Tiré de Entre les lignes et les mots
DR : Peux-tu donner un aperçu de la situation politique en Israël, à l’approche de nouvelles élections ?
UW : Israël tiendra bientôt ses cinquièmes élections législatives en quatre ans, ce qui exprime la crise politique traversée par l’establishment israélien et les partis en place, incapables de former un gouvernement stable. Une crise qui doit être rattachée à et est aggravée par les différentes crises sociales et économiques qui ont suivi la pandémie de Covid.
Après 30 ans d’austérité néolibérale, la protection sociale et les services publics n’ont pas été en mesure de répondre aux besoins de la pandémie. Les soins de santé ont été lentement privatisés depuis le milieu des années 1980, les services sociaux sont faibles. Il y a eu une grève importante du syndicat des travailleurs sociaux, environ trois mois après le début de la pandémie. Le système éducatif a été partiellement privatisé. Les écoles sont sous-financées, les salles de classe sont surpeuplées. L’ancien Premier ministre Netanyahu a dû gérer une crise sociale et économique. Le chômage est passé à 1,4 million, un chiffre qui comprend celles et ceux qui ont perdu leur emploi en raison des coupes budgétaires et des fermetures pendant la pandémie, et les personnes en congé de longue durée, qui, bien qu’elles ne soient pas officiellement au chômage, étaient effectivement sans emploi.
Par rapport à d’autres pays dans le monde, y compris ceux qui ont des gouvernements de droite, comme le Royaume-Uni de Boris Johnson, le gouvernement Netanyahu a accordé très peu d’avantages aux travailleurs ou aux petites entreprises pendant la pandémie. Nous avons assisté à des vagues de grèves – de médecins, d’enseignants et d’autres secteurs d’activités- et à une agitation sociale croissante. Cette situation a trouvé une sorte d’expression politique dans les manifestations anti-corruption contre Netanyahu, qui ont constitué la toile de fond politique dans laquelle se sont déroulées les élections de l’année dernière, au cours desquelles Netanyahu n’a pas pu former de gouvernement et a finalement été contraint de quitter ses fonctions.
Le gouvernement qui a émergé était très contradictoire. Il comprenait la droite anti-Netanyahu, y compris Avigdor Lieberman, les partis centristes, et les deux partis traditionnels de la gauche – le parti travailliste, un parti social-démocrate traditionnel, désormais très à droite même si on la compare à social-démocratie dominante, et le Meretz , qui occupe une position similaire aux Verts dans de nombreux pays européens, avec une base principalement parmi la classe moyenne libérale et les étudiants, avec un accent sur le féminisme, les droits des personnes LGBT et l’environnement. Pour la première fois, un parti arabo-palestinien participait à un gouvernement de coalition – la Liste arabe unie (UAL), liée au Mouvement islamique.
Le seul ciment de la coalition était son opposition à Netanyahu. Ses contradictions ont finalement conduit à sa chute. Tous les partis qui la compose, à l’exception de l’UAL, tirent leur principal soutien électoral des couches de la classe moyenne supérieure. Les classes populaires de la société judéo-israélienne, la classe moyenne inférieure et la classe ouvrière votent largement pour les partis de droite, y compris la droite religieuse. Le seul parti non droitier de l’opposition à s’orienter vers les couches populaires et à recueillir quelques voix dans leurs rangs est la Liste arabe unie, une coalition de partis arabo-palestiniens qui comprend et est dirigée par le front électoral du Parti communiste, historiquement un parti binational. La Liste arabe unie est restée dans l’opposition.
Selon les sondages en prévision des prochaines élections, la droite et l’extrême droite, le Likud et les partis religieux sionistes, se portent bien. Le parti centriste Yesh Atid, dirigé par Yair Lapid, qui sera Premier ministre jusqu’aux élections, progresse également, mais en récupérant les voix de la gauche plutôt que celles de la droite.
Que peux-tu dire de la participation des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à la politique officielle du pays ?
