Une course à la chefferie qui fait ressortir les tensions qui traversent le PQ
Ces tensions peuvent se résumer ainsi :
– tension entre les partisan-e-s de la gouvernance souverainiste et les indépendantistes qui voient dans la tenue du référendum sur l’indépendance du Québec une perspective nécessaire et urgente ;
– tension entre un courant qui cherche à exacerber une approche identitaire où les Québécois-e-s de souche sont définis comme le cœur de la nation et les secteurs qui favorisent l’enracinement égalitaire des communautés issues de l’immigration récente dans la société québécoise ;
– tension entre le courant social-démocrate qui croit qu’il faut protéger des liens harmonieux avec les organisations syndicales et le courant qui défend que le Parti québécois va se construire à droite en reprenant à son compte les politiques néolibérales ;
– tension entre des environnementalistes qui souhaitent que le Québec organise sa sortie du pétrole et le développement des énergies vertes et les tenants d’un « réalisme économique » à courte vue qui, tout en maniant la rhétorique du développement durable, font de l’exploitation pétrolière un atout pour le Québec.
Pris entre sa volonté de prendre le pouvoir, sa gestion néolibérale et la nécessité de laisser miroiter la possibilité d’accéder à la souveraineté, le PQ révèle aujourd’hui au grand jour au travers de la course à la chefferie, une crise d’orientation politique majeure qui couve depuis de nombreuses années : absence de stratégie concrète de lutte pour l’indépendance d’une part et baisse constante de la souveraineté lorsque le PQ est au pouvoir. La direction actuelle du PQ sait bien qu’elle ne peut faire abstraction de la présence des aspirations à l’indépendance dans les rangs du PQ . Elle doit donc réaffirmer sa volonté de mener le combat indépendantiste, mais elle le repousse dans un avenir indéfini. Il y a là une contradiction qui sera de plus en plus intenable.
Dans cette course, c’est encore cette tension qui est à l’œuvre : soit canaliser toutes les énergies pour battre Couillard et se donner un bon gouvernement, soit, enfin, mettre à l’ordre du jour la bataille pour l’indépendance du Québec. Mais la position dominante dans le PQ ne fait aucun doute. Il s’agira de miser sur le mécontentement de la population et des couches militantes qui se sont vues imposer des reculs importants à tous les niveaux comme la seule carte valide pour gagner les élections. C’est d’ailleurs le choix que le PQ a fait à chaque élection : miser sur le mécontentement provoqué par le gouvernement libéral, pour ensuite lorsqu’il réussit à reprendre le pouvoir comme ce fut le cas avec Pauline Marois, mettre en place des politiques néolibérales au grand dam de la coalition des forces qui l’avaient soutenu stratégiquement (sic).
Cloutier, Lisée et Plamondon : donner la priorité à la lutte pour un bon gouvernement… provincial
Alexandre Cloutier affirme miser sur le rajeunissement. Il est pourtant le représentant de la continuité qui a su rallier derrière lui le plus grand nombre de député-e-s. Pas étonnant qu’il s’abstienne jusqu’ici sur la question de l’accès à la souveraineté. Le mandat qu’il a reçu des députés qui le soutiennent c’est celui de renouveler la perspective du bon gouvernement, un gouvernement propre et nationaliste qui permettra de renverser l’ouvre de destruction des particularités de l’État québécois auquel se livre le gouvernement Couillard. C’est en moussant cet enjeu stratégique et sa position de seule alternative véritable qu’il veut construire les bases d’un vote stratégique massif qui lui permettrait de retourner au pouvoir pour continuer le type de politique qu’avait menée le gouvernement Marois.
Les candidatures d’Alexandre Cloutier et du nouvel arriviste carriériste Paul St-Pierre-Plamondon, viennent renforcer le courant qui met à l’écart la lutte pour la souveraineté à la faveur d’un rassemblement derrière le PQ pour défaire Couillard et mettre en place un “bon gouvernement” provincial. Nicolas Marceau est venu confirmer que cette tendance correspond au courant dominant dans l’establishment du parti. Sa position sur la possibilité d’un référendum sur le fédéralisme renouvelé est certainement choquante pour le courant souverainiste, mais correspond toutefois à la réalité politique du PQ depuis nombre d’années, politique qui a été exprimée au travers du beau risque et de la gouvernance souverainiste.
