Édition du 19 novembre 2024

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États-Unis

La Silicon Valley se tourne vers Trump, sur fond d’intox climatique

De puissantes figures de la Silicon Valley comme Elon Musk n’hésitent plus à montrer leur soutien au candidat républicain. Ce virage à droite coïncide avec une hausse de la désinformation sur l’écologie.

Tiré de Reporterre
16 octobre 2024

Par Alexis Gacon

État de Washington (États-Unis), correspondance

Tête de gondole de la Tech, l’excentrique propriétaire de Tesla et de X est un symbole d’un virage à droite. Casquette noire « Make America Great Again  » bien vissée sur le crâne, Elon Musk, bondissant, a paradé avec Donald Trump lors d’un meeting le 5 octobre à Butler, en Pennsylvanie, là où l’ex-président a échappé à une tentative d’assassinat cet été.

Les deux hommes n’en finissent plus de se faire la courte échelle. Sur scène, Trump a vanté l’homme qui, grâce à son réseau social, X, a «  sauvé la liberté d’expression  ». Elon Musk lui a renvoyé la balle avec enthousiasme, arguant que le républicain devait gagner l’élection présidentielle de novembrepour « préserver la Constitution ». Si ce sont les démocrates qui l’emportent, l’oracle de Tesla a prédit que « ce seront les dernières élections », laissant planer le fameux complot d’un plan secret des démocrates pour enlever le droit de vote à la population.

Leur alliance se poursuit en dehors de la scène. Elon Musk a créé l’America PAC, un groupe qui recrute des démarcheurs qui vont frapper à des milliers de portes pour faire sortir le vote républicain dans les États clés — les États indécis qui peuvent faire basculer l’élection — et Trump lui a garanti une place dans son administration, s’il l’emportait en novembre.

Un long crash

Quelle volte-face par rapport à 2016 ! À l’époque, Elon Musk prétendait que Trump n’avait pas le caractère qu’il fallait pour les États-Unis ; il protestait contre le retrait de Washington de l’Accord de Paris ; il parlait du changement climatique comme de la « plus grande menace que l’humanité ait à affronter ce siècle ». Désormais, Musk estime que la peur autour du réchauffement est «  exagérée », et soutient donc officiellement un candidat qui parle du changement climatique comme d’un «  hoax », un « canular ».

Il faut dire qu’il a tout à gagner avec cette alliance. L’empire Musk, qui va de l’énergie à l’intelligence artificielle, peut grandement tirer bénéfice de l’oreille attentive de Donald Trump. Le républicain, vent debout contre les voitures électriques auparavant, se pâme désormais pour elles. Il dit ne plus avoir le choix : «  Elon me soutient !  »

Donald Trump, alors président, avec Elon Musk après le lancement réussi de la capsule spatiale Crew Dragon, développée par SpaceX pour le compte de la Nasa, le 30 mai 2020. Flickr/CC0/Trump White House Archived/Shealah Craighead

L’entrepreneur en série, croit le site étasunienPolitico, chuchote déjà à l’oreille de Donald Trump et influence ses futurs choix politiques en matière d’environnement. Un élu républicain, cité par le site, le voit comme le futur conseiller sur le climat à Washington, si Donald Trump parvient à retrouver le chemin de la Maison-Blanche.

Un virage lié au mouvement contre l’impôt

Comment expliquer la mue d’Elon Musk, et celle d’autres seigneurs de la Tech ? Par l’impôt, résume Olaf Groth, auteur spécialisé dans l’écosystème des entreprises de la « vallée » et professeur à l’université Berkeley, en Californie. « Le virage de ces gens est très pragmatique. Quand ils entendent parler de hausses d’impôts sur les gains en capital, ils veulent fuir. Elles ont un effet direct sur la capacité des fonds de capital-risque à aller chercher de l’argent auprès de leurs partenaires. C’est tout simple. Et ils ont peur des lois antitrust, qui veulent limiter la taille des grandes entreprises numériques. Ils regrettent la trop grande interférence, selon eux, de l’État. »

Déjà sous Barack Obama, le vernis de la vallée craquait quand le président parlait de hausse d’impôts sur les capitaux. Joe Biden a continué à lézarder leur confiance. Des investisseurs ont détesté son idée d’une «  billionnaire tax » (un « impôt sur les milliardaires  »), sa volonté de hausser les taxes sur les profits d’investissements gagnants, ou ses croisades anti-cryptomonnaies. Une lettre ouverte signée par plusieurs grands noms de la Tech a aussi dénoncé son ambition de mieux réglementer l’intelligence artificielle.

