Édition du 17 décembre 2024

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Livres et revues

Extrait du livre de Thomas Porcher

L'hypocrisie climatique

tiré du livre Traité d’économie hérétique

Ce livre de Thomas Porcher,Traité d’économie hérétique, souligne la nécessité d’en finir avec le discours dominant. Nous reproduisons ici le chapitre 9 intitulé L’hypocrisie climatique. Alors que le gouvernement Trudeau n’en finit plus de prétendre atteindre la carboneutralité en 2050, il subventionne le capital fossile, il accorde des permis pour l’exploitation pétrolière en haute-mer à l’est de Terre-Neuve et il reçcoit dans une conférence les grandes compagnies pétrolières. Le chapitre montre que l’hypocrisie est largement partagée par tous les gouvernements néolibéraux. Il en explique les fondements et il montre que l’on ne peut se fier aux seuls mécanismes du marché pour faire face à la crise climatique.(PTAG !)

Excepté le président des États-Unis, Donald Trurnp, et quelques climato-sceptiques durs de l’oreille, tout le monde s’accorde à dire que la lutte contre le réchauffement climatique est primordiale. Chaque année, l’augmentation de la température moyenne, les phénomènes météorologiques extrêmes ou les dizaines de millions de réfugiés climatiques à travers le monde nous rappellent qu’il est urgent d’agir. Du « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron au « Canada is back, my friends » de Justin Trudeau, chacun y va de sa petite phrase pour marquer son attachement à la lutte contre le dérèglement climatique.

Concrètement, un plan efficace pour le climat devrait reposer sur quatre piliers : développer massivement les énergies renouvelables ; investir dans l’efficacité et la maîtrise de notre consommation d’énergie (notamment avec la rénovation des bâtiments) ; consommer le plus localement possible (et donc en finir avec les traités de libre-échange) ; développer l’économie circulaire (notamment en élargissant le recyclage des déchets). Pourtant, plutôt que de mettre en place des politiques volontaristes, les dispositifs actuels reposent principalement sur des mécanismes incitatifs de marché : prix du carbone [1], subventions, fiscalité, crédit d’impôt. Ces instruments ont une certaine efficacité, mais force est de constater qu’ils sont largement insuffisants pour porter une transition énergétique ambitieuse. Dans le fond, tout le monde sait ce qu’il faut faire pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique mais personne ne veut le faire directement et préfère passer par des chemins détournés. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il ne faudrait pas heurter certains intérêts financiers importants comme ceux des grandes compagnies pétro-gazières ou des grandes banques qui ont prêté des sommes énormes à ces compagnies et qui veulent récupérer leur mise. Tout ce beau monde fait un lobbying énorme pour que le changement soit lent et repose majoritairement sur le consommateur. La lutte contre le réchauffement climatique est devenue un slogan publicitaire pour les compagnies comme pour les politiques. Jamais une réalité. Jadis, de vrais climato-sceptiques (dont quelques survivants aujourd’hui comme Trump) clamaient haut et fort ne pas croire au réchauffement climatique ; aujourd’hui, le climato-scepticisme prend une forme plus pernicieuse, celle du visage de tous ceux qui se présentent comme des défenseurs du climat mais n’agissent pas en conséquence. Tous les tenants du « make blabla great again » sont hélas extrêmement nombreux.

L’hypocrisie des pays riches

Dans le débat sur le réchauffement climatique, les pays riches accusent volontiers les pays émergents, notamment la Chine, d’utiliser trop d’énergies polluantes. C’est vrai, mais les pays riches qui ont la capacité financière et technologique d’entamer la transition énergétique sont loin d’être exemplaires. Les États-Unis ont ajouté 4 millions de barils de pétrole (principalement de schiste) sur le marché mondial. Le Canada a développé les huiles de sables bitumineux (le pétrole le plus sale au monde). La France, après avoir débattu de manière très virulente sur l’exploitation des gaz de schiste, a choisi de développer le gaz de couche ( un gaz non conventionnel) dans les régions Hauts-de-France et Grand-Est.

