Édition du 17 décembre 2024

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Europe

La Banque centrale européenne à l’aide des banques privées

Le 23e sommet de l’UE de la « dernière chance » est en cours ce 9 décembre 2011. Pour l’heure le nouveau patron de la BCE, Mario Draghi, a déjà qualifié « le résultat très bon pour la zone euro et ce sera la base pour un bon accord budgétaire et une politique économique plus disciplinée [lisez : socialement austère] dans les pays de la zone euro » (New York Times, 9 décembre 2011).

Dans tous les cas, la BCE vole au secours des banques privées. Ainsi, elle a baissé son taux directeur de 1,25% à 1% (avec entrée en vigueur le 14 décembre 2011) pour assurer des facilités aux banques privées à la recherche de liquidités (voir le graphique ci-dessous sur l’évolution du taux directeur de la BCE et de la banque d’Angleterre depuis 2008 à décembre 2011 – Back to Square One).

La BCE assouplit de même les conditions d’accès à des prêts pour les banques commerciales aussi bien en termes de durée (de 13 mois à 3 ans) que de papiers déposés (comme collatéral) pour garantir ces prêts. Reste la question – et elle est fort importante – d’une politique déclarée de la BCE quant à l’achat (par elle) d’obligations émises par les États sur le marché primaire (lors d’émissions obligataires) et pas seulement sur le marché secondaire (le marché d’occasion), ce qui est, dans l’immédiat, important pour l’Espagne et l’Italie. La réserve ayant trait aux achats sur le marché primaire est maintenue. Pour combien de temps ? La priorité immédiate pour la BCE : aider les banques, en ne faisant pas trop de bruit.

Quant « au reste », la BCE « indépendante » – en alliance avec les élites du capital financier des pays clés de l’Europe qui invoquent de « nouveaux traités » du type « frein à l’endettement » – impose des règles d’une austérité drastique qui accentuera la récession qui, elle, va accroître l’endettement ! A cela s’ajoutent une nouvelle vague de privatisations, de flexibilisation dudit marché du travail ainsi qu’une attaque frontale aux contrats collectifs de branche (ils seront « négociés » entreprise par entreprise) comme aux systèmes de retraites. (Rédaction A l’Encontre)

Manifestement, la principale préoccupation du nouveau président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, pour sa deuxième réunion mensuelle, n’était pas seulement l’issue du énième sommet européen de la dernière chance. Totalement aligné sur les positions allemandes défendues par Angela Merkel, Mario Draghi a réaffirmé l’importance pour les pays de la zone euro de trouver un accord solide sur la réforme des traités, afin de contraindre les pays à adopter des politiques budgétaires rigides, seul moyen selon lui de restaurer la confiance et la crédibilité de la zone euro. Mais son attention allait ailleurs, sur la face cachée de la crise : les risques d’asphyxie du système bancaire européen.

Pour la deuxième fois en un mois, la BCE a choisi d’abaisser son taux directeur de 0,25% pour le porter à 1%. Mais cette mesure très classique a été jugée insuffisante par le conseil de la BCE pour endiguer le danger. Tout un arsenal de dispositions, totalement non conventionnelles, y a été adjoint.

Jamais la Banque centrale, même à l’automne 2008, n’avait été si loin pour assurer la liquidité du système bancaire. Si elle se refuse à être prêteur en dernier ressort des États, elle est vraiment devenue prêteur en dernier ressort des banques. Aux prêts à un jour, à un mois, à trois mois, à six mois, à un an, les banquiers centraux européens ont donc décidé d’ajouter de nouvelles facilités bancaires : les banques vont pouvoir emprunter directement auprès de la BCE sur trois ans, à taux fixe, pour des montants illimités. Alors que les banques doivent refinancer quelque 230 milliards d’euros de dettes obligataires au premier trimestre, ce dispositif leur offre un vrai soulagement. Elles ont l’assurance de pouvoir disposer de ressources sur le long terme, et d’éviter ainsi l’étranglement.

