La « Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles » a fait un rapport articulé autour d’une optique culturaliste qui rejette à l’arrière-plan les dimensions économiques, politiques et sociales du problème. “Les membres de la majorité ethnoculturelle craignent, écrivent les commissaires, d’être submergés par des minorités elles-mêmes fragiles et inquiètes de leur avenir. La conjonction de ces deux inquiétudes n’est évidemment pas de nature à favoriser l’intégration dans l’égalité et la réciprocité. Nous pouvons en conclure que les Québécois d’ascendance canadienne-française ne sont pas encore bien à l’aise avec le cumul de leurs deux statuts (majoritaires au Québec, minoritaires au Canada et en Amérique).”
Au lieu d’analyser les rapports de force qui permettraient de définir le recul du Québec et de son pouvoir d’attraction et d’intégration des minorités culturelles, l’analyse culturaliste et psychologisante (la petite nation éprouvée) conduit à suggérer une pédagogie de la diversité. Les propositions avancées par les commissaires sont intéressantes. Ils visent le dépassement des divisions par une politique d’intégration culturelle s’appuyant sur une démarche d’éducation populaire – particulièrement axée en direction des Québécois canadiens-français. Il ne s’agit pas pour les commissaires d’identifier les conditions qui permettraient de déconstruire les rapports sociaux d’exploitation, de domination nationale, d’oppression de genre ou les rapports de domination ethnicistes ou racistes. Une telle analyse est pourtant nécessaire pour tracer la voie d’une réelle refondation de projet national et d’en faire un instrument d’intégration. Il s’agirait là de prendre les choses à la racine.
On nous propose la voie de l’ouverture, du compromis, de la négociation, de la pacification et du consensus… On nous propose une approche normative visant à s’appuyer sur des services publics pour renforcer les attitudes et les démarches d’intégration qui existent dans la société québécoise. Nombre de propositions sont intéressantes, mais c’est l’orientation générale qui est insuffisante pour déterminer une réelle dynamique sociale d’intégration. Il faudra dépasser cette approche instrumentale si l’on veut trouver les voies du renversement de la tendance à l’affaiblissement du Québec.
Les combats contre la surexploitation de la population immigrée et des communautés ethnoculturelles, contre l’inégalité de genre qui se combinent à cette surexploitation, la lutte contre la discrimination à l’emploi comme dans le logement et la lutte antiraciste par l’action de masse seront essentiels pour créer de nouveaux liens sociaux et jeter les bases d’une véritable intégration des groupes ethnoculturels à la société québécoise. Les luttes sociales et politiques impliquant l’ensemble de la population seront seules à même de constituer le creuset nécessaire à la création d’une nouvelle identité collective et partagée. L’unité nouvelle ne pourra être construire qu’autour d’un projet émancipateur.
L’impasse sur la domination de l’État canadien
Le rapport Taylor-Bouchard fait complètement abstraction de la réalité de l’oppression nationale du Québec par l’État fédéral canadien. Le nationalisme canadien prétend qu’il existe une seule nation dans l’État canadien. Ce n’est pas la motion parlementaire sans conséquence du premier ministre Harper qui y change quelque chose. Dans les faits, le gouvernement fédéral rejette la réalité de la nation québécoise qui pose le problème de l’unité canadienne. La constitutionnalisation du multiculturalisme par le Canada avait comme but d’en finir dans la suite de la constitution de 82 et de la Charte des droits avec le mythe des peuples fondateurs. Si le multiculturalisme reconnaît les communautés ethnoculturelles, il refuse de reconnaître le caractère multinational de l’État canadien et a comme objectif de combattre les nationalismes québécois et autochtones.
La volonté du Québec de faire du français la langue publique commune se heurte à l’identité nationale canadienne qui se veut multiculturelle et bilingue. L’État canadien promeut activement le bilinguisme y compris au Québec. Le gouvernement fédéral soutient la contestation judiciaire de la langue française et de ses règlements. Ottawa fait la promotion du bilinguisme au Québec. Les sociétés de l’État fédéral y pratiquent un bilinguisme institutionnel. C’est pourquoi, malgré la loi 101, l’anglais demeure la langue de l’avancement économique et l’instrument privilégié de l’intégration à la nation canadienne. Dans ce contexte, favoriser le bilinguisme officiel au Québec, c’est défendre la langue anglaise et c’est refuser que la société québécoise devienne un pôle national d’intégration s’opposant à la stratégie de construction de l’identité canadienne.