Globalement, l’évolution des différentes filières énergétiques dans la dernière décennie montre que le Canada et l’Australie utilisent aujourd’hui plus de pétrole qu’il y a dix ans ; les États-Unis, le Canada, la France et le Japon plus de gaz ; et, le Royaume-Uni, la Pologne et l’Italie plus de charbon. Or, cette hausse de la consommation dans les pays développés ne peut pas être expliquée uniquement par la croissance économique et démographique. Certains pays avaient la capacité de diminuer leur consommation d’énergie sans porter atteinte à leur niveau de vie. La corrélation positive entre IDH (Indice de développement humain) et consommation annuelle d’énergie s’arrête à partir de quatre tonnes équivalent pétrole (TEP) par habitant. Cela signifie que dans les pays en développement, la consommation d’énergie est reliée à l’amélioration de la qualité de la vie des individus (l’accès aux infrastructures de base comme l’électricité, les sanitaires ou l’électroménager augmente la consommation énergétique) mais au-delà d’un certain niveau de consommation d’énergie (en l’occurrence quatre TEP) le bien-être des individus n’augmente plus (ce qui signifie que la consommation supplémentaire d’énergie devient superflue). Pourtant, un certain nombre de pays sont au-dessus de ce seuil comme les États-Unis, le Japon, la Suède ou l’Australie. Ces pays pourraient donc réduire leur consommation d’énergie sans affecter leur qualité de vie. Il n’est donc plus question de nécessité mais de choix.

Les réserves de pétrole et de gaz ont augmenté de 21 et 26 % depuis 2000 alors même que pour tenir l’engagement de la COP 21 (soit rester en-dessous du seuil de 2 °C d’ici à 2100), il faudrait laisser sous terre les deux tiers de ces réserves. L’augmentation des prix de l’énergie dans la décennie 2004-2014 a permis aux compagnies d’engendrer des profits dépassant toutes les espérances et d’investir massivement dans la recherche et l’exploration... des mêmes énergies polluantes ! En 2008, les cinq premières compagnies, Exxon, Shell, BP, Chevron et Total, ont toutes fait des bénéfices supérieurs à 20 milliards de dollars avec 45 milliards pour Exxon. Ces compagnies viennent toutes de pays développés - principaux responsables du réchauffement climatique au XX° siècle, pourtant aucun gouvernement de ces pays n’a pensé à instaurer un impôt pour financer la transition énergétique. [2]. Cette manne pétrolière imprévue aurait pu constituer un puissant levier pour prévoir l’après-pétrole et développer les énergies renouvelables, elle a surtout permis de multiplier par quatre les investissements en exploration-production pour trouver des nouveaux gisements. [3]

Ces investissements faramineux ont permis à un certain nombre d’hydrocarbures non conven¬tionnels de devenir rentables. Le gaz et le pétrole de schiste en sont le meilleur exemple. Ils se sont développés massivement aux États-Unis grâce notamment à la mise en place de l’Energy Policy Act en 2005, un cadre réglementaire extrêmement favorable aux compagnies pétrolières leur permet¬tant notamment d’être exonérées de règles envi¬ronnementales et de disposer d’avantages fiscaux. Les résultats ont été rapides : en quelques années, les États-Unis ont ajouté plus de 120 000 puits de gaz et de pétrole de schiste pour arriver à un mil¬lion de puits de gaz et de pétrole en activité sur le territoire. Le Canada, quant à lui, s’est lancé dans la production de pétrole de sables bitumineux et est en phase de prédéveloppement sur le pétrole de schiste. En France, le débat sur le gaz de schiste a duré près de deux ans avec un certain nombre de politiques, journalistes et experts qui ont écrit des tribunes pour défendre son exploitation (les mêmes qui, un an plus tard, célébraient l’accord de la COP 21). Les gaz de couche (le cousin du gaz de schiste) débutent leur développement en Lorraine et dans les Hauts-de-France. Emmanuel Macron, alors qu’il était ministre de l’Économie, défendait leur exploitation au nom de la compétitivité [4] alors même qu’il y avait des risques pour les populations locales. D’ailleurs, aujourd’hui, le projet de loi relatif à l’interdiction de l’exploita¬tion des hydrocarbures d’ici à 2040 porté par le ministre Nicolas Hulot exclut de l’interdiction l’exploitation des gaz de couche.