Le taux d’abstention parmi les Arabo-Palestiniens devrait être élevé. On a de plus en plus le sentiment que, après avoir fait l’expérience de l’entrée d’un parti arabe dans un gouvernement de coalition, les Palestiniens ne sont pas en mesure d’influencer la politique israélienne..
Les citoyens arabo-palestiniens sont représentés à la Knesset depuis la formation de l’État d’Israël. En gros, il y a eu trois courants politiques principaux : un courant islamique, un courant arabo-nationaliste et un courant représenté par le Parti communiste (PC), qui se définit traditionnellement comme binational, juif et arabe. L’influence du PC parmi les Israéliens juifs a diminué, et la majorité de sa base électorale et de ses membres est désormais issue de la minorité arabo-palestinienne.
Avant les élections de 2015, le seuil électoral requis pour que les partis soient représentés à la Knesset était passé de 2% à 3,25%. En réponse, quatre partis existants représentant les Palestiniens se sont unis dans la Liste commune. Cela a été vu avec un certain optimisme par de nombreux citoyens arabo-palestiniens d’Israël, car, pour la première fois, les trois principaux courants politiques ont été réunis en une seule coalition électorale. Après les élections de 2015, la Liste arabe unie était le troisième plus grand bloc à la Knesset. Aux élections de mars 2020, il a remporté un record de 15 sièges, sur un total de 120.
Sous la direction du socialiste palestinien Ayman Odeh, qui est membre du PC, la Liste arabe unie était considérée comme un véritable acteur de la politique israélienne car Odeh s’est montré prêt à soutenir un bloc anti-Netanyahu à la Knesset qui pourrait écarter Netanyahu du pouvoir. Cela a trouvé un écho auprès des membres de la communauté arabo-palestinienne qui voulaient influencer la politique israélienne et faire partie de la vie politique en Israël. La Liste arabe unie a recommandé que Benny Gantz, alors chef du bloc centriste, forme un gouvernement. Mais le centre a laissé tomber la minorité arabo-palestinienne, certains de ses députés refusant de faire partie d’un gouvernement qui dépendait de la Liste arabe unie, si bien que Netanyahu est resté au pouvoir à ce moment-là.
Début 2021, la Liste commune s’est scindée, l’UAL se séparant. Il existe des différences majeures entre l’UAL et les autres partis de la Liste commune. L’UAL est un parti conservateur-islamiste et se concentre uniquement sur les Palestiniens musulmans, ignorant l’importante minorité chrétienne ainsi que la communauté druze. La Liste arabe unie est éclectique, contenant des éléments conservateurs mais aussi plus libéraux et progressistes. Une députée de la Liste arabe unie, Aida Touma-Suleiman, du PC, dirige la commission pour l’égalité des sexes de la Knesset.
L’UAL a abordé les dernières élections en disant qu’elle jouerait le jeu politique et qu’elle était prête à rejoindre un gouvernement de coalition, même dirigé par Netanyahu. La Liste arabe unie a refusé de participer à l’exécutif, mais dit qu’elle pourrait soutenir un gouvernement de centre-gauche anti-Netanyahu sur une base de confiance et d’approvisionnement.
Que pensez-vous de la participation des partis de gauche à la coalition ?
Les travaillistes et le Meretz étaient depuis longtemps hors du pouvoir. Les travaillistes n’avaient pas participé à un gouvernement depuis 2011 ; pour le Meretz, c’était en 2000. Ces partis ont donc vu dans l’adhésion à la coalition une opportunité de se reconstruire après une longue période de marginalisation.
Cependant, il est devenu clair très rapidement que la gauche avait peu de pouvoir au sein de la coalition et, plutôt que d’imposer sa politique à la droite, on lui dictait ses positions. Les défis politiques se terminaient toujours par la capitulation des partis de gauche face à la droite. Cela a été illustré par le vote pour renouveler la loi sur la citoyenneté, qui contient une clause interdisant aux citoyen·es palestinien·nes d’Israël qui épousent des Palestinien·nes des territoires occupés de faire venir leur conjoint·e pour vivre avec elles ou eux. C’est une loi raciste qui déchire les familles palestiniennes. La législation était à renouveler et, malgré une opposition de longue date à la loi, les partis de gauche acceptèrent la discipline de la coalition et votèrent sa reconduction, afin de préserver la coalition.
