de négociation collective cette dernière année, en bloquant le droit de grève des travailleurs et travailleuses d’Air Canada et de Poste Canada. Le gouvernement Harper justifie cette attaque brutale contre les droits des travailleurs en arguant qu’ils devaient prendre ces sévères mesures en ces temps de difficultés économiques. Cela, alors que le même gouvernement investissait des milliards de dollars pour de nouvelles prisons et des machines de guerre.

Le budget rendu public par l’Ontario le mois dernier tourne en ridicule l’idée que les gouvernements sont élus pour réaliser un mandat qui leur serait donné par des élections manifestant une quelconque volonté populaire. McGuinty a déjà rejeté toutes les promesses qu’il a faites durant les élections de l’automne dernier, et il prépare actuellement une attaque de grande ampleur contre les syndicats du secteur public, y compris les syndicats enseignants que McGuinty avait ménagés durant des années. Encore une fois, la justification est bien connue : nous n’avons pas le choix. L’économie est en difficulté et la population doit s’habituer à la nouvelle normalité, à un monde nouveau dans lequel la majeure partie de gens doivent simplement accepter d’avoir moins.

Des centaines de milliers d’étudiants et leurs alliés manifestent contre la hausse des frais de scolarité au Québec et le gouvernement affirme qu’il s’en moque. Le responsable à l’éthique parlementaire trouve un ministre du cabinet fédéral coupable d’un comportement non éthique, et le gouvernement ne fait rien (excepté bien sûr de démontrer le caractère raciste de ses politiques contre le crime. Et la liste est longue.

Pas étonnant que les robo-conservateurs n’ont aucune difficulté à falsifier des élections. Au début du 21e siècle, l’approche globale de la démocratie par les gouvernements partout dans le monde est d’affaiblir ou même d’éliminer les formes limitées de pouvoir populaire dans le but de préparer une ère d’austérité. Pas étonnant, donc, que le caractère franchement antidémocratique des appels robotisés ait provoqué une telle indignation. Dans ce cas, cela a cristallisé une tendance beaucoup plus complexe et globale par laquelle les gouvernements et les capitalistes visent, avec vigueur, à redéfinir comme problématiques des formes de démocratie restreinte.

Démocratie vs austérité

La démocratie - dans le sens du pouvoir populaire authentique - constitue une menace pour les programmes d’austérité. Si c’était les travailleurs-euses rémunérés et non rémunérés et les personnes pauvres qui avaient à prendre des décisions collectives sur la meilleure voie à suivre, il est difficile de croire qu’ils choisiraient un plan d’action qui détériorait leurs conditions de vie et qui permettrait aux riches et à leurs entreprises d’accumuler d’énormes profits.

Ces dernières années, il y a eu une énorme mobilisation du pouvoir populaire contre les attaques de la classe ouvrière : grèves générales en Guadeloupe et en Martinique, en Égypte, en Grèce, en Espagne et au Portugal ; manifestations étudiantes massives au Chili, au Québec et au Royaume-Uni, manifestations contre la saisie des terres en Chine, et organisation d’occupations de toutes sortes par des militantEs de quartiers et les lieux de travail. Cette poussée de pouvoir populaire est un sérieux défi aux politiques d’austérité en cours de déploiement à travers les institutions de la démocratie « officielle ».

Les mouvements contre l’austérité n’ont pas encore atteint le niveau de développement et de coordination nécessaires pour mettre fin au massacre des acquis mené par les classes dirigeantes. Mais ces mouvements contiennent les germes qui pourraient un jour se transformer en une vaste lutt ayant le pouvoir social nécessaire non seulement d’arrêter les politiques d’austérité, mais de développer des formes d’auto-gouvernement collectif dans tous les domaines de la vie.

Les gouvernements et la classe capitaliste le sentent. Ils comprennent que l’épanouissement d’une véritable démocratie signifierait la fin des plans d’austérité. Alors, ils vont faire tout leur possible pour empêcher les mouvements contre l’austérité de se développer. Lorsque ces mouvements se développent, les gouvernements soutiennent que les gens devraient rentrer chez eux et attendre la prochaine élection pour exprimer leur désaccord.

Renforcement de la démocratie d’en bas

De toute évidence, la démocratie est menacée. Les gouvernements réduisent ou abandonnent même les formes restreintes de la démocratie actuelle, ce qui rend plus en plus difficile pour les gens d’influencer les décisions brutales prises au sommet.

