Édition du 17 décembre 2024

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L’autre histoire du Canada - Comment Ottawa a été le larbin des États-Unis durant la guerre du Vietnam

Au tournant des années 1950, le gouvernement canadien « libéré » de la tutelle britannique cherchait des moyens d’apparaître au monde comme autre chose qu’une semi-colonie. Mais rapidement, dans le contexte de la Guerre froide, les velléités d’indépendance se sont évanouies et le Canada, de valet de l’Angleterre, est devenu celui des États-Unis.

Le début de la crise

La lutte du peuple vietnamien au début des années 1950 faisait rage contre la puissance occupante, en l’occurrence la France. Les États-Unis étaient alors soucieux, car même s’ils ne voyaient pas d’un bon œil les anciens empires coloniaux, ils craignaient que l’Asie ne devienne trop indépendante. Ils voulaient écarter toute tentative de constituer un « troisième bloc », comme l’avaient évoqué à Bandung plusieurs États décolonisés, notamment l’Inde, la Chine et l’Indonésie. Au Vietnam, le prétexte del’agressivité américaine était que la lutte anticoloniale était menée par le Parti communiste, bien que, et les États-Unis le savaient, Ho Chi Minh voulait plutôt un Vietnam indépendant et neutraliste.

Ottawa répond présent

En 1955 après avoir débouté l’armée française (bataille de Dien Bien Phu), le Vietnam acceptait un cessez-le-feu qui divisait temporairement le pays en deux, en obtenant la promesse que des élections libres et démocratiques auraient lieu sur l’ensemble du territoire. Presque tous donnaient le Parti communiste gagnant, vu son prestige comme le chef de file de la lutte anticoloniale. Une « Commission internationale de contrôle » (CIC) était mise sur pied pour superviser le processus. Sous la pression des États-Unis, le Canada (avec la Pologne et l’Inde) est devenu membre de cette CIC. Tout en proclamant son impartialité, le rôle du Canada dans cette opération fut d’appuyer les États-Unis qui n’avaient nulle intention de respecter les accords. Ils voulaient entre autres reporter les élections sine die, réarmer l’armée sud-vietnamienne et couvrir les nombreuses exactions commises contre les civils.

Se battre pour le « monde libre »

Le Canada dans cette affaire fut complice de z jusqu’à z, en fermant les yeux sur les importations illégales d’armes et même en légitimant les agressions américaines. À plusieurs reprises dans les médias, des diplomates canadiens furent accusés d’espionnage au profit des États-Unis. Encore au pouvoir avant d’être vaincu par le conservateur John Diefenbaker en 1957, le Premier ministre libéral Louis-Laurent affirmait que la plus grande menace dans le monde venait du « communisme mondial ». Son ministre des affaires extérieures, Lester B. Pearson, rêvait d’un Canada agissant comme un « honnête courtier » entre les États-Unis et les autres puissances et États dans le monde.

Le Parti Libéral va-t’en-guerre

Sous Diefenbaker au pouvoir pendant quelques années, le ton devint plus nationaliste bien que les Conservateurs aient eux-aussi adhéré à l’idéologie de la guerre froide, du réarmement et de l’encerclement de l’URSS par le moyen de l’OTAN. Mais le vieux lion n’aimait pas faire les courbettes auxquelles Washington était habitué. Aussi, les États-Unis ne se sont pas gênés pour appuyer leurs copains libéraux, d’où leur retour au gouvernement en 1962. Pearson est alors devenu Premier ministre et Paul Martin senior (le père de l’autre), ministre des affaires extérieures. Au Vietnam, la CIC perdit sa crédibilité devant la totale partialité du Canada en dépit des efforts de l’Inde et même de la Pologne pour remplir la mission qui était de superviser la pacification du pays. Paul Martin défendait ouvertement la politique de Washington qui selon lui répondait à la demande d’aide du gouvernement sud-vietnamien, en sachant très bien que ce gouvernement était fantomatique.