La gauche a également capitulé en ce qui concerne la construction de colonies. Sous le gouvernement de coalition, plusieurs nouvelles colonies illégales même du point de vue de définition que l’État israélien donne de lui-même ont été construites, comme Evyatar. Le gouvernement était confronté à une question claire : allait-il prendre des mesures contre ces colonies, qui sont clairement criminelles selon la loi israélienne ? Bien que certains députés des partis de gauche avaient participé à des manifestations contre Evyatar, lancées par des organisations pacifistes, les deux partis de gauche de la coalition ont néanmoins accepté à la politique du gouvernement consistant à « légaliser » la colonie plutôt que de démolir ses bâtiments.
La politique économique de la coalition a été celle de l’austérité néolibérale, sous la direction de l’extrême droite Avigdor Lieberman en tant que ministre des Finances. Il a suspendu les paiements de congé, a tenté de réduire le paiement des heures supplémentaires et a relevé l’âge de la retraite pour les travailleuses. Aucune politique de gauche favorable à la classe ouvrière n’a été adoptée. La dirigeante travailliste Merav Michaeli a été ministre des Transports, mais son mandat a été marqué par une campagne d’actions revendicatives des travailleurs des bus sur les salaires et les conditions de travail, y compris les questions de sécurité, auxquelles elle a été totalement indifférente. En fait, elle a accusé leurs grèves d’être « politiquement motivées » pour les décrédibiliser leurs revendications.
De même, le chef du Meretz, Nitan Horowitz, a été ministre de la Santé dans la coalition. Son mandat a vu des grèves de médecins et d’autres travailleurs de la santé, y compris la poursuite d’une campagne de jeunes médecins pour une réduction des heures de travail qui a commencé sous le gouvernement précédent. Il était d’abord complètement indifférent, ne voulant même pas rencontrer le syndicat des jeunes médecins, qui a manifesté devant sa résidence de Tel-Aviv. Mais après des mobilisations et des actions syndicales continuelles, une réunion a eu lieu. Il a ensuite changé de position, affirmant que le problème venait du ministère des Finances. Le syndicat n’a pas été impressionné et a continué à organiser des manifestations contre lui.
La gauche a donc été incapable d’avoir un impact sur la politique dans le cadre de la coalition – ni sur les questions de racisme et d’occupation, ni sur les questions socio-économiques. Cela a été une expérience très négative. Malgré leur affinité formelle avec la social-démocratie, dans la pratique, le Labour et le Meretz poursuivent des politiques néolibérales. Les recherches suggèrent qu’ils tirent leur soutien électoral des 30% supérieurs de la société israélienne. Ils ne subissent aucune pression de leur base pour poursuivre des politiques favorables à la classe ouvrière.
De toute évidence, la situation au niveau de la gauche électorale est sombre. Qu’en est-il de la gauche extraparlementaire ?
Je suis un militant de Standing Together. Je considère notre travail comme la principale source d’optimisme sur la scène politique israélienne.
Nous sommes un mouvement relativement jeune, formé il y a environ sept ans. Nous avons beaucoup grandi ces trois dernières années. Avant les cycles électoraux consécutifs de 2019, nous comptions 600 membres. Aujourd’hui, nous en avons environ 3 300. Nous organisons les citoyens juifs et arabo-palestiniens d’Israël – contre l’occupation et pour la paix, contre le racisme et pour l’égalité, et pour les droits des travailleurs et la justice sociale et environnementale. Nous avons mené un certain nombre de campagnes dans cette perspective de classe.