Comme certaines banques européennes commencent à manquer de titres éligibles (collatéraux) pour les déposer en garantie contre des prêts – ce qui risquerait à terme de leur fermer les guichets de la BCE –, Mario Draghi a annoncé un sérieux assouplissement des règles. Désormais, les banques pourront déposer des titres de bien moindre qualité : le triple A devenant une espèce en voie de disparition en Europe, la BCE va accepter des produits notés simple A.

Les prêts hypothécaires, les crédits aux petites et moyennes entreprises seront aussi admis. Enfin, la BCE a choisi d’abaisser le seuil des réserves obligatoires devant être déposées par les banques auprès des banques centrales. Celles-ci ne devront plus représenter que 1% de leurs fonds propres au lieu de 2% jusqu’alors.

Ces mesures très techniques ne disent qu’une chose : l’argent manque partout dans le système bancaire et tous les moyens à la disposition de la BCE pour éviter une thrombose ont été requis.

Au fil des jours, la paralysie du marché interbancaire ne cesse de s’amplifier. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En début de semaine, 80 établissements bancaires se sont présentés aux guichets de la BCE pour emprunter 50 milliards de dollars, les banques européennes n’arrivant plus à trouver la moindre contrepartie américaine pour leur faire des prêts. Ces prêts en dollar viennent s’ajouter à ceux en euro.

La semaine dernière, la BCE a prêté quelque 270 milliards d’euros. Dans le même temps, les dépôts au jour le jour des banques de la zone euro à la banque centrale ont atteint 313,763 milliards d’euros. « Les banques empruntent pour redéposer l’argent tout de suite après », a reconnu Mario Draghi. Avant d’ajouter que les montants déposés n’étaient pas très éloignés de ceux enregistrés au moment de la chute de Lehman Brothers [en septembre 2008].

Un deuxième moment Lehman

Et c’est bien cette peur qui domine : que le système bancaire européen connaisse un deuxième moment Lehman Brothers, avec tous les risques de contagion induits. Mais cette fois, les tensions arriveraient dans un système déjà ébranlé.

Déstabilisées par la crise des dettes souveraines, portant toujours une multitude de produits toxiques qu’elles gardent soigneusement cachées, les banques ont le plus grand mal à faire face. D’autant que, dans le même temps, il leur faut renforcer leur bilan et satisfaire à de nouveaux ratios prudentiels afin de consolider leur situation et regagner la confiance des investisseurs.

L’agence de notation de Standard&Poor’s juge le défi quasiment impossible. Dans la foulée d’une menace de dégradation de la quasi-totalité des pays de la zone euro, elle a mis sous surveillance une grande partie des banques européennes. En France, l’agence a mis sur sa liste BNP Paribas, BPCE, la Société générale, la BRED-Banque populaire, le Crédit foncier de France, le Crédit lyonnais, le Crédit agricole et des caisses régionales.

Les résultats des nouveaux tests de résistance publiés juste après les annonces de la BCE, par l’autorité bancaire européenne, viennent apporter de nouveaux arguments sur la faiblesse du système bancaire. Selon l’autorité prudentielle, les banques européennes ont besoin de lever 115 milliards d’euros d’ici à juin. Les systèmes bancaires espagnol et italien sont les plus touchés. Ils ont besoin respectivement de 26,2 et 15,4 milliards d’euros de capitaux.

Face à ce mur d’argent qui risque d’être impossible à franchir pour beaucoup, le nouveau gouvernement espagnol étudie déjà la création d’une entité publique, sorte de “bad bank” [mauvaise banque, plus exactement structure de défaisance dans laquelle sont parqués les actifs toxiques, comme cela a été fait pour, finalement, 38,7 milliards de CHF de l’UBS, en 2009] qui reprendrait les produits toxiques et en particulier une partie de leurs 250 milliards d’euros de créances immobilières héritées de la bulle, afin de décharger les bilans bancaires. Le tout bien évidemment serait financé par les contribuables espagnols.