Dans ce contexte, même une élection sans appel robotisé est peu probable et ne changerait pas grand chose. Les gens ne peuvent pas voter contre l’austérité dans la plupart des endroits - il n’y a tout simplement aucune alternative s’opposant aux politiques d’austérité sur le terrain électoral. Au niveau fédéral canadien, tous les grands partis sont fondamentalement d’accord sur ce qui doit être fait, ils n’ont à proposer que des versions légèrement différentes de la façon de le faire. Être privé de toute alternative politique sérieuse au niveau électoral n’a pas exactement le même poids que d’être empêché de se rendre au bureau de scrutin le plus près. Mais il serait judicieux de réfléchir à savoir si c’est tout à fait différent.

La seule véritable façon de défendre la démocratie est de l’élargir et de l’approfondir. Cela ne signifie pas voir une vision romantique des élections ou des droits démocratiques existants. L’État canadien est d’État capitaliste, patriarcal et raciste, et d’établissement colonial qui a toujours servi principalement les intérêts des employeurs et des privilégiés tant à l’intérieur de ses frontières et dans les autres parties du monde. Il existe des restrictions sévères sur le type de changements possibles dans le cadre de la démocratie capitaliste.

Mais en dépit de ces limitations, l’Etat reste un important champ de lutte pour les mouvements féministes, antiracistes et ouvriers qui travaillent à construire de nouvelles formes de la démocratie à la base. Et dans ces luttes, les droits existants comptent. Les droits reproductifs, le droit de s’organiser en tant que travailleurs et travailleuses, le droit aux soins de santé et à une pension, les droits des personnes homosexuelles, les droits autochtones, le droit de vote - Ces droits ont été arrachés par une action collective de masse. En dépit de leur caractère contradictoire, ils sont les manifestations du pouvoir populaire.

En tant que tels, ils sont importants non seulement en raison de leur héritage historique et de leur valeur symbolique, mais parce qu’ils servent de lignes de défense (limitées mais réelles) contre la volonté acharnée des gouvernements et des employeurs d’exploiter les travailleurs et travailleuses rémunérés et non rémunérés. Même si ces droits restent limités et qu’ils ne sont pas universellement accessibles, leur remise en cause pose un grave problème. La perte des droits démocratiques existants est une victoire pour les plans d’austérité.

Il est vrai que les luttes politiques qui cherchent une véritable transformation sociale ne peuvent pas être confinées à la sphère de la démocratie parlementaire. Construire une nouvelle gauche ayant un poids social dépend pour une large part, du militantisme qui se fait en dehors de la sphère parlementaire : les manifestations de masse, les grèves, les occupations et d’autres formes d’action directe. Mais au lieu de conclure que la défense de la démocratie actuelle est une diversion des luttes qu’il faut mener, nous devrions favoriser le développement de stratégies sur la façon de défendre les droits démocratiques existants d’une manière qui pourrait aider à construire une mobilisation de masse afin de résister aux plans d’austérité et de favoriser la liberté et la justice sociale pour toutes et tous.

La réaction de colère du public face aux appels robotisés ne manque pas totalement sa cible. Pas plus qu’elle ne reflète que des illusions dans la démocratie parlementaire. Au lieu de cela, elle doit être interprétée comme un signe supplémentaire des frustrations croissantes que la population ressent face à la manière dont la démocratie est attaquée en cette ère d’austérité par la direction de la société.

La gauche radicale a besoin de développer de nouvelles façons d’atteindre des personnes dépassant ses propres cercles habituels, non seulement pour fournir des ressources aux personnes qui tentent de donner un sens à leurs propres frustrations, mais pour apprendre des expériences de personnes qui luttent contre les bienfaits et les plans d’austérité. Prendre au sérieux l’apprentissage de la colère publique face à l’érosion de la démocratie actuelle fait partie de ce qui est nécessaire pour construire une gauche large, pluraliste et anticapitaliste capable de renverser l’offensive d’austérité et de transformer tous les domaines de la vie grâce à la démocratie à la base.


James Cairns est un membre de New Socialist à Toronto

http://newsocialist.org/index.php?option=com_content&view=article&id=615:democracy-in-the-age-of-austerity-beyond-the-robocall-scandal-&catid=51:analysis&Itemid=98

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