En revoyant le cheminement du débat sur le projet de charte depuis qu’une fuite médiatique l’a lancé inopinément en août dernier, on s’aperçoit qu’il s’est déroulé selon un scénario habilement conçu. Non seulement le sujet s’est-il imposé d’emblée comme la vedette du forum public mais les divers éléments du projet se sont vite imbriqués les uns aux autres pour devenir une pièce maitresse de la stratégie électorale du parti gouvernemental. Ainsi, si le l’on se fie aux derniers sondages, le regain de popularité dont profite le Parti québécois en région grâce à la charte devrait pouvoir l’extirper de la gangue de la minorité parlementaire pour le hisser au nirvana de la majorité lors des élections qui auront lieu d’ici quelques semaines au mépris de la loi sur les élections à date fixe qu’a pourtant fait adopter le gouvernement Marois.
Il est évident depuis le début qu’entre une laïcité ouverte et une laïcité fermée le gouvernement péquiste choisissait la deuxième. En tenant compte davantage de la situation qui prévaut en France que de la conjoncture québécoise, il préférait pour ainsi dire le prêt-à-porter d’un modèle français de nature jacobine plutôt au fait-sur-mesure d’un modèle québécois plus souple adapté au contexte nord-américain. Le ton du débat actuel démontre aussi que le nationalisme civique du PQ se transforme peu à peu en un nationalisme identitaire aux accents revanchards. De là, il n’y a qu’un pas pour qu’il dévale au niveau d’un nationalisme ethnique imbuvable.
La résurgence des vieux démons
La conjoncture actuelle fait craindre également que notre société traverse une période enfiévrée propice à l’apparition de phénomènes troubles comme l’antisémitisme propagé à la veille de la dernière grande guerre. Cette propagande haineuse ne fut pas seulement propagée brutalement par le chef fasciste Adrien Arcand et ses « chemises bleues » mais aussi de façon plus subtile par des pontifes nationalistes de droite, admirateurs de Mussolini, qui jouissaient d’une bonne audience dans l’élite canadienne-française du temps.
Par la suite, la période de la « grande noirceur » a été marquée par l’anticommunisme primaire du premier ministre Duplessis et sa loi du cadenas –éventuellement déclarée anticonstitutionnelle- qui visait à mettre un terme aux activités des communistes et des Témoins de Jéhovah. Le chef de l’Union nationale a même eu le culot d’attribuer la chute d’un pont à Trois-Rivières au sabotage des communistes camouflant ainsi la responsabilité d’entrepreneurs souscrivant à la caisse électorale de son parti.
C’est pourquoi je ne suis pas d’accord lorsque quelqu’un m’affirme d’un air entendu -comme c’est arrivé récemment- que des fondamentalistes islamistes complotent pour infiltrer des lieux névralgiques comme les garderies. Et que je m’insurge carrément quand mon interlocuteur islamophobe ajoute que leur prosélytisme sectaire envahira bientôt les autres secteurs de la société si on ne les arrête pas immédiatement. Mais qu’adviendra-t-il au cours de la prochaine campagne électorale ? Ceux qui s’opposent à l’interdiction par la loi 60 des signes religieux ostentatoires dans l’ensemble du secteur public se verront-il montrés du doigt comme les alliés des islamistes intégristes ?
Je suis convaincu, par ailleurs, que cette interdiction ne règlerait pas le problème. Elle ne ferait qu’inciter plus de gens à se joindre à des intégristes islamistes aujourd’hui marginaux.
Elle nuirait aussi aux efforts déployés depuis des décennies par une légion de patriotes qui ont milité pour l’indépendance du Québec. Tout simplement parce que plusieurs citoyens susceptibles de rejoindre les rangs souverainistes se méfieraient désormais du Parti québécois jusqu’ici le navire amiral de ce mouvement.
Montréal, le 18 février 2014