Tiré du site d’Alternatives.
Depuis des décennies ce mouvement annonce l’imminence de l’apocalypse que pourrait générer les crises environnementales. Et depuis des décennies, la majorité de la population continue de fermer les yeux, de même que la classe dominante et, surtout, les quelques gouvernements encore capables de renverser la vapeur.
Et pendant tout ce temps, le mouvement environnemental est très souvent resté en retrait lorsqu’il s’agissait de joindre la parole aux actes face aux violations des droits humains et face aux injustices sociales.
Il y a un peu plus d’un an maintenant, une toute nouvelle énergie s’est répandue au sein des mouvements environnementaux partout à travers le monde, incluant au Québec. Les jeunes se sont levés les vendredis à la suite de Greta Thunberg à l’occasion des Fridays for Future. Les moins jeunes se sont rebellés au sein d’Extinction Rebellion. Et des mouvements citoyens, comme La Planète s’invite au Parlement, sont apparus. Tous ensemble, ils ont réussi des choses jusqu’alors impossibles. À Montréal, une coalition d’organismes et de collectifs a réussi à soulever les foules le 27 septembre 2019. À Londres, Extinction Rebellion UK (XRUK) a réussi à bloquer la ville. Deux fois.
Et pourtant... Après la COP25, même Greta Thunberg a dû reconnaître l’échec des grèves et des marches scolaires à répétition [2]. Après le 27 septembre, les Québécois sont retournés acheter des SUV et des pick-up [3]. Après le blocage de Londres et les deux succès que furent les semaines de la rébellion au Royaume-Uni, les électeurs ont tout de même voté pour un parti promettant écocide et destruction environnementale. Et le tout, en dépit de la théorie du changement promue par XR selon laquelle la capacité à mobiliser 3,25% d’une population était synonyme de soulèvements transformateurs spontanés, ce qui ne s’appliquerait pas aux démocraties libérales il faut croire...
Puis, l’an dernier, alors que les mouvements environnementaux fleurissaient, près de 30 soulèvements populaires secouaient le monde. Ces soulèvements avaient lieu en grande majorité dans les pays du « Sud » et dénonçaient le néolibéralisme, l’autoritarisme, l’impérialisme, le patriarcat [4]. Au Québec, une initiative a vu le jour afin de coordonner ces différents soulèvements dans une lutte commune [5]. Le mouvement environnemental, lui, n’était nulle part en vue.
Après cela est venue la COVID-19. Et le mouvement environnemental s’est encore une fois retrouvé démuni face à un enjeu de justice sociale. Certain·es ont offert de manière désordonnée, quoique généreuse, leur temps aux organismes communautaires à la recherche de bénévoles. Tandis que d’autres sont tombés dans le filet d’arguments éco-fascisants [6] et célébraient allègrement la réduction des émissions de GES en ignorant ou en supportant les violations de droits humains que la situation engendrait — notamment l’accès inégal au système de santé et la fermeture des frontières face aux réfugié·es et aux travailleur/euses migrant·es [7]. Or, en l’absence d’une analyse approfondie des raisons de la catastrophe climatique et sans la compréhension que les crises sociales et les crises environnementales ont des origines communes, célébrer le retour des dauphins ne mène nulle part. Une telle célébration ne fait que renforcer l’insensibilité du mouvement face à l’ampleur de la souffrance humaine causée par cette pandémie et par la crise climatique en général, en particulier celle des minorités racisées et les peuples autochtones, ainsi que sur le « Sud global » en général.
En Occident, nous avons entendu parler du coronavirus des semaines avant qu’il n’arrive à nos portes. Pourtant, des milliers de personnes ont maintenu leur décision de voyager à l’international à l’occasion de la semaine de relâche [8]. Étaient-elles convaincues que seules les vies asiatiques allaient être prises par ce virus, et qu’elles, n’avaient pas à s’en soucier [9] ? En Occident, nous savions depuis des mois que les personnes âgées étaient plus vulnérables face au virus, pourtant nous avons échoué à mettre en place les protections nécessaires pour les résident·es des centres de personnes âgées. Sommes-nous indifférent·es au sort de nos aîné·es ?
Cette crise aura montré que notre indifférence impitoyable face à la souffrance de l’autre nous mènera à notre perte. Pourtant, notre gouvernement continue son narcissisme oligarchique. Notamment, en couvrant les frais liés aux tests pour la COVID-19 à différentes catégories de migrants, mais persistant à nier aux personnes sans-papiers la couverture de l’ensemble des tests dépistant des maladies, dont mortelles, ainsi que les soins requis, qui continuent d’être un service payant [10].
Tout mouvement qui se veut être construit sur le principe de la culture régénératrice doit nous rappeler à quel point il est de notre devoir à toustes de prendre soin les un·es des autres. Non pas de manière passive. Mais bien en nous efforçant toustes ensemble de lutter férocement contre toutes les formes d’oppressions. Toutes !
Cette crise aura montré qui sont les travailleurs et travailleuses essentiel·les dans nos communautés, ceux et celles sans lesquel·les nous ne pouvons continuer : les femmes qui travaillent à la caisse et dans toutes les sphères liées aux soins, les travailleur/euses agricoles qui nous procurent nos aliments, les travailleur/euses communautaires qui s’assurent que personne, dans nos voisinages, ne souffre de la faim — surtout pas ceux et celles qui s’efforçaient déjà tant bien que mal de survivre grâce à un salaire de misère avant que notre gouvernement envoie les classes supérieures s’emmitoufler dans leurs maisons et mette en place le tout nouveau socialisme pour riches ! Quand la crise sera finie, continuera-t-on à payer des salaires ridicules à ces personnes essentielles à notre survie ? Pendant qu’impunément nous continuerons de surconsommer et de surproduire afin de grignoter le plus rapidement possible le peu qui nous reste encore de notre budget carbone ?