J’avais été auditionné au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais le 6 février 2014 dans le cadre de la mission d’enquête sur le gaz de couche. Mon exposé détaillait le mirage économique du développement de ces gaz non conventionnels et pourquoi les impacts négatifs, notamment sur la santé des populations avoisinantes, étaient plus forts en France qu’aux États-Unis. Au cours de l’audition, j’avais présenté un article scientifique de chercheurs américains montrant que les popu¬lations vivant autour d’un puits - dans un rayon⒱d’un demi-mile, soit 805 mètres - avaient plus de risques de développer des cancers à cause des rejets toxiques [5]. J’expliquai aux membres de la mission que les chercheurs avaient effectué l’étude au Colorado où il y a 19 habitants au kilo¬mètre carré alors que dans le Nord-Pas-de-Calais, il y en a 324. De fait, l’impact sanitaire concer¬nerait plus de personnes ici. Je demandais donc qu’on ajoute cet article scientifique au rapport final afin que les partisans du gaz de couche (élus et industriels) agissent en connaissance de cause. Les questions de certains membres de la commis¬sion ont été étonnantes. Un certain M. Petit me demande « combien de pages fait l’étude ? », « si je l’ai lue ? ». Il indique qu’il « pense connaître l’étude », qu’« il faut bien relativiser l’impact » et qu’« elle est souvent brandie par des gens qui s’opposent à l’avancée de la recherche ». Un chercheur - moi - qui brandit un article scientifique — de chercheurs américains - pour m’opposer à l’avancée de la recherche... Raisonnement intéressant venant de quelqu’un qui ose affirmer qu’il faut « relativiser » l’étude alors même qu’il « pense la connaître ». La méthode utilisée dans cette publication peut faire débat dans la com¬munauté scientifique, c’est normal. Mais force est de constater qu’elle existe, qu’elle concerne un sujet crucial, la santé des populations, qu’elle⒱a été citée plus de 400 fois par d’autres travaux de recherche (72 fois à l’époque de mon audi¬tion) et que, par conséquent, elle doit figurer dans le rapport final, quoi qu’en disent certains membres présents le jour de mon audition. Ce type d’expérience me rappelle combien un cadre de pensée étriqué peut rendre volontairement certaines personnes autistes. Je parlais de la santé des populations avoisinantes, celles qui avaient élu une partie des membres de la mission. Je parlais des risques pour le climat à moins d’un an de l’organisation de la COP 21 à Paris. Les membres de la mission n’entendaient tout sim¬plement pas mes arguments car ils dépassaient les limites de leur cadre de réflexion. Je n’étais plus audible, j’étais à leurs yeux devenu un horrible militant écolo, alors même que les arguments que je présentais étaient validés par des faits et des recherches scientifiques. Ils méritaient un débat de meilleure tenue que celui que j’ai eu avec ce M.Petit.

La question des hydrocarbures d’Arctique est également un sujet intéressant pour mesurer le niveau ambiant d’hypocrisie climatique. Alors que la fonte de la banquise aurait dû alarmer les États sur les dangers du réchauffement climatique et la nécessité de prendre des mesures d’urgence, elle a plutôt été perçue comme une opportunité pour aller voir s’il n’y avait pas des hydrocarbures ou d’autres matières premières. Des compagnies principalement de pays développés comme Shell, Statoil, BP ou Total sont actuellement impliquées dans des projets. Aucun des chefs d’État des pays d’où sont issues ces compagnies n’a condamné ces explorations, pourtant tous chantent les louanges de l’accord de Paris sur le climat. En réalité, aucun de ces dirigeants ne veut réellement lutter contre le réchauffement climatique sinon il pren¬drait des mesures fortes notamment en faisant en sorte que les compagnies de son pays (même pri¬vées) s’adaptent aux exigences environnementales. Plutôt que de s’attaquer au ceur du problème, les politiques prônées sont à peine contraignantes pour les entreprises.

Des solutions de marché pour lutter contre le réchauffement climatique

Dans la vision mainstream de l’économie, la concurrence stimule l’innovation et entraîne une baisse des prix. Le problème est que le prix dumarché n’incorpore pas les externalités négatives (à savoir les dommages liés à la pollution et l’impact sur le réchauffement climatique). La solution est donc d’ajouter un prix du carbone (de préférence déterminé sur un autre marché) au prix du bien pour orienter le choix des consommateurs et des producteurs vers des énergies moins pol¬luantes. Ce type de raisonnement prend l’économie telle qu’elle est et a pour objectif de corriger son fonctionnement. Ainsi, les modes de production sont polluants en Europe, il faut donc créer un marché du carbone européen afin de donner un prix aux émissions de gaz à effet de serre et rendre moins rentables les activités polluantes. Il en va de même pour les énergies renouvelables. Comme dans l’économie telle qu’elle fonctionne les investissements ne sont pas suffisants, il faut subventionner les énergies renouvelables pour les avantager par rapport aux autres énergies. Ces mécanismes ont une certaine efficacité, mais ils ne proposent que de corriger un fonctionnement défaillant de l’économie. Ils ne s’attaquent nulle¬ment au cœur du réacteur. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils ne déplaisent pas aux industriels.