La proposition de Jean-François Lisée de remettre le prochain référendum à 2022 correspond également à la position de Bernard Drainville qui suggérait de tenir un référendum seulement dans un deuxième mandat. Jean-François Lisée affirme donc tout haut ce que plusieurs pensent à la direction du PQ. Et c’est bien ce qui ressort également des propos de Gérald Larose. Dans un article publié dans Le Devoir, [1] il affirme que : « … la politique d’austérité de Couillard conduit à éroder le sentiment d’appartenance des Québécois et des Québécoises à leur État. » Il conclut donc que : « Jean-François Lisée a raison. 2018 est un enjeu déterminant : il faut d’abord sauver le Québec. Et en deux ans, il est possible de rassembler une majorité de Québécoises et de Québécois dans la poursuite de cet objectif. Il en faudra davantage pour réaliser l’indépendance… Les canadianistes ayant réussi à ce que la population méprise, sinon rejette le noble exercice démocratique qu’est le référendum… » Tous et toutes se gardent bien cependant de faire le bilan des raisons qui ont mené à cette situation. Cette façon de voir a l’avantage, pour le PQ d’effacer l’ardoise de son passé et de remettre la faute sur les fédéralistes.
La campagne identitaire du ¨PQ, qui s’en est pris aux communautés musulmanes, a cherché à imposer le discours comme quoi il y deux Québec : celui des Québécois-e-s pure laine et celui des personnes issues de l’immigration. Ce choix politique n’est pas anodin. Il révèle la contradiction entre d’une part une incapacité presque avouée à réaliser la souveraineté et d’autre part la nécessité dans l’immédiat de s’attirer le vote de la communauté francophone. Le nationalisme identitaire a servi à pallier à cette impasse même si paradoxalement il a exclu des allié-e-s qui sont aussi francophones.
Même s’il a prétendu se détacher de cette campagne après coup, Lisée utilise encore la même stratégie. Il repousse l’échéancier référendaire dans un lointain avenir et reprend le thème du nationalisme identitaire et celui de l’immigration. Lors d’une récente déclaration, il affirmait que le Québec devait abaisser le nombre d’immigrant-e-s accueillis annuellement. Il s’appuie pour ce faire sur le taux de chômage élevé qui afflige les nouveaux arrivants. Chez les immigrants francophones qui sont au pays depuis cinq ans ou moins, le taux de chômage frôle les 25 %. Il omet cependant d’identifier le climat d’exclusion sociale qui entoure l’embauche des nouveaux et nouvelles arrivantes, climat qu’il a lui-même encouragé. Dans une allocution prononcée au début novembre 2015 dans un rassemblement de soutien à la candidate du PQ dans la circonscription de Saint-Henri, il déclarait qu’« il y a plein de hidjabs partout, [...] plein de signes religieux autour de nos enfants », demandant alors à la foule rassemblée si elle en avait assez, lui faisant répéter « ça suffit », en prenant bien soin de détacher les syllabes. [2]
Mais cette orientation laisse en plan le courant souverainiste convaincu tant au sein du PQ qu’à l’extérieur de ses rangs. Si Jean-François Lisée se positionne clairement avec le courant conservateur du PQ, il n’hésitera pas à utiliser des positions populistes pour mousser sa candidature. Sa proposition de gel du salaire des médecins illustre cette posture.
Véronique Hivon, faire miroiter une feuille de route pour des lendemains qui chantent...
La candidature de Véronique Hivon vient, dans ce contexte, donner une coloration souverainiste plus marquée à course à la chefferie. Elle comble une lacune que les candidatures de Lisée, Cloutier et Plamondon partagent : l’absence d’une feuille de route concrète pour la réalisation de l’indépendance. En tentant de jouer la carte de la convergence souverainiste et en empruntant des éléments du programme de Québec solidaire, elle véhicule dans la course à la chefferie un discours dont le PQ a absolument besoin s’il veut maintenir son ascendant sur sa base souverainiste, surtout à l’aube d’une campagne électorale. Mais en semant ces espoirs au sein d’un parti qui n’a depuis des décennies qu’appliqué une politique de gestion de gouvernement provincialiste avec un programme néolibéral, son éventuelle défaite risque de contribuer au désenchantement des indépendantistes au sein de ce parti.