Le projet de faire du français la langue de la convergence culturelle est sans cesse remise en question et le statut du français demeure somme toute précaire, d’abord et avant tout comme langue nationale commune. Il y a une opposition claire des objectifs linguistiques fédéraux avec la politique de la Charte de la langue française. Disons-le franchement, les politiques fédérales de construction de l’identité canadienne exacerbent les divisions internes à la société québécoise. L’intégration des immigrants et des minorités ethniques est donc conditionnée en grande partie par la place du Québec dans le Canada et par le projet de construction nationale mis de l’avant par l’État canadien, politique inspirée du multiculturalisme et du bilinguisme institutionnel. Il s’agit rien de moins pour l ’État canadien que de refuser de reconnaître la définition du Québec comme principale communauté politique d’intégration des membres des groupes ethnoculturels. Le rapport des commissaires Bouchard et Taylor fait complètement l’impasse sur cette réalité. Et conséquemment, il n’y a aucune proposition sur la défense de la langue française dans les recommandations.
La crise du mouvement souverainiste, fondement de l’impasse du modèle interculturaliste
Les difficultés de contrer l’offensive néolibérale et la déconstruction de l’État social, l’affaissement de la légitimité de la politique d’une classe politique élitiste et néolibérale, les échecs de la stratégie souverainiste dominante incapable de contrer les stratégies de construction nationale de l’État canadien, tout cela s’est combiné pour créer une crise d’intégration économique, sociale et nationale dans lequel se résume le blocage de la société québécoise. La crise identitaire actuelle est le reflet de ce blocage.
Comme nation minoritaire et dominée, les Québécoises et Québécois se reconnaissent des appartenances multiples et cela reflète cette domination. Les identités multiples (Canadienne, Canadien-française, Québécoise) sont souvent un trait des nations dominées. Dans ce contexte, on comprend donc que l’intégration des groupes ethnoculturels au projet d’un Québec souverain reste tout à fait difficile et contradictoire.
Tout point de vue essentialiste (la vraie nature des Québécois-e-s) laisse échapper la réalité dans le temps et dans l’espace de l’identité québécoise. Cette identité politique est mouvante et instable et est traversée par une série d’identités partielles (appartenance ethnique, appartenance de classe et idéologique ou religieuse) d’une part et par les réussites et les échecs de la lutte nationale qui module cette structure identitaire au gré des rapports de force d’autre part. C’est donc le système des rapports de force dans l’ensemble de l’État canadien et la capacité ou non de remettre en question cette domination de l’État fédéral sur le Québec qui déterminera la structuration de l’identité québécoise et sa force d’attraction et d’intégration et non d’abord une pédagogie volontariste de ralliement à un système de valeurs, même s’il ne faut pas lui dénier un rôle.
Le mouvement national québécois, suite à une accumulation de défaites (incapacité d’une réforme de la constitution canadienne portant une certaine décentralisation) et de faire déboucher les aspirations à la souveraineté du Québec est devant une crise stratégique qui peut conduire à un repli identitaire sur le vieux fond canadien-français et un retour à des réflexes de forteresse assiégée. Cela exprime que les rapports avec les personnes immigrantes ou issues des minorités culturelles ne sont uniquement ou même d’abord des problèmes de gestion culturelle de l’intégration. Une véritable politique d’intégration nécessite de penser les modalités de leur égalité économique et politique dans un projet commun porteur d’une identité inclusive.
En ce moment, le projet national porté par les souverainistes péquistes est trop ambigu, trop identifiée aux politiques des gouvernements du Canada et même des États-Unis (soutien au libre-échange, à la privatisation) pour permettre un processus de choix véritable en faveur du Québec indépendant, alternatif au discours néolibéral dominant.
Telle est la contradiction fondamentale de l’intégration des immigrant-e-s et des minorités ethnoculturelles à la société québécoise. Elle ne pourra que s’accentuer si le Québec n’accède pas à la souveraineté. C’est pourquoi le combat indépendantiste est une condition importante du développement d’un sentiment d’appartenance au Québec et de la volonté d’une intégration à la société québécoise comme un défi qu’il vaut la peine de relever pour ne pas capituler à la perspective d’intégration à la politique canadienne actuelle qui se définit dans un contexte de mondialisation néolibérale.
C’est pourquoi il est nécessaire de définir les grands axes d’une remobilisation contre cette société néolibérale pour un Québec écologiste, féministe et solidaire, si nous voulons construire un Québec indépenant, inclusif et égalitaire.
(Dans une seconde partie, nous aborderons la question de la laïcité, du combat pour l’égalité de genre comme essentiel à toute politique d’intégration véritable).