« Cela peut surprendre, parce que la version actuelle du Parti républicain est isolationniste, populiste, anti-immigrants, alors que la Tech a besoin de libre circulation et de tous les petits génies de cette planète. Et pour obtenir ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire la dérégulation maximale, des leaders du numérique ont choisi de passer outre », explique Ramesh Srinivasan, professeur en information à UCLA (Californie), qui étudie les liens entre la technologie et la politique.

Elon Musk rejoint le président Donald Trump lors d’un briefing avant le lancement de la fusée de SpaceX, Falcon 9, le 27 mai 2020. Flickr/CC0/Trump White House Archived/Shealah Craighead

Musk et les autres ont aussi tenté d’influer, parfois avec succès, sur les choix des démocrates, sans sentir la même ouverture que dans le camp Trump. «  Ils se rendent compte que dans le cercle autour de Trump, constitué de gens très riches, et anti-impôts, le message porte, explique Ramesh Srnivisan. Ces gars-là se voient comme des révolutionnaires ! Ils se disent : “Celui qui veut freiner ma révolution ne passera pas.” Et quand vous dirigez PayPal ou Tesla, si votre message porte au niveau politique, vous changez la manière dont sont gérés l’énergie, l’espace, les paiements : vous avez une influence immense sur les gens !  »

Chris Hughes, cofondateur de Facebook, explique dans le New York Times que, selon lui, les élites de la vallée s’identifient aussi à Trump en tant que «  victime du gouvernement », persécutée pour ses idées audacieuses. « Il est le bouclier dont ils ont besoin pour échapper à leurs responsabilités. M. Trump peut menacer les normes démocratiques et répandre la désinformation ; […] mais il ne remettra pas en cause leur capacité à construire la technologie qu’ils aiment, quel qu’en soit le coût social.  »

L’influence démocrate prédomine encore

Toute la vallée n’a pas changé de couleur politique, loin de là. Les ponts entre le parti démocrate et la Tech restent solides. En 2007, l’ex-candidat à la présidentielle, Al Gore, avait rejoint une firme de capital-risque, et durant les années Obama, la Tech a accueilli à bras ouverts les jeunes ambitieux qui avaient accompagné l’arrivée du président au pouvoir et qui souhaitaient se réorienter dans le privé.

Pour Olaf Groth, la vallée penche quand même toujours du côté démocrate, mais les voix radicales, dont celles de Musk, écrasent tout sur leur passage. « Ce sont ceux qui crient le plus fort qui gagnent. Musk a énormément d’abonnés, publie beaucoup. Avant, les voix conservatrices de la Tech se sentaient gênées de parler, ça pouvait plomber leur carrière. Maintenant, ils se sentent plus à l’aise, ne se sentent plus seuls et sont populaires en ligne.  »

Climatoscepticisme en hausse

Elon Musk soutient par exemple que l’agriculture et l’industrie forestière n’ont «  aucun effet significatif sur le changement climatique  », alors qu’elles sont considérées comme responsables de près d’un cinquième des émissions de CO2. Il publie fréquemment des messages erronés sur le climat, que les scientifiques doivent corriger publiquement, en croisant les doigts pour qu’il ne soit pas cru.

Son réseau X (anciennement Twitter), qu’il a racheté en 2022, se classe comme le pire de tous en matière de lutte contre la désinformation climatique, d’après une analyse réalisée l’année dernière par le Climate Action Against Disinformation (CAAD). En 2022, le nombre de tweets et retweets de publications climatosceptiques a presque quadruplé comparé à 2020. Marc Morano, figure complotiste climatique notoire,décritune visibilité « en forte hausse » de son compte depuis l’arrivée de Musk aux manettes.

Lire aussi : Starlink, le plan géant d’Elon Musk pour occuper l’espace

X n’est pas la seule plateforme qui doit faire le ménage dans ses comptes : la CAAD observe que rien ne montre que les principaux réseaux sociaux aient mis en place des balises face à la désinformation climatique. «  X est l’exemple le plus éloquent d’une plateforme braquée par un entrepreneur d’extrême droite. Elle ne tient plus debout, la désinformation est partout. Cela va servir au duo Trump-Musk pour l’élection. Les algorithmes sont trop puissants, ils favorisent ce qui est viral et le climatoscepticisme l’est  », explique Olaf Groth.

Dernière outrance en date : Musk a lancé à ses 201 millions d’abonnés que la Fema, l’Agence fédérale de gestion des urgences, obstruait volontairement les efforts de secours des victimes de l’ouragan Helene, qui a dévasté le sud-est des États-Unis fin septembre. La Fema a répondu que ces attaques affaiblissaient la probabilité que les survivants demandent de l’aide à l’agence fédérale. Mais Musk a réitéré : il ne recule devant rien, pas même devant la mort ; enfin, celle des autres.

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