Les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables visent à les rendre plus compétitives sur le marché tout en laissant, ensuite, la concurrence opérer entre les différentes énergies. Le problème est que les conditions de concurrence sont extrê­mement défavorables aux énergies renouvelables, y compris en prenant en compte ces mécanismes de soutien. Les entreprises du renouvelable, caractérisées par une multitude d’acteurs dans différentes filières, font face aux puissants opé­rateurs historiques qui disposent de technologies et d’infrastructures établies depuis longtemps et d’un fort pouvoir de lobbying auprès des auto­rités. Rappelons que ces opérateurs historiques se sont développés dans des conditions extrême­ment favorables : monopole et société publique. Leur développement est d’abord le fruit de choix politiques, pas de mécanismes de marché. Or, ces entreprises pèsent tant qu’elles peuvent influencer les conditions de marché, et les acteurs du renou­velable - même aidés par des mécanismes de sou­tien restent dans une position défavorable. Les choix politiques de long terme, jadis appliqués au nucléaire, au gaz, au pétrole ou au charbon, ont donc laissé place à un modèle hybride mélangeant politique de soutien et marché libéralisé. Le bilan de ce modèle est pour le moins mitigé et les résul­tats montrent que même si les énergies renouve­lables se développent, elles prennent difficilement des parts de marché aux énergies traditionnelles. Jam ais le nucléaire n’aurait pu se développer autant en France s’il avait eu les mêmes conditions que les énergies renouvelables aujourd’hui. Si nous voulions réellement développer les énergies renou­velables, il faudrait le faire exactement comme nous l’avons fait dans les années 1960 pour le nucléaire. A savoir se fixer des objectifs ambitieux (à l’époque, plus d’une cinquantaine de réacteurs ont été ouverts en dix ans), développer l’énergie à l’abri de la concurrence (avec une société en monopole et publique) et engager très fortement l’État. Mais pour cela, il faudrait une vraie volonté politique, c’est justement ce qui manque.

Le signal-prix est l’autre mesure très en vogue pour enclencher la transition énergétique. L’idée est que grâce à un prix du carbone ou une fiscalité verte qui s’additionnerait au prix d’un bien pol­luant, le rendant ainsi plus cher, le consommateur serait incité à acheter des biens moins polluants. C’est-à-dire que les produits de consommation provenant d’une production polluante coûteraient plus cher que ceux issus d’une production moins polluante. Bien qu’efficace dans certaines condi­tions, les faits montrent que le signal-prix a des effets limités. Prenons le cas du pétrole, son prix a été multiplié par cinq entre 2002 et 2014, pas­sant de 20 à plus de 100 dollars. En théorie, une telle augmentation aurait dû entraîner un chan­gement radical dans la fabrication de véhicules et dans les formes de mobilité. Des changements ont été visibles dans le comportement des Fran­çais, certains ont privilégié les transports collectifs à l’utilisation de la voiture - lorsqu’il y avait une offre de transports en commun le permettant - ou ont choisi des plus petites motorisations lorsqu’ils changeaient de véhicule. Mais dans l’ensemble, les élasticités prix [6] et prix-croisé [7] n’ont que partielle­ment fonctionné car le pétrole dans son usage est un bien difficilement substituable. En clair, quel que soit le prix du carburant, un individu vivant loin de son lieu de travail et ne disposant pas d’une offre de transports doit utiliser sa voiture. Dans ces conditions, prôner une augmentation du prix en espérant diminuer la consommation ne peut qu’avoir un impact limité.