Notre plus récente campagne, qui a eu un certain succès, a été d’augmenter le salaire minimum. Israël a un pourcentage particulièrement élevé de travailleurs faiblement rémunérés par rapport aux autres pays de l’OCDE. Le salaire minimum n’a pas augmenté depuis 2017 et s’élève actuellement à 29,12 NIS de l’heure, soit environ 5 300 Shekels (environ 1580€ ) par mois. C’est insuffisant pour faire face à des loyers très élevés et à une hausse du coût de la vie. Au cours de la dernière année, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de près de 20% et les coûts du logement ont augmenté de plus de 15%. Près de la moitié de la main-d’œuvre salariée en Israël est payée moins de 40 Shekels de l’heure.
En août 2021, nous avons lancé une campagne intitulée « Minimum 40 », autour de la simple revendication d’augmenter le salaire minimum à 40 Shekels (13€) de l’heure. La demande a résonné dans diverses couches de la classe ouvrière en Israël. On a vu des actions de terrain menées dans le cadre de cette campagne dans les grands centres urbains comme Tel-Aviv, mais aussi en périphérie, dans les petites villes du nord d’Israël, voire dans des villes ultra-orthodoxes comme Bnei Brak Cela était particulièrement important parce que la vie politique formelle dans ces villes est dominée par la droite.
La campagne a pu faire quelque chose que nous pensons être la clé pour transformer la société israélienne, soit rassembler des gens de différentes communautés pour lutter autour d’un intérêt de classe commun. Suite à cette campagne, des personnes ultra-orthodoxes se sont jointes à Standing Together. Nous avons-nous sommes d’abord entretenus avec eux et les avons mobilisés autour de la question du salaire minimum, mais nous avons réussi à convaincre certains d’entre eux de nos perspectives plus larges et ils ont maintenant rejoint le mouvement. De même, nous avons de jeunes Arabo-Palestiniens, auparavant anti-politiques, devenus politisés à travers la campagne et rejoignant le mouvement. Ce sont des gens qui ne sont pas de la gauche traditionnelle. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que tous ceux qui se sont engagés dans la campagne sont devenus socialistes
Pour transformer Israël, y compris dans sa relation avec les Palestiniens, nous avons besoin d’une gauche hétérogène et capable de mobiliser les travailleurs de diverses communautés au sein d’Israël, à la fois dans la société juive israélienne et parmi les citoyens arabo-palestiniens. Cela signifie construire une gauche capable de se mobiliser dans les communautés ultra-orthodoxes, par exemple.
Minimum 40 avait également un aspect parlementaire, et un projet de loi a été rédigé et coparrainé par 47 députés, de tout l’éventail politique, y compris des députés juifs et palestiniens. C’est un nombre très élevé compte tenu du niveau de polarisation de la Knesset actuelle. Le 8 juin, nous avons réussi à imposer un vote préliminaire et le projet de loi a été adopté. Trois factions de la coalition ont défié la discipline gouvernementale lors de ce vote – deux en refusant de voter contre le projet de loi et une en votant pour. Nous avons vu cela comme une grande victoire après 10 mois de campagne – démarchage, pétition, tracts – dans tout le pays. Nous avons traduit cette énergie de campagne en pression sur l’establishment politique. Le résultat final est qu’un projet de loi a été adopté qu’ils ne voulaient tout simplement pas voir adopté.
Le gouvernement a maintenant démissionné avant que nous puissions donner suite à ce succès et procéder à la promulgation du projet de loi. Dans les derniers jours avant la rupture, des pourparlers indirects ont eu lieu entre des responsables du ministère des Finances et des représentants de Standing Together, pour discuter de la rédaction d’une législation visant à augmenter le salaire minimum. Le parti travailliste a agi en tant que médiateur ici, cherchant vraisemblablement à gagner du prestige politique pour lui-même si le salaire minimum était finalement augmenté. Le ministre des Finances Lieberman a finalement bloqué cela, ne voulant pas voir une législation populaire adoptée dans les derniers jours du gouvernement. Malgré cela, nous considérons cette campagne comme une formidable victoire et une validation de notre approche. Cela a montré aux gens que si vous vous organisez et luttez, vous pouvez gagner.
