Édition du 17 décembre 2024

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La crise migratoire : barbarie du refoulement ou civilisation de l’accueil

dimanche 20 septembre 2015

Pendant que la tragédie grecque a importé dans les pays du vieil impérialisme la crise sociale permanente que les programmes d’ajustement structurels du FMI avaient imposé dans les pays dépendants hors pays émergents, la crise migratoire européenne importe dans ces mêmes pays les conséquences de l’implosion du Moyen-Orient et de l’Afrique causée par le néolibéralisme guerrier. Dorénavant, au bénéfice des puissances européennes sur la ligne arrière ouvrant le robinet selon la convenance du besoin de main d’œuvre corvéable à merci de leurs affairistes [1], les pays balkaniques et la Grèce, pourtant dans un piteux état économique, deviennent à leur tour une massive terre d’accueil malgré eux [2]. Ils viennent relayer, mais si peu, les pays limitrophes des zones de guerre comme la Jordanie, le Liban, la Turquie, l’Iran, les pays du Maghreb... mais non Israël protégé par son mur à faire pâlir de honte ce qu’était le mur de Berlin. Comme toujours, les ÉU, le principal pays fauteur de trouble, se tirent d’affaires en portant la guerre hors Amérique et en dressant eux aussi un mur de la honte sur la frontière mexicaine refoulant les victimes de l’ALÉNA et de la guerre de la drogue pendant que son allié canadien s’illustre de nouveau comme le cancre de l’immigration [3] après avoir été celui de l’environnement.

Pourtant un pays, à commencer par celui auquel le peuple québécois aspire, a tout à gagner à devenir une terre d’accueil même pour des raisons étroites de pure comptabilité économique, fiscale et démographique, ce que comprend la bourgeoisie progressiste :

« De nombreuses études ont révélé que les immigrants stimulent la croissance en augmentant la force de travail et de la demande des consommateurs. Plutôt que d’être une perte, les immigrants paient généralement plus d’impôts que ce qu’ils réclament en prestations gouvernementales. Même un grand afflux d’immigrants ne signifie pas moins d’emplois pour la population existante puisque les économies ne disposent pas d’un nombre fini d’emplois. Les immigrants apportent souvent des compétences avec eux, et certains démarrent de nouvelles entreprises, créent des emplois pour d’autres. Le moins qualifiés prennent souvent des emplois qui sont difficiles à remplir, comme dans les services de garde, par exemple, ce qui permet à plus de parents de travailler. […] Les immigrants peuvent être particulièrement importants pour les pays comme l’Allemagne qui ont de faibles taux de natalité et une population vieillissante. » [4]

Pour que domine la politique de fermeture des frontières, complète ou relative tout dépendant du degré de mesquinerie des gouvernements en place, il faut que l’idéologie de l’austérité néolibérale ait profondément pénétré les esprits. La compétition pour l’emploi, le logement, les services publics et les prestations sociales serait à ce point acrimonieuse qu’il n’y en aurait que pour les nationaux... et encore, selon plusieurs, que s’ils sont des « Canadiens (ou Québécois) de vieille souche » dixit le Premier ministre du Canada [5]. Pour qu’une telle perversion logique s’impose il faut être rendu assez loin sur le chemin de la barbarie. Heureusement, ils et elles sont encore nombreuses qui résistent à cette logique tant en répondant aux questions de sondage [6] que surtout en posant des gestes d’accueil... encadré, il est vrai, par une politique qui n’a rien de généreuse malgré les apparences [7]. Viendraient ensuite les emplois pour la construction de logements et l’intégration dont la francisation... en autant que la langue de travail et de communication publique soit réellement le français. Finalement et surtout suivrait l’activité économique induite par la participation des nouveaux arrivés à la société d’accueil sans compter un enrichissement culturel et une atténuation au vieillissement démographique.

Faut-il ajouter qu’une politique de portes ouvertes sans restrictions et pro-active consiste aussi à aller chercher les réfugiés dans les camps pour leur éviter un parcours du combattant, de soutenir généreusement les organismes spécialisés de l’ONU responsables des camps et des réfugiées, et de garantir à tout pays en guerre qui accepte un cessez-le-feu un abondant soutien pour sa reconstruction. C’est cette critique de la politique canadienne de l’immigration que l’on attend des partis de l’opposition durant cette campagne électorale et non pas un facile et ridicule positionnement à la marge des Conservateurs [8]. Quant à Québec solidaire, doit-on espérer la fin de sa politique de l’omerta sur le sujet, à part quelques critiques faciles des Libéraux et de la CAQ, parce qu’une politique de l’immigration internationaliste est une patate chaude qui ne fait pas consensus étant donné la grande force de l’idéologie dominante sur cette question.

Marc Bonhomme, 19 septembre 2015
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

Notes

[1] Liz Alderman, Germany Works to Get Migrants Jobs, New York Times, 17/09/15

[2] Dan Bilefsky, 17 000 Migrants Stranded in Croatia by Border Crackdown, New York Times, 18/09/15

[3] Marie Vastel, Accueillir les minorités pour éviter les terroristes, Le Devoir, 17/09/15

[4] Éditorial du New York Times, Europe Should See Refugees as a Boon, Not a Burden, 18/09/15, ma traduction

[5] La Presse canadienne, Harper forcé d’expliquer son expression « Canadiens de vieille souche », Radio-Canada, 18/09/15

[6] Radio-Canada, Boussole électorale : la question des réfugiés et de la sécurité nationale, 14/09/15

[7] Face aux réfugiés, l’Allemagne s’assume comme pays d’immigration].

Une politique d’accueil radicale, sans restriction de quotas ni de critères et donnant la priorité à la réunification familiale et aux réfugiées tant politiques qu’économiques, obligerait et entraînerait une politique anti-austérité. Une politique portes ouvertes à 100% créerait un élan de solidarité en même temps qu’une pléthore d’emplois directs et indirects pour mettre en place une structure d’accueil digne de ce nom. Et qu’on ne vienne pas encore une fois invoquer l’argument fallacieux du financement alors que l’on sait que « l’argent est dans les banques » lesquelles la placent à la pelle dans les paradis fiscaux [[Gérald Fillion, Planification fiscale agressive : l’éléphant dans la pièce, Radio-Canada, 18/09/15

[8] NPD, Déclaration du NPD sur la crise des réfugiés, 12/09/15 et Parti libéral du Canada, Les candidats libéraux font preuve de leadership face à la crise des réfugiés syriens, 10/09/15

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