On dépeint les non-vaccinés comme des ennemis de l’intérieur, des traitres sociopolitiques auxquels on doit opposer un traitement punitif et ségrégationniste. En plus des interdictions liées à la passe sanitaire en cours, le gouvernement fédéral annonce leur exclusion de l’assurance emploi et la rumeur accusatrice réclame de « serrer [davantage] la vis », d’imposer la vaccination, un confinement ciblé et d’autres pénalités encore : de l’impôt supplémentaire à la facturation des soins, en passant par l’interdiction au travail, à la SAQ, etc. Bref, une infantilisation punitive sur le mode du chantage et de la sanction sociale.
Dans le même temps, ce discours fait mine d’ignorer que la vaccination n’empêche ni la propagation, ni la maladie mais diminuerait, selon des calculs spéculatifs, les risques d’hospitalisation ; on oublie que les non-vaccinés, sans passe sanitaire, sont déjà tenus à l’écart de moult lieux et activités, donc difficilement propagateurs ; on mentionne l’occupation des lits selon une proportion par million, qui inverse le rapport des nombres de lits occupés par les vaccinés et non-vaccinés. Conçue dans le sérail sensationnaliste de la peur, l’information médiatique ne précise pas les conditions médicales, l’âge ni la vaccination des malades COVID aux soins intensifs et des personnes décédées. Enfin, l’amalgame entre hospitalisés testés positifs mais asymptomatiques et hospitalisés en raison de la COVID, donc nécessitant ou non des soins pour cette maladie, grossit artificiellement le problème, tout comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre lorsque le nombre de cas (toutes gravités confondues) a surgi dans le discours politique et les manchettes des journaux, faisant exploser les chiffres et grimper le sentiment d’urgence, d’alerte, de danger.
On devrait interroger cette coïncidence prémonitoire et régulière, entre les dramatisations médiatiques de l’actualité sanitaire et les mises à jour politiques des mesures, à savoir restrictions sociales, fermetures d’écoles, délestage hospitalier, campagnes vaccinales et j’en passe. Car la prolongation de l’état d’urgence sanitaire résonne dans le silence assourdissant d’un effet d’évidence, et le mot confinement n’est même plus prononcé par les autorités qui l’imposent, comme s’il allait de soi.
Et pourtant, la fatigue pandémique s’accroît, au rythme d’une politique redondante et truffée de contradictions, où la vaccination, désormais triple dose, s’affiche comme le (Saint) graal de l’entêtement politique : on a quelques centaines de millions de doses en pré-commande jusqu’en 2024…
Le gouvernement aurait-il donc quelque intérêt au sacrifie social des non-vaccinés ? Comme rediriger simultanément le ressentiment et la colère inassouvie d’une population échaudée et épeurée à maintes reprises, afin de perpétuer sa politique ? Or, la sécurité sanitaire n’adviendra pas avec la condamnation d’une catégorie de la population ; on gravit plutôt une marche supplémentaire vers l’obéissance passive au conformisme sanitaire et numérique, édicté par la ploutocratie néolibérale.
Les idées (néolibérales) dans l’air
« Seule une crise — réelle ou supposée — peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées alors en vigueur. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables. » Milton Friedman, économiste de l’École de Chicago
Dans sa réflexion sur le capitalisme du désastre, Naomi Klein pointe l’économiste conservateur Milton Friedman, selon qui les grands changements ont lieu à l’occasion de catastrophes (naturelles, crises économiques, guerres), sur la base d’idées qui circulent dans l’air. Et Klein montre qu’en effet les idées néolibérales de la révolution conservatrice inspirées par Friedman se fraient un chemin opportuniste à ces occasions. « Pour lui, l’État a pour unique fonction, ¨de protéger notre liberté contre ses ennemis extérieurs et contre nos concitoyens eux-mêmes : il fait régner la loi et l’ordre, il fait respecter les contrats privés, et il favorise la concurrence.¨ En d’autres termes, il s’agit de fournir les policiers et les soldats — tout le reste, y compris l’éducation publique gratuite, n’est qu’ingérence au sein des marchés. »(p.10) Et voilà comment à la Nouvelle Orléans, après l’ouragan Katrina, des 127 écoles publiques initiales il n’en resta que 4 (avec quelque 4700 personnels syndiqués perdant leur emploi) et les écoles à charte (subventionnées par le public mais exploitées par le privé, et sans syndicats) passèrent de 7 à 31. Le gouvernement a simplement offert aux familles des bons d’études pour la scolarisation dans le privé, plutôt que de reconstruire les établissements publics.
Voilà comment le capitalisme du désastre profite des traumatismes collectifs faisant suite aux catastrophes, parfois même orchestrées par les tenants de la révolution conservatrice, afin de modifier de part en part le système politico-social d’un pays.
Autrement dit, à la faveur d’une crise où l’incertitude, la peur et le ressentiment prédisposent la population à toutes sortes de manipulations médiatiques, scientistes et politiques, on peut sérieusement craindre que l’enjeu, comme s’il n’était pas suffisant, dépasse la liquidation d’un groupe populationnel. Premièrement, l’idée de mettre au banc quelque 10% de la population, en créant davantage d’exclusion, de pauvreté et de désespoir, est en train de devenir socialement acceptable parce qu’on la construit sur la vulnérabilité pathétique d’une population amenée par un état autoritaire à contracter contre elle-même (c’est-à-dire soumise à des restrictions qui heurtent son sentiment de liberté). C’est effectivement le ressentiment, la frustration collective due à la privation de nombreuses libertés qui rendent féconde la violence médiatique et politique de la construction sociale du bouc émissaire : le traitement impensable qu’on s’apprête à administrer aux non-vaccinés serait socialement inacceptable hors ladite crise. Deuxièmement, ce virage qu’on retiendra peut-être parmi les étapes historiques de notre effondrement, épouse pleinement une conception ultra-libérale et extrémiste de la sécurité, où chacun incarne un danger sanitaire pour les autres, où chacun doit être individuellement et exclusivement responsable de sa santé (exit les déterminants sociaux de la santé) tout en étant redevable à tous de son état de santé (et même contrôlable par tout un chacun).
Refuserons-nous vraiment d’entrevoir que la mise à mort sociale des non-vaccinés présage probablement la destruction totale des services publics de santé et d’éducation ? Que la passe sanitaire sera progressivement assortie d’autres obligations que vaccinales, au prétexte des crises sanitaires, climatiques et sociales à venir ? Et le contrôle numérique fort probablement renforcé, de façon à « simplifier » l’utilisation et « optimiser » les mises à jour des autorisations et interdictions selon notre degré de conformation aux critères de sécurité sanitaire (et autres déclinaisons possibles) ? Refuserons-nous vraiment de comprendre qu’une autre catégorie sanitaire de concitoyens pourrait être placée, à la suite des non-vaccinés, sur le banc des accusés, simplement parce qu’ils seront les prochains estimés « dangereux » : et l’on exclura par exemple les asymptomatiques de l’école ?
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