Presse-toi à gauche ! : Comment expliquer que Puigdemont reporte à plus tard la proclamation de l’indépendance au moment même où il fait une telle proclamation ? Quel est le sens de cette position ?
André Frappier : La tenue d’un référendum et la proclamation de l’indépendance, c’était le scénario où tout se passe en eau calme. Mais la vraie vie, ce n’est pas ça. Au référendum du premier octobre dernier, malgré des affrontements et la répression policière, plus de 40% des gens ont voté et l’indépendance à obtenu plus de 90% de oui. C’est un tour de force. Ils ont réussi. Mais les pressions contre les indépendantistes, particulièrement de l’Union européenne, ont été fortes. Les pressions de Madrid, des banques laissaient apparaître un affrontement. Et je pense que Puigdemont n’avait pas l’intention de livrer une bataille contre tout ça. Il cherchait donc une voie de sortie. Il a voulu maintenir un discours relativement à gauche (d’où la proclamation), mais avec le report à un temps indéfini la réalisation de l’indépendance dans l’espoir de discuter avec Madrid. C’est un cul-de-sac total parce que la population catalane qui soutenait le processus, elle a bien l’impression qu’elle a été laisser tomber.
Presse-toi à gauche ! : Cela va sans doute avoir un effet de démobilisation. Est-ce qu’on peut le sentir déjà ?
André Frappier : Oui, c’est sûr. Hier, j’étais au parlement catalan avec la délégation internationale et avec les gens de la CUP [1] et PODEM [2]. Ils n’appuient pas Puigdemont, mais ils espéraient. Ils espéraient qu’il donne une perspective qui va maintenir l’espoir, qui va maintenir la lutte. Mais, il n’y a eu rien du tout. Quand le discours a été terminé, la tristesse se lisait dans leurs yeux. C’était comme l’abandon de la lutte. Ce n’était pas une question partisane, car Puigdemont, ce n’est pas leur espoir, mais c’était très triste de voir l’état des choses et de voir comment ils le ressentaient hier soir.
Presse-toi à gauche ! : Il ne semble pas que cette prise de position de Puigdemont va amener l’ouverture de l’État espagnol ?
André Frappier Absolument pas parce que Mariano Rajoy [3] a affirmé ce matin que pour lui la position de Puigdemont n’était pas claire. Et il a donné un ultimatum de répondre à la question suivante : oui ou non la Catalogne a fait une déclaration d’indépendance ? Et il se réserve encore le droit de mettre en vigueur l’article 155 de la Constitution qui mettrait en tutelle la Catalogne. Maintenant que Puigdemont a mis un genou à terre, même les deux. C’est n’est pas encore suffisant pour Rajoy. Maintenant il faut qu’il s’écrase. Et Mariano Rajoy réclame qu’il y ait une déclaration ferme qu’il n’y aura pas d’indépendance.
Presse-toi à gauche ! : On est maintenant dans une période d’incertitude. Quelles sont les possibilités que le mouvement indépendantiste rebondisse ?
André Frappier : Il demeure une gauche déterminée en Catalogne avec PODEM et la CUT qui vont certainement se relever. Je pense qu’aux prochaines élections, je ne pense pas que Puigdemont va gagner beaucoup. Mais il faut prendre la mesure des choses. C’est une défaite. Et c’est difficile de construire sur des défaites. Cela va prendre beaucoup de travail et de détermination pour passer à travers ça. Et je pense que les grands défis pour nous, c’est la solidarité internationale et de tirer des leçons de cette situation. Les forces de gauche ont apprécié la présence de la délégation internationale. Ils nous l’ont dit clairement : « Votre présence nous donne espoir qu’on peut continuer, car on n’est pas seul ».
Presse-toi à gauche ! : Quelles leçons est-ce que tu tirais pour la lutte pour l’indépendance ici au Québec ?
André Frappier : La première leçon est la suivante. Quand on mène ce type de bataille, on est basé sur le mouvement social. Tu ne peux pas réaliser l’indépendance en adoptant des lois dans un parlement. Ça prend un mouvement derrière, car la droite se mobilise. Et quand tu as ce mouvement-là derrière toi et que tu as une impulsion, il ne faut pas que tu le laisses tomber. Le mouvement social, ce n’est pas un jeu de cartes que tu peux mettre de côté et que tu peux reprendre quand cela fera mon affaire. Tu ne joues pas avec le mouvement social. Il faut être basé sur un mouvement social et il ne faut pas le laisser tomber. Le silence de Trudeau sur cette question-là jusqu’à aujourd’hui, alors qu’il a refusé de dénoncer la violence de Madrid est très évocateur de la position du gouvernement fédéral par rapport au Québec.
Presse-toi à gauche ! : Jean-François Lisée a écrit sur les réseaux sociaux que la décision de suspendre la déclaration d’indépendance était « une sage décision de nos amis catalans », que penses-tu de cette déclaration ?
André Frappier : C’est incroyable. Comment Lisée peut-il féliciter Puigdemont quand il vient de porter un coup important au mouvement indépendantiste catalan ? Alors qu’il n’y a pas de pression, il ne veut pas parler d’indépendance aux prochaines élections.
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