Édition du 17 décembre 2024

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Energie

L'énergie, un enjeu politique et citoyen

Même s’ils semblent hermétiques du fait de leur nature, les enjeux énergétiques concernent depuis la fin du XIXe siècle l’ensemble des citoyens québécois. Au-delà des incidences économiques, ils touchent à la détermination du bien commun actuel et à venir, d’où l’importance fondamentale de la prise de parole citoyenne.

Projets d’exploitation pétrolière et gazifère, vente d’électricité, investissements publics ou privés : les débats récents nous donnent l’impression que la question de l’énergie se ramène à la stricte dimension de l’économie. Au contraire, et ce, depuis longtemps, l’énergie au Québec est un enjeu politique et citoyen.

Nos sociétés contemporaines étant fondées sur l’industrialisation et la technoscience, l’énergie constitue plus qu’un moyen essentiel pour assurer le développement socioéconomique : elle est aussi un enjeu de l’habilitation citoyenne. Sans le nécessaire accès à l’énergie, les citoyens ne peuvent assurer leur plein épanouissement dans la communauté politique. D’où les multiples stratégies qu’ils mettent en oeuvre, passant de la promotion à la résistance, se déployant dans l’ensemble de la société ou se circonscrivant au voisinage et au quotidien. Dès lors, par delà les strictes dimensions socioéconomiques, l’énergie est indubitablement au coeur du politique.

Des enjeux à travers l’histoire

Sur le plan de l’énergie, le Québec ne fait pas exception dans le monde occidental. Dès la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les questions énergétiques occupent une place non négligeable dans les préoccupations des responsables politiques et des décideurs économiques québécois. Au-delà des strictes incidences économiques ou autres, ces questions sont foncièrement politiques puisqu’elles renvoient aux luttes entre acteurs dans l’espace public sur les projets de développement socioéconomique et, partant, sur des conceptions divergentes d’un avenir commun.

Ces débats ne sont guère récents. Avant la Première Guerre mondiale, les centres urbains deviennent les arènes d’un conflit entre les tenants du gaz et ceux de l’électricité : les protagonistes s’opposent sur des questions d’éclairage de rues et, surtout, sur le développement de nouveaux moyens de transport et de nouveaux services publics. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les industriels de ces mêmes villes tentent quant à eux de trouver le meilleur moyen d’approvisionner leurs usines et leurs manufactures en énergie, ce qui les fait souvent hésiter entre la vapeur issue du chauffage au charbon, l’électricité ou la force hydraulique.

Ailleurs, dans les régions plus éloignées des grands centres, les responsables politiques et les décideurs économiques misent surtout sur l’hydroélectricité, par le biais des concessions pour la construction de barrages. Partant, ces initiatives favorisent une certaine décentralisation industrielle et, ainsi, encouragent un développement régional centré sur l’entreprise privée ainsi que l’extraction et la transformation des ressources naturelles.

Bien commun

À Montréal notamment, un vaste mouvement populaire se manifeste au cours des années 1930 contre les trusts, dont ceux de l’électricité et du gaz, qui vendent à des tarifs exorbitants un bien commun jugé essentiel. Avec la première nationalisation en matière d’hydroélectricité et la création d’Hydro-Québec en 1944, les responsables politiques ne se contentent plus de légiférer pour réguler le domaine de l’énergie. Outre son rôle dans la distribution du gaz, un rôle qui est délaissé en 1957 par le gouvernement Duplessis, Hydro-Québec se fait timorée dans le domaine énergétique.

Toutefois, l’État québécois peut concurrencer l’entreprise privée sur un terrain de plus en plus stratégique : celui de la production, du transport et de la distribution de l’électricité. Au moment de la Révolution tranquille, le gouvernement de Jean Lesage procède à la deuxième nationalisation de l’électricité et instaure un monopole étatique sur la production et la distribution d’énergie électrique à des fins domestiques. Ce faisant, les responsables politiques de ce gouvernement et de ceux qui lui succèdent encouragent fortement à la fois le développement hydroélectrique du Québec et la consommation de cette énergie dite « québécoise ». Cette orientation politique en matière de développement énergétique engendre un résultat probant : le Québec devient ainsi l’un des États les plus électrifiés au monde.