Mais la vraie surprise vient de la dégradation de la situation des banques allemandes. Alors le gouvernement allemand avait mis en place dès 2009 une structure de défaisance pour reprendre leurs produits toxiques, représentant 20 milliards d’euros d’engagements, les banques allemandes ont besoin de 13,7 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires pour faire face à la crise. La Commerzbank, la deuxième banque du pays, devra trouver à elle seule plus de 5 milliards d’euros de capitaux supplémentaires. Déjà, certains n’excluent pas qu’elle soit totalement nationalisée, l’Etat allemand ayant déjà pris 25% de son capital en 2008.

C’est ce scénario de la nationalisation que veulent à tout prix éviter les dirigeants bancaires : ils veulent bien l’argent public mais pas un contrôle public. Mais ayant refusé d’augmenter leur capital quand il était encore temps de le faire, afin de « ne pas léser leurs actionnaires historiques et de ne pas dégrader leur rentabilité », ne pouvant plus désormais se tourner vers les marchés de capitaux tant ceux-ci se défient désormais des banques européennes, les banques n’ont plus guère de marge de manœuvre pour trouver les capitaux nécessaires. Pour éviter l’intrusion des Etats, les banquiers optent tous pour la même voie : maigrir à toute vitesse afin d’abaisser leur besoin de fonds propres.

Depuis l’été 2011, toutes les banques vendent à tour de bras. Toutes les filiales éloignées sont sacrifiées. BNP Paribas s’est ainsi retiré d’Ukraine, de Russie, la Société générale a sacrifié des opérations en Europe centrale. Le robinet des crédits pour des opérations ou des clients à l’étranger a été fermé. Les capitaux à l’extérieur ont été rapidement rapatriés vers les maisons-mères. En Asie, comme dans les pays de l’Europe centrale et de l’Est, ces abandons commencent à poser de sérieux problèmes. Dans le même temps, les banques se sont débarrassées d’une partie des dettes souveraines jugées risquées, aggravant la crise dont elles se plaignent par ailleurs.

Risques de crédit crunch

Les banques françaises ont été particulièrement actives dans ces liquidations, à en croire les résultats des tests de résistance. Alors qu’en octobre, l’autorité bancaire européenne estimait que la Société générale avait besoin de renforcer ses fonds propres à hauteur de 3,3 milliards d’euros, elle ne doit plus lever que 2,2 milliards. BNP Paribas, qui devait augmenter ses capitaux de 2,2 milliards, ne devra plus trouver que 1,5 milliard. Quant au Crédit agricole, malgré ses engagements en Grèce, il n’aurait plus besoin du tout d’augmenter son capital. Tout cela donne la mesure des opérations de dégonflement des bilans, engagées par les banques.

La crainte de Mario Draghi est que cette cure d’amaigrissement ne se poursuive. « Les recapitalisations des banques ne doivent pas se traduire par une chute des crédits à l’économie », a insisté à plusieurs reprises le président de la BCE. C’est pourtant ce qui se passe, comme il le reconnaît lui-même, évoquant les risques de plus en plus tangibles d’un crédit crunch.

Se rassurant à moindre frais, le président de la BCE affirme ne pas croire que l’addition des mesures d’austérité décidées par l’ensemble des gouvernements européens, de la raréfaction du crédit, de la crise des dettes souveraines et du système bancaire puisse conduire à la dépression. Toujours évoque-t-il un « environnement incertain » et une possibilité d’une « récession momentanée ». Dire autre chose, il est vrai, imposerait de reconnaître les erreurs faites dès l’automne 2008, le blanc-seing donné au monde bancaire, les aveuglements dans la conduite de la crise. La spirale infernale va donc se poursuivre.

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