Le signal-prix peut également entraîner des effets pervers même quand les conditions sont réu¬nies pour qu’il fonctionne. C’est ce que montre le cas du gaz et du charbon, deux biens substituables à des niveaux de développement quasi similaires. Le développement du gaz de schiste a entraîné une baisse des prix du gaz le rendant plus avan¬tageux que le charbon aux États-Unis. La baisse de la demande américaine de charbon a amené à une baisse des prix gui l’a rendu plus intéressant pour les Européens. Résultat : la consommation de charbon américaine s’est déplacée vers l’Europe. Du point de vue des États-Unis, le signal-prix a été efficace car la baisse des prix du gaz a entrainé un effet de substitution gaz-charbon. Mais à l’échelle mondiale, il n’y a pas eu de diffé¬rence, juste un déplacement de la consommation et des pollutions associées. De manière générale, en l’absence de développement ou de réglementations communes, ce que perd le marché d’un pays, un autre le récupère. [8]

Enfin, la mesure la plus en vogue, dans toutes les bouches des dirigeants et des experts, est la construction d’un marché du carbone. La solution au réchauffement climatique serait donc de fixer un prix du carbone qui inciterait les entreprises à se diriger vers des modes de production moins polluants. Mais comme nous l’avons vu, le signal-prix n’est pas toujours efficace.

Surtout le marché du carbone européen nous rappelle combien un marché est avant tout une construction humaine dans laquelle œuvrent des rapports de force sous-jacents. Le projet consistait à définir par pays des plafonds d’émissions de carbone pour les entreprises et secteurs polluants. Ensuite, par le jeu du marché, il était possible pour les entreprises les plus polluantes d’acheter les quotas d’entreprises gui émettent moins que leur plafond autorisé. Et comme les quotas d’émissions ont été sur-alloués - grâce à un lobby efficace -, le prix du carbone a fortement chuté. Alors que le principe de ce marché était d’inciter les entreprises à réduire leurs émissions, il n’a été qu’un outil pour les encourager à ne pas changer.

En fait, ces solutions plaisent aux entreprises car elles ne leur imposent pas de réels change¬ments structurels. Les dirigeants, qui sont les pre¬miers à imposer des réformes structurelles quand il s’agit de faciliter les licenciements des salariés, sont moins prompts à entamer des changements sur l’offre pour adapter nos productions aux exigences environnementales. Au contraire, ils offrent des baisses de fiscalité aux entreprises et allègent les réglementations sur l’environnement pour stimuler leur production qui ne peut qu’être aussi polluante qu’avant (puisqu’elle n’intègre pas les normes environnementales). C’est ce qu’a fait notamment Emmanuel Macron dans la loi portant son nom, c’est aujourd’hui ce qu’il compte faire dans le secteur du bâtiment. Lors d’un déplacement à Toulouse en septembre 2017, le président de la République annonçait pour relancer la construction de logements en France « une réduction des exigences des normes environnementales et sociales », ajoutant : « On me dira que je ne respecte pas l’environnement, ou parfois le handi¬cap, parfois ceci ou cela. Mais il faut du pragmatisme [9] » Difficile de faire plus hypocrite.

La question du réchauffement climatique est trop importante pour être confiée à des méca¬nismes de marché. Les incitations ont une certaine efficacité pour orienter les choix des producteurs et des consommateurs, mais se révèlent large¬ment insuffisantes pour réorienter pleinement notre économie. Si elles sont plébiscitées par nos hommes politiques autant que nos chefs d’entre¬prise, c’est qu’elles ne s’attaquent pas au cœur du problème : l’adaptation de l’offre aux enjeux climatiques. Pour préserver les profits de court terme de quelques-uns, certains sont prêts à faire courir à l’humanité le plus gros risque qu’elle ait jamais connu.


[1Le prix du carbone permet d’intégrer dans le prix d’un bien les dommages causés par les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, il va rendre plus chers les biens issus de modes de production polluants et inciter les consommateurs à choisir d’autres biens issus de modes de production moins polluants.

[2Dans les années 1970, après la forte hausse des prix du pétrole, les États-Unis avaient instauré un impôt sur les profits imprévus des compagnies pétrolières.

[3T. Porcher et H. Landes, Le déni climatique, Max Milo, 2015, p.23.

[4« Le gaz de houille lorrain, le nouveau pari de Macron », Challenges. 27 mai 2016.

[5L.M. McKenzie, R.Z. Witter, L.S. Newman et J.L. Adgate « Human health risk assessment of air emissions from developement of unconventional natural gas resources », Science of the Total Environment, vol.424, mai 2012, p. 79-87.

[6Le fait de diminuer sa demande quand le prix augmente (comparaison en pourcentage)

[7Le fait de choisir un autre bien quand le prix d’un bien donné augmente (comparaison en pourcentage)

[8T.Porcher et H. Landes, Le déni climatique, op. cit., p. 29.

[9« Pour relancer la construction, Emmanuel Macron veut réduire les normes environnementales », Actu Environnement, 12 septembre 2017.

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