La grande foire militaire

Au milieu des années 1960, les États-Unis prirent la funeste décision d’intervenir directement sur le terrain, devant l’écroulement imminent de l’État fantoche créé au Sud-Vietnam. Des centaines de milliers de soldats furent déployés pendant que les États-Unis déversaient sur le Vietnam plus de bombes que pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1968 à l’arrivée au pouvoir de Pierre Eliott Trudeau, le gouvernement et les entreprises privées comprirent que leur intérêt était de participer à l’effort de guerre états-unien, De vastes quantités d’armes de toutes sortes furent vendues à l’armée américaine par le Canada (d’une valeur de plus de 3,2 milliards de dollars, de 1959 à 1973)1. Parallèlement, les exportations de pétrole et de métaux (indispensables pour fournir la machine de guerre américaine) connurent une envolée spectaculaire. Entre-temps, le gouvernement canadien mentait à la face du monde en prétendant qu’il n’était pas impliqué militairement au Vietnam, pendant qu’au moins 10 000 Canadiens étaient enrôlés comme « volontaires » avec l’armée américaine,

L’aide dévoyée

Pour embellir son rôle, le Canada à l’époque mettait en place un programme de développement international et d’aide humanitaire, qui allait déboucher en 1968 sur la création de l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Sous la pression des États-Unis, une partie importante de l’aide canadienne fut détournée vers le Vietnam, en fait vers les infrastructures mises en place par le gouvernement sud-vietnamien et les États-Unis. Le président américain de l’époque, Lyndon B. Johnson, appelait cela l’« autre guerre », révélée plus tard par les fameux Dossiers du Pentagone qui démontrèrent avec une quantité invraisemblable de détails comment l’aide fut mise au service de la guerre et des responsables vietnamiens et américains corrompus qui en détournèrent la majeure partie.

Ramasser les corps morts

Concrètement, le Canada mit en place des services médicaux et des infrastructures hospitalières. L’infirmière canadienne Claire Culhane, qui était sur place, observait avec effroi les bombardements au napalm qui tuaient et blessaient des milliers de personnes. Elle avait osé en parler pour finir par être accusée de diffamation par le ministre des affaires étrangères Mitchell Sharp. Entre-temps, Ottawa essayait de bloquer des ONG et des Églises qui voulaient faire parvenir de l’aide au Nord-Vietnam.

La fin honteuse

En 1973, les États-Unis pour masquer leur défaite signaient un nouvel accord de paix qui ne fut globalement jamais réalisé. Pendant encore deux longues années, ils ont tenté de maintenir à flot l’armée sud-vietnamienne tout en poursuivant d’intenses bombardements contre le nord. Le Canada alors acceptait de faire partie d’un consortium mis en place par la Banque mondiale pour aider à la « reconstruction du Vietnam », malgré les réticences du président de l’ACDI de l’époque, Paul Gérin-Lajoie. Cause perdue pour Washington et ses larbins, la guerre se termina abruptement en 1975 avec la victoire de l’armée populaire de libération. Une semaine avant son entrée à Saïgon (aujourd’hui Hô-Chi-Minh-Ville), le Canada fermait son ambassade alors que le gouvernement fantoche, avec qui il transigeait depuis des années, s’enfuyait dans des hélicoptères américains.

Complicité et impunité

On estime que 3,5 millions de Vietnamiens, combattants et civils, ont été tués durant cette guerre. Des millions d’autres ont été mutilés et torturés. Encore aujourd’hui, 35 ans après la fin de la guerre, des milliers de personnes souffrent de diverses maladies liées aux déversements massifs d’agents chimiques (l’« agent orange ») sur une grande partie du pays. 58 000 soldats américains ont également été tués. Aux États-Unis, les gouvernements se sont succédé depuis cette époque pour justifier la guerre. Au Canada, le silence n’a jamais été vraiment rompu, malgré les recherches critiques comme celle de Victor Levant.

Et ça continue

Il y a encore des naïfs ou des malhonnêtes pour penser que le Canada a été dans ces années tumultueuses un « défenseur de la paix ». Encore aujourd’hui, c’est la même chanson que les médias complaisants ressassent en prétendant que le Canada est en Irak ou en Afghanistan pour sauver les femmes et les enfants. Alors qu’en réalité, il est un petit maillon de la chaîne impérialiste que les États-Unis continuent de gérer malgré leurs défaites nombreuses et les impacts monstrueux sur les populations et sur le monde.

1- Ces chiffres et les autres données utilisées dans ce commentaire ont été établis par l’excellente étude de Victor Levant, Secrète alliance. Le Canada dans la guerre du Vietnam, 1990.

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