La pensée dominante d’une grande partie de l’extrême gauche à propos d’Israël est qu’il s’agit simplement d’une société de colons, une implantation réactionnaire et illégitime dans la région. Certains peuvent même considérer les succès des luttes économiques en Israël comme réactionnaires, car ils renforcent le privilège des travailleurs juifs israéliens sur les Palestiniens occupés. De nombreux militants de gauche internationaux soutiennent que l’accent devrait uniquement être mis sur le soutien de la lutte palestinienne contre Israël, et que toute concentration sur la lutte à l’intérieur même d’Israël est, au mieux, une distraction. Comment réagissez-vous à ces points de vue ?
En regardant la société israélienne de l’extérieur, elle peut sembler être un bloc homogène et réactionnaire. Mais un examen plus approfondi révèle une réalité plus nuancée. Comme toute société, Israël a ses progressistes et ses réactionnaires. Et, plus fondamentalement, c’est une société de classes : il y a une classe de gens qui vit en vendant sa force de travail, et une autre qui vit principalement en exploitant cette force de travail. Ignorer ces tensions et contradictions, et ne pas les considérer comme des lieux potentiels de lutte transformatrice, conduit à des conclusions politiques erronées.
Israël est un pays riche avec des pauvres. Il y a d’énormes quantités de richesses dans l’industrie technologique israélienne, dans son industrie biomédicale. Pourquoi alors une telle inégalité, une telle pauvreté, un tel écart entre riches et pauvres ? Une des réponses que je donnerais est : l’occupation. Une grande partie du budget de l’État israélien est consacrée au maintien de l’appareil d’occupation – acheter des sous-marins nucléaires à l’Allemagne plutôt que de financer des hôpitaux, acheter des bombes aux États-Unis plutôt que de financer des écoles.
Le financement pour maintenir une occupation militaire sur la Palestine, le financement d’une guerre rituelle contre Gaza tous les deux ans, le financement pour renforcer la capacité militaire pour une future guerre potentielle avec la Syrie ou l’Iran, le financement du projet de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – tout cela est directement lié aux raisons qui font que les classes populaires israéliennes, tant les Israéliens juifs que les Arabes-Palestiniens, se retrouvent à vivre dans la pauvreté.
Les travailleurs israéliens ont donc un intérêt direct et matériel à mettre fin à l’occupation. La situation actuelle compromet considérablement le bien-être et la sécurité des Israéliens juifs. Donc pour moi, en tant que juif israélien, en tant que père de deux jeunes enfants, il serait très avantageux pour moi et ma famille de mettre fin à l’occupation, de démanteler le projet de colonisation, d’empêcher de futures guerres. Il est dans notre intérêt de changer cet état de fait. Cela ne veut pas dire que la lutte des classes en Israël ne devrait être considérée que de manière instrumentale, en termes de relation avec l’occupation. Les victoires du travail sur le capital sont de bonnes choses en elles-mêmes. Mais dans le contexte israélien, il y a aussi un lien avec la question de la politique d’Israël envers les Palestiniens.
Il y a 15 ans, lorsque le Royaume-Uni était une force d’occupation en Irak, j’aurais pu dire à un gauchiste britannique : « Pourquoi devrions-nous prendre la peine de parler d’une lutte pour sauver le NHS, ou de la lutte des travailleurs du métro à Londres, alors que le Royaume-Uni poursuit des politiques impérialistes et occupe un autre pays ? » Cette personne aurait pu raisonnablement me considérer comme plutôt étroit d’esprit pour avoir refusé de regarder comment la dynamique et les contradictions au sein de la société britannique pourraient être liées à une lutte pour mettre fin à l’occupation de l’Irak.
Regardez les États-Unis : les États-Unis sont la plus grande puissance militaire du monde. Cela signifie-t-il que nous, en tant que socialistes, sommes indifférents aux luttes des travailleurs américains et aux luttes de la société américaine sur des questions telles que la liberté reproductive ? Toutes ces luttes sont des écoles qui enseignent aux travailleurs américains comment se battre et gagner, comment construire le pouvoir, comment faire la différence entre leurs intérêts et les intérêts de la classe dirigeante.