Débats et résistances

Les mêmes responsables politiques se penchent aussi sur la place que devrait prendre non seulement d’autres formes d’énergie, comme celles issues du pétrole et du gaz naturel, mais aussi d’autres filières électriques, comme celles du nucléaire et des sources dites « nouvelles » ou « alternatives » — à l’instar des énergies solaire, éolienne, marémotrice, etc. Là, la planification étatique et surtout, la rédaction de la première véritable politique énergétique québécoise en 1978, reconnaissent au secteur de l’énergie un rôle moteur dans le développement économique du Québec.

Par la suite, les politiques énergétiques qui sont régulièrement revisitées au fil des ans suscitent de nombreux débats et résistances au sein de l’espace public, notamment dans les forums de la Régie de l’énergie et du BAPE. En témoignent ainsi les polémiques souvent acrimonieuses qui surviennent au fil du temps depuis la fin des années 1970, du moratoire entourant la construction de nouvelles centrales nucléaires sous le gouvernement de René Lévesque à la déréglementation du marché de l’électricité, en passant par les péripéties du projet Grande-Baleine au tournant des années 1990.

Deux échelles du politique

Enfin, il suffit de se pencher sur les débuts du troisième millénaire pour s’apercevoir qu’ils furent constamment le terreau fertile pour de multiples débats entourant les enjeux énergétiques. Ces débats traduisent le caractère profondément sensible de l’énergie dans une société postindustrielle comme le Québec. Ils expriment aussi les multiples formes de résistance fondées sur l’habilitation citoyenne et la prise de parole.

Dès lors, l’enjeu énergétique se manifeste simultanément sur deux échelles du politique. Sur un plan d’ensemble relevant des dimensions globales de la Cité, cet enjeu renvoie à une macropolitique qui concerne l’aménagement du bien commun et la détermination des choix de société. Sur une échelle plus réduite, il correspond à une micropolitique qui se confine plus particulièrement au quotidien des citoyens et à leurs solidarités de base. Le phénomène du « Nimby » — « Not in my back yard » —, de ces résistances citoyennes localisées, s’inscrit dans cet espace du micropolitique, qui n’empêche pas l’expression de stratégies macropolitiques.

Dans le cas de l’enjeu de l’électricité, les exemples abondent de la prégnance du micropolitique. On l’a vu auparavant dès la fin des années 1980 avec les polémiques entourant la construction de lignes de haute tension à Grondines en 1988, ou à Hertel-Des-Cantons à la suite du grand verglas de 1998. D’autres initiatives, telles que l’établissement de parcs éoliens, rencontrent également de fortes résistances locales de la part des citoyens.

Polémique

Les autres filières énergétiques sont aussi des sources de débats macro et micropolitiques, et les motifs de polémiques abondent. L’enjeu pétrolier n’est pas exempt de controverses, comme celles des nombreuses fluctuations du prix à la pompe ainsi que des préoccupations environnementales — surtout au sujet des gaz à effet de serre (GES) et du réchauffement climatique. Ces dernières incitent les décideurs économiques et les responsables politiques à trouver des solutions de rechange, dont la promotion du transport en commun et la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en pétrole.

Enfin, le gaz naturel engendre un débat délicat au potentiel explosif — si l’on peut dire ! La polémique s’alimente ici de la proximité spatiale du transport et de l’exploitation du gaz. Par delà des tenants et aboutissants macropolitiques, elle atteste toujours des expressions du micropolitique, à l’exemple du projet Rabaska de port méthanier et, évidemment, l’exploitation des gaz de schiste dans la région des basses-terres du Saint-Laurent.

Même s’ils semblent hermétiques du fait de leur nature, les enjeux énergétiques concernent depuis la fin du XIXe siècle l’ensemble des citoyens québécois. Au-delà des incidences économiques, ils touchent à la détermination du bien commun actuel et à venir, d’où l’importance fondamentale de la prise de parole citoyenne.

Stéphane Savard est historien à l’Université Concordia, et Martin Pâquet est professeur au Département d’histoire de l’Université Laval et titulaire de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord

Stéphane Savard

Histoire, Université Concordia

Martin Pâquet

Hiswtoire, Université Laval

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