Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La Chine et sa première crise capitaliste

Les taux de croissance de l’économie en Chine ont fait l’objet d’admiration dans le monde entier. On avait l’impression que le capitalisme était arrivé en Chine pour démontrer toutes ses vertus et lorsqu’on indiquait qu’il avait des défauts la plupart des gens préféraient les ignorer. Aujourd’hui l’économie chinoise est sur le chemin de la crise, sa première crise capitaliste de type macroéconomique.

Les données officielles en Chine révèlent que le taux de croissance moyen pour la période 1991-2014 a été de 10%. On sait que les statistiques du gouvernement chinois ont fait l’objet de manipulations significatives, mais même corrigés, les chiffres révèlent un exercice spectaculaire. Mais depuis 2010 l’économie chinoise subit un ralentissement de 35% et en 2014 on a enregistré le taux de croissance le plus bas depuis 1991.

Lorsque l’économie croît au rythme de deux chiffres, il n’est pas étonnant de voir l’apparition de sévères distorsions. Nous ne faisons pas ici référence aux distorsions que les économistes néoclassiques veulent voir dans le système de prix dus à l’intervention du gouvernement dans la vie économique. Ces économistes ont prôné une plus grande libéralisation du marché en argumentant que « l’économie socialiste » en Chine entraîne une sérieuse déformation des prix et des incitations. Ils attribuent donc les problèmes de l’économie chinoise à l’intervention du gouvernement plutôt qu’à l’instabilité intrinsèque des économies capitalistes. Ils oublient que le Parti communiste chinois est aujourd’hui l’administrateur d’une des économies capitalistes les plus sauvages de l’histoire.

Pour notre part, nous nous référons aux distorsions structurelles qui affectent aujourd’hui surtout les secteurs immobilier et financier.

Les biens immobiliers ont été le secteur clé dans le processus d’accumulation capitaliste et dans les transformations structurelles en Chine. Un de ces changements a été la transition urbaine : depuis 1949, lorsque la victoire du Parti communiste chinois s’est consolidée, 600 villes supplémentaires ont surgi.

En 2004 on a introduit une réforme constitutionnelle sur la propriété privée résidentielle et accéléré l’investissement dans les biens immobiliers. Depuis l’année dernière, les expectatives concernant l’évolution du marché ont impulsé la demande et l’augmentation du prix des maisons et des appartements. Mais entre janvier et décembre 2014 le marché s’est contracté et le prix des maisons s’est effondré.

Certaines données indiquent que la bulle dans le prix des biens immobiliers serait en train de se dégonfler plutôt que d’éclater. Mais rien ne garantit que le pire soit derrière et d’autres indicateurs sont moins optimistes. L’excès de superficies résidentielles et de bureaux invendus est énorme (plus de 60 millions d’appartements n’ont pas pu être vendus) et avec le ralentissement de l’économie il ne sera pas facile de trouver des acheteurs.

Le frein dans l’expansion du secteur de biens immobiliers pèse fortement sur l’économie chinoise : si l’on tient compte des répercussions sur les industries de l’acier, du ciment, du vitrage, des meubles et des appareillages électriques, le secteur de biens immobiliers représente 30% du PIB. Sans la récupération du secteur des biens immobiliers, l’économie chinoise continuera à afficher des taux de croissance inférieurs et la situation difficile que traversent ces industries – qui subissent déjà de très hauts niveaux de surinvestissement – s’aggravera.

Sans de nouvelles injections de crédit, le secteur des biens immobiliers ne pourra pas croître. Mais une bonne partie des prêts non performants (créances douteuses) des banques chinoises est liée au secteur des biens immobiliers. La seule manière de redresser le secteur de la construction serait d’opérer une correction majeure des prix des habitations [suite aux surévaluations immobilières] et des appartements pour attirer un nombre croissant d’acheteurs. Mais cet ajustement des prix affecterait la position des entrepreneurs du secteur des biens immobiliers qui se sont surendettés et qui ne pourront pas payer leurs créanciers.

Le gouvernement chinois a fait l’impossible pour maintenir à flot son système financier. Mais une des caractéristiques du marché des actions et des opérations financières en Chine est celui d’un endettement excessif. On sait que cela n’est d’aucun secours lorsque la panique touche le troupeau d’investisseurs et de spéculateurs.

L’effondrement dans le marché des valeurs en Chine a été spectaculaire : depuis le 15 juin jusqu’aujourd’hui la valeur du marché a subi une chute de 30%.

Le gouvernement a tout essayé pour soutenir le marché : depuis le lancement d’un programme d’achat de titres et la réduction des taux d’intérêt jusqu’à la suspension des transactions sur 54% des actions cotées en Chine. Lorsqu’à rien ne paraissait pouvoir arrêter l’effondrement, le gouvernement a dû interrompre les transactions. Mais l’endettement (avec effet de levier) a été exagéré et la chute n’a fait que commencer.

Si quelqu’un a pu une fois penser que le capitalisme en Chine ne montrerait pas son vrai visage, il doit y réfléchir à deux fois et réviser les chiffres et les indicateurs concernant le secteur financier et l’économie réelle. Il est possible que la crise en Chine ne soit qu’à son début. (Traduction A l’Encontre ; publié dans le quotidien mexicain La Jornada, le 29 juillet 2015 ; Alejandro Nadal est membre du Conseil de rédaction de la revue Sinpermisso)

Alejandro Nadal

Alejandro Nadal est professeur et chercheur au Centre d’étude économique du Colegio de Mexico. Il est économiste et membre du conseil éditorial de SinPermiso.

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