Les luttes sociales sont des écoles de conscience de classe. Elles nous font réaliser que nous ne sommes pas dans le même bateau que nos dirigeants. Les travailleurs israéliens qui luttent pour augmenter le salaire minimum aident, et n’entravent pas, les efforts pour construire un mouvement contre l’occupation, en aiguisant les contradictions de classe au sein d’Israël. Bien sûr, ce n’est pas un processus automatique ou mécanique. Augmenter le salaire minimum en Israël ne conduira pas à l’évacuation des colonies. Établir ces liens nécessite l’intervention active des socialistes dans ces luttes pour établir ces liens et persuader les travailleurs d’une perspective qui relie la lutte pour la transformation sociale en Israël avec la lutte palestinienne pour l’indépendance et l’égalité.
Comment Standing Together tente-t-il de faire cela ?
Fin mars/début avril, il y a eu une vague d’attentats mortels à l’intérieur d’Israël. Cela a commencé à Beer Sheva, où un terroriste inspiré par Daech a attaqué des passants juifs dans la rue. Cela a provoqué des ondes de choc au sein de la société israélienne, car c’était la première fois qu’il y avait une attaque inspirée par Daech en Israël. Cela a conduit à une augmentation des tensions, les politiciens de droite tentant de dépeindre tous les Palestiniens comme des terroristes potentiels de l’EI.
D’autres attaques ont eu lieu dans les jours et les semaines qui ont suivi. Cela a créé une atmosphère de peur et de terreur et une augmentation du racisme contre les citoyens arabo-palestiniens d’Israël. Dans le cadre de la campagne Minimum 40, nous avons estimé que si la campagne continuait simplement avec ses messages de base sans aucune référence à l’état d’esprit qui régnait dans le pays, elle serait déconnectée de la réalité sociale.
En réponse, nous avons donc produit des supports de campagne qui ont mis en avant diverses voix, en particulier celles des travailleurs arabo-palestiniens. Nous avons produit des vidéos avec des travailleurs arabo-palestiniens discutant de la peur qu’ils ressentaient – la peur des attaques racistes de la part des Israéliens juifs, mais aussi leurs propres craintes concernant la croissance des idéologies de type Daech, qui constituent également une menace claire pour la société palestinienne. Nous avons mis en avant des voix et des histoires de salariés au salaire minimum qui reflétaient la diversité de la campagne : un ouvrier ultra-orthodoxe de Bnei Brak, un ouvrier palestinien de Jérusalem, un travailleur scolaire juif israélien de Haïfa. Tous ont parlé des peurs qu’ils ressentaient et de leur désir de sécurité, c’est-à-dire de se sentir en sécurité pour marcher dans les rues, mais aussi de sécurité économique, sachant qu’ils pourraient joindre les deux bouts.
En mettant l’accent sur le désir de sûreté et de sécurité ressenti dans toutes les communautés, nous avons pu contrer les récits racistes de la droite. En concentrant les voix des travailleurs juifs et palestiniens qui s’organisaient autour d’un intérêt de classe partagé, nous nous sommes frayé un chemin et avons été en mesure de diffuser un message antiraciste qui pouvait être compris par des personnes qui se sentaient tendues et effrayées. Bien sûr, ce n’est pas facile et les réponses ne sont pas toujours toutes faites, mais je pense que cela montre comment notre approche d’organisation autour d’intérêts de classe communs peut créer un cadre pour promouvoir une politique d’antiracisme et d’égalité, même en période de tension.
Lorsque je parle avec des militants de l’étranger de la solidarité avec la Palestine je fais la distinction entre mes responsabilités immédiates et les leurs. Je ne suis pas lié à la société israélienne de l’extérieur. J’en fais partie. La majorité des personnes avec lesquelles j’interagis quotidiennement sont des Israéliens juifs. J’ai la responsabilité d’intervenir dans cette société et d’essayer de changer la façon de penser de mes compatriotes juifs israéliens, de demander : « L’indépendance palestinienne nous menace-t-elle ou pourrait-elle nous être bénéfique ? La construction de colonies nous profite-t-elle ou nous menace-t-elle ?