Ne pas identifier cette crise comme l’occasion ultime du capitalisme du désastre, et continuer d’éviter une sortie juste et équitable de cette crise, ne fera qu’aider la droite politique à nous amener tout droit vers l’extinction. Dans les dernières semaines, la droite a déjà eu la chance de se montrer proactive notamment via la mise en place du sauvetage financier des bourses et du monde des affaires. Encore plus alarmant : la volonté de la Banque mondiale de mettre en place, dans un monde post-COVID, des « Plans d’ajustement structurels » directement inspirés de ceux qui, dans les années 1970 et 1980, avaient détruit les économies et les services sociaux de nombreux pays du « Sud » et avaient renforcé la division riche-pauvre associée à la répartition Nord-Sud [11].
Nous devons être aussi téméraires que les capitalistes du désastre introduisant les écoles à charte après l’ouragan Katrina et privatisant l’éducation à tour de bras. Et aussi présomptueux que les compagnies pharmaceutiques se précipitant à la poursuite de leurs précieux brevets afin de sauver ces précieuses vies qui leur rapporteront le plus de profit [12].
Ici, au Québec, le gouvernement est déjà en train d’utiliser l’excuse de la pandémie pour couper des milliers d’emplois dans les services publics [13]. En gardant en tête que les versements mensuels promis à tout vent ont permis d’empêcher un soulèvement populaire imminent, nous devons nous poser la question suivante : serions-nous mieux de nous battre pour un revenu de base universel ou pour la mise en place d’un rationnement ? Devrions-nous soutenir la grève des loyers ou devrions-nous exiger la nationalisation des habitations pour que, plus jamais, l’accès au droit à l’habitation ne soit dépendant de notre revenu ?
Peu importe ce que nous choisirons de faire, nous devrons être créatif/ves. Nous devrons être audacieux/ses. Nous devrons être ambitieux/ses. Car nous aurons besoin de créativité, d’audace et d’ambition pour réussir la très nécessaire mise à mal des systèmes qui permettra d’éviter la catastrophe climatique !
Et à travers nos actions, nous devrons accepter avec humilité que nous n’avons d’autre choix que d’apprendre des valeurs et des savoirs autochtones. Car la seule issue qui nous reste est celle qui passera par le respect et la protection de la nature ; pas par son exploitation.
Il est dès maintenant temps de se ressaisir et de nous unir toustes ensemble dans les coalitions du soulèvement des peuples. La contribution du mouvement environnemental peut être immense ! Nous devons exiger plus que le simple abandon du sauvetage des compagnies pétrolières. Nous devons exiger un système plus démocratique qui sera imputable directement au peuple. Nous devons exiger des changements économiques qui nous permettront de réduire notre empreinte carbone, tel que l’exige la science, tout en luttant activement contre les structures colonialistes, racistes, patriarcales et impérialistes par lesquelles le capitalisme mondialisé opère. Mais nous ne pouvons faire tout cela seul·es ! Nous devons apprendre de toustes ceux/celles qui ont résisté pendant des centenaires et nous devons agir ensemble [14].
Le temps est maintenant venu de lancer la révolution pour une transition qui sera réellement juste ! [15]
Traduction : Alix Ruhlmann
Photo : gracieuseté de XRQC
Notes
[1] J’utilise l’expression « mouvement environnemental » car malgré le fait que plusieurs organisations aient adopté des positions touchant à la justice climatique, leur identité reste encore très blanche et associée à la classe moyenne et la plupart sont encore incapables de réellement mettre en place la justice climatique.
[3] https://www.automedia.ca/ventes-de-vehicules-neufs-au-quebec-en-decembre-2019/
et
https://www.journaldemontreal.com/2019/12/10/region-de-montreal-le-nombre-de-vehicules-augmente-plus-rapidement-que-la-population
[4] https://newint.org/features/2019/12/20/year-protest
[5] https://www.facebook.com/convergenceluttessuds/
[7] https://grist.org/climate/were-the-virus-the-pandemic-is-bringing-out-environmentalisms-dark-side/
et
http://thegreentimes.co.za/condemning-eco-fascism-in-the-time-of-covid-19/
et
https://liguedesdroits.ca/asile-covid19/
[8] https://www.nytimes.com/2020/03/13/opinion/china-response-china.html
[9] Pour un excellent commentaire sur la dévaluation des vies racisées, genrées et colonisées, voir : http://www.regards.fr/idees-culture/article/pourquoi-les-corps-subalternes-sont-ils-toujours-deshumanises?fbclid=IwAR2hbY27z4H0rYoWt9gp0z_vqmmESbt8-azFMXhpfCmsq5RJRKGURxa8mXU
[12] Klein, Naomi. The Shock Doctrine : The Rise of Disaster Capitalism. Knopf Canada, 2007
[14] Par exemple, l’idéologie de la décroissance était pratiquée par les peuples autochtones depuis toujours, et par les leaders de la libération nationale comme Thomas Sankara, qui a fait des réformes économiques et politiques pour atteindre la pleine souveraineté : https://www.nofi.media/2018/02/thomas-sankara-discours-dette/39435
[15] https://extinctionrebellion.ca/quebec/demands/
À propos de May Chiu
L’autrice est membre du comité Justice climatique d’Extinction Rebellion Québec.
Un message, un commentaire ?