Martine Ouellet, pas de souveraineté sans référendum dans un premier mandat
Mais c’est Martine Ouellet qui représente le courant résolument indépendantiste de ce parti. Dans le discours de présentation de sa candidature, elle est explicite à cet égard : « Fondamentalement, le parti a deux routes devant lui : celle du bon gouvernement provincial, cette voie qui nous a menés aux résultats de 2014, ou la voie de l’indépendance, cette voie que nous avons trop longtemps mise de côté. » Sur la stratégie pour l’indépendance, Martine Ouellet défend la nécessité que le PQ s’engage à tenir un référendum dans son premier mandat comme elle l’avait défendu lors de la course précédente à la chefferie du PQ : « Le temps de l’attente est terminé. Ça fait 20 ans que nous attendons et, à ce rythme, si nous ne donnons pas un sérieux coup de barre au mouvement indépendantiste, nous allons continuer à attendre longtemps comme les spectateurs de notre avenir. » Pas étonnant qu’elle ait déjà rallié parmi les indépendantistes les plus résolus. [3]. Mais Martine Ouellet ne tire aucun bilan sérieux des échecs référendaires et de la responsabilité du Parti québécois à cet égard. Cette absence de bilan l’empêche d’identifier les limites démontrées par une stratégie strictement référendaire pour la mobilisation pour l’indépendance . Elle n’envisage donc pas une réelle stratégie de souveraineté populaire comme le propose une démarche constituante.
Sur les plans économique, social et environnemental, elle propose un « nouveau plan de développement économique Québec-Climat 2030 ». [4]. Ce plan s’inscrit dans le cadre du capitalisme vert, comptant d’abord sur les subventions aux entreprises des secteurs concernées (usines de matériel de transport, construction). Les conditions économiques et politiques permettant la réalisation de ce tournant ne sont nullement précisées : socialisation des banques, rupture avec les accords du libre-échange, nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie. Il n’en reste pas moins que la stratégie économique et environnementale qu’elle propose lie clairement la perspective de l’indépendance à un projet de société. [5].
Le drame en ce qui la concerne est qu’elle représente un courant très minoritaire au sein de la direction, mais aussi dans les couches plus larges au sein du parti comme l’ont démontré ses résultats lors de la dernière course à la chefferie. Elle se butera également sur l’actuelle structure du pouvoir au sein de ce parti. Mais maintenant, dans un contexte où la souveraineté risque d’être remise aux calendes grecques pour une énième fois, acceptera-t-elle de jouer le jeu du grand ralliement pour défaire les libéraux ? Le courant qu’elle représente au sein de ce parti devra, finalement, tirer les conséquences de ce que sera cette course à la chefferie. Il devra renoncer à être une caution de gauche d’un parti qui utilise la souveraineté comme d’un miroir aux alouettes. Il devra comprendre que le PQ fait de l’indépendance un thème de plus en plus rhétorique tout en se refusant à s’attaquer à une définition d’une stratégie concrète pour y parvenir et qu’elles sont les dynamiques et la structure du pouvoir interne qui encagent ce parti dans cette voie.
Cette course à la chefferie est en train d’escamoter les tâches politiques essentielles : un vrai bilan historique de la lutte pour l’indépendance et l’établissement des conditions d’une large mobilisation populaire pour sa réalisation.
Québec solidaire doit prévenir les indépendantistes péquistes que les batailles qui ne tiennent pas compte de la réalité de ce parti ne pourront conduire qu’à de nouvelles déceptions qui nourriront la démobilisation. L’enjeu véritable ne repose pas sur le changement à la direction du PQ. Ce parti est ancré dans une orientation politique qui l’oppose aux aspirations de la population tant sur la question de ses cibles dans la lutte à l’austérité, de son appui au développement pétrolier et gazier, de son aplatventrisme devant les multinationales, comme cela a été le cas avec les compagnies minières et de son appui au libre-échange.
La structure même de la course à la direction est anti démocratique et conçue pour avantager les député-e-s bien connus et les personnes aptes à amasser des sommes assez considérables soit 25 000 $ de dépôt et un plafond de dépenses à 400 000 $. Cette règle a été imposée en 2015, alors que la barre était auparavant fixée à 5000 $, afin d’assurer la place de Péladeau et écarter les candidatures « hors normes », elle demeure toujours en vigueur aujourd’hui. [6]
Les changements à la direction du PQ ont toujours permis d’escamoter un bilan réel en misant sur une personne qui sauverait le parti. Cette fois-ci la course à la chefferie fait ressortir l’impasse dans laquelle ce parti est arrivé et il n’y aura pas de sauveur ou sauveuse possible, acceptable par l’establishment du parti qui puisse l’en sortir parce qu’il n’y aura pas d’avancée sur le chemin de l’indépendance, sans qu’un parti se définissant clairement comme celui de la majorité populaire ne se fasse le véhicule d’un élan mobilisateur sachant lier la défense des acquis sociaux de cette majorité à ses aspirations à l’indépendance dans une démarche profondément démocratique.