Standing Together veut construire une nouvelle majorité dans notre société. Notre objectif est de transformer la société dans laquelle nous vivons, et nous pensons que notre vision, basée sur les classes et enracinée dans le socialisme, peut fournir la base pour y parvenir.
Que peuvent faire les socialistes au niveau international pour soutenir Standing Together et son travail ?
Pour moi, le mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien et pour une paix juste au Moyen-Orient n’est pas acquis. En parlant avec des militants pacifistes chevronnés en Israël, qui se souviennent de l’atmosphère politique locale et internationale après la guerre de 1967, j’entends des histoires sur la façon dont il était considéré comme faisant partie du sens commun qu’Israël était un libérateur, luttant pour sa légitime défense, et non un agresseur. Et j’ai écouté des leçons durement apprises sur la façon dont les Israéliens juifs anti-occupation et les Arabes-Palestiniens ont dû nager à contre-courant pour faire de « la question palestinienne » un problème pour la gauche internationale.
Ainsi, le fait que maintenant, en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs, il y ait tant de partenaires qui soutiennent la cause de la fin de l’occupation et de l’indépendance et de la justice pour le peuple palestinien est quelque chose qui réchauffe le cœur.
Cependant, la lutte particulière dans laquelle je suis impliqué – faire évoluer l’opinion publique au sein de la société israélienne elle-même, construire une nouvelle majorité en Israël qui soutiendrait une paix israélo-palestinienne, mettre fin à l’occupation et progresser vers l’égalité et la justice sociale – est souvent négligée lorsque l’on parle de la région, même parmi les publics de gauche et les médias de gauche. En effet, la question de savoir si un sujet politique pouvant faire partie d’une transformation progressive dans la région existe même au sein de la société israélienne est contestée dans les cercles de gauche à l’échelle internationale. Je réponds à cette question par un « oui » retentissant. Par conséquent, je demande à mes collègues socialistes à l’étranger d’introduire dans leurs perspectives politiques les leçons de la façon dont nous nous mobilisons, organisons et luttons à l’intérieur d’Israël autour des valeurs que nous partageons tous.
En amplifiant, dans les cercles de gauche, ainsi que dans les grands médias et le débat public dans vos pays respectifs, les informations et les analyses sur les luttes pour la paix et la justice menées au sein de la société israélienne, vous ne faites pas que tendre la main à ceux qui luttent ici, vous contrez également le faux récit, qui s’est malheureusement renforcé ces dernières années, selon lequel critiquer la politique du gouvernement israélien est automatiquement illégitime ou sectaire. Nous, citoyens juifs et palestiniens d’Israël, nous nous organisons sur le terrain contre la politique de notre propre gouvernement, tout comme les socialistes aux États-Unis ou au Royaume-Uni le font contre la leur.
Amplifier les voix de ceux qui luttent pour la justice ici et éduquer le grand public sur les luttes menées peut être une contribution substantielle à notre cause commune de mettre fin à l’occupation et de parvenir à la paix, à la justice et à la liberté pour tous ceux qui vivent dans ce pays.
De nombreux commentateurs affirment désormais que « la solution à deux États est morte », ce qui implique que cela ouvre des possibilités de lutter pour un règlement à État unique quelconque. Mon point de vue est que les mêmes tendances qui rendent actuellement improbable un cadre à deux États rendent également tout cadre à État unique véritablement égalitaire encore moins probable, et que la création d’un État palestinien indépendant, aux côtés d’Israël et avec les mêmes droits qu’Israël, demeure la « prochaine étape » évidemment implicite en termes de résolution de l’inégalité des droits nationaux entre les deux peuples. Quel est votre point de vue sur cette question, et Standing Together a-t-il une politique formelle sur cette question ?
Les sondages d’opinion publique continuent de montrer que la création d’un État palestinien indépendant aux côtés d’Israël est la solution préférée des Palestiniens et des Israéliens, bien qu’une majorité d’entre eux restent pessimistes quant à la possibilité d’y parvenir. Le fait que le racisme anti-palestinien soit endémique au sein de la société israélienne, que les partis bellicistes et pro-implantation restent puissants au sein du système politique israélien et que l’administration américaine soutienne pleinement la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens – tout cela est donné comme raisons pour lesquelles le statu quo est censé rester en place, et qu’aucun progrès réel n’est susceptible d’être fait pour aboutir à la la fin de l’occupation et à une paix israélo-palestinienne.
Cela signifie que l’un de nos principaux défis est de lutter contre le désespoir et de montrer aux gens que lorsque nous nous organisons et nous battons, nous pouvons aussi gagner. C’est vrai en ce qui concerne les questions sociales, environnementales et démocratiques au sein de la société israélienne, mais cela peut aussi être vrai vis-à-vis de la question des territoires palestiniens occupés.
La question « un État contre deux États » pourrait être considérée comme une question digne de discussion dans un campus quelque part en Europe ou en Amérique du Nord, mais ici en Israël et en Palestine, elle est entièrement abstraite. Nous vivons dans une réalité dans laquelle Israël contrôle globalement l’ensemble du territoire, avec une démocratie limitée et paralysée à l’intérieur des frontières de 1967 et une occupation ou un blocus militaire ouvert en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. Il existe déjà une « solution à un État » : nous avons déjà un État unique exerçant son pouvoir sur tout le territoire. Ce qu’il faut maintenant, c’est que les Palestiniens des territoires occupés pendant la guerre de 1967 obtiennent leur indépendance nationale au sein d’un État reconnu et viable, comme le stipulent de nombreuses résolutions de l’ONU.
Je crois qu’un tel État palestinien indépendant devrait exercer sa souveraineté sur l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la frontière du 4 juin 1967 (« La Ligne verte ») étant la frontière internationalement reconnue entre lui et l’État d’Israël. Jérusalem-Est devrait être la capitale de l’État palestinien, tandis que Jérusalem-Ouest restera la capitale d’Israël. Toutes les colonies doivent être évacuées, tous les prisonniers palestiniens à l’intérieur d’Israël doivent être libérés et le soi-disant « mur de séparation » construit par Israël doit être démantelé.
Le problème des réfugiés palestiniens devrait avoir une solution juste et convenue, conformément à toutes les résolutions de l’ONU, y compris la résolution 194, et Israël devrait s’efforcer de s’intégrer dans la région, notamment en avançant vers la paix avec la Syrie, sur la base d’un retrait de la zone occupée, les hauteurs du Golan et avec le Liban, sur la base d’un retrait des fermes de Chebaa occupées. En outre, progresser vers une paix globale dans la région signifie qu’Israël doit défendre la cause d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive, et que le gouvernement israélien doit respecter le Traité international de non-prolifération. Ce plan de paix est, bien sûr, farouchement combattu par l’establishment politique d’Israël, déterminé à « gérer le conflit », c’est-à-dire à essayer de maintenir le statu quo aussi longtemps que possible.
Standing Together, en tant que mouvement, défend une paix israélo-palestinienne basée sur la justice et l’indépendance pour les deux peuples de ce pays, tout en sachant très bien que le vrai problème réside dans la réticence de l’establishment politique israélien à avancer vers une telle solution. Par conséquent, l’une de nos tâches principales est de faire évoluer l’opinion publique et construire une nouvelle majorité au sein de notre propre société, une majorité qui favoriserait la solution pacifique que nous pensons être le strict minimum nécessaire pour garantir l’indépendance, le bien-être et la sécurité à la fois des juifs et des palestiniens. C’est tout un défi, mais nous sommes déterminés à le relever. Il peut être mieux décrit par les mots du poète communiste allemand Bertold Brecht : « La chose la plus simple est la plus difficile à atteindre ».
“The simple thing. So hard to achieve.”
https://newpol.org/the-simple-thing-so-hard-to-achieve/
https://ensemble-insoumise.org/la-chose-la-plus-simple-est-la-plus-difficile-a-atteindre/
Traduction initiale légèrement corrigée (DE)
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