C’est la dévastation totale. Les meubles sont renversés, les habits arrachés aux placards et éparpillés. Malgré mes efforts, je n’arrive pas à éviter les vêtements qui gisent sur le sol. Je les piétine tout en marchant sur les bris de verre, les déchets de nourriture et les douilles. Les murs portent des inscriptions en hébreu ; des grands plans avec l’emplacement des maisons avoisinantes ainsi que des croquis pour des tours de garde.
Je suis dans une maison qui semble être celle depuis laquelle Salem Shamali a été abattu à Chajaya. Ce jeune homme avait été tué quelques mètres devant moi lorsqu’il essayait d’évacuer ses proches pendant ce qui était censé être un « cessez-le-feu humanitaire ».
Ce n’est pas la première fois que je vois de telles destructions dans des maisons comme celle-ci. J’ai inspecté quatre maisons qui ont été utilisées par les forces militaires de l’Etat israélien au cours de l’opération Bordure protectrice. On y trouve des destructions similaires. J’ai guidé une équipe de TV autour de la maison en montrant le « X » peint à l’extérieur des fenêtres, un signal pour que les soldats de leur camp [donc de l’armée de l’Etat d’Israël] ne l’attaquent pas. Je montre à l’équipe les sacs de sable dans les fenêtres : les soldats ont utilisé les taies d’oreiller appartenant aux habitants de la maison et les ont remplies de sable : c’est pour accéder au sable, sous la maison, que les dalles ont été brisées .
On trouve partout des preuves de la présence des soldats : les emballages de sous-vêtements et des dessous souillés, éparpillés sur le sol, des boîtes de nourriture vides avec des étiquettes en hébreu, des sandwichs emballés, deux chemises militaires et un béret bleu foncé sont laissés là, après le départ des militaires. L’écran de la télévision a été fracassé, le marteau ayant servi à le démolir est encore là, à côté. La boîte à bijoux est vide. La coutume veut que l’on offre des bijoux en or à l’occasion des mariages palestiniens. Dans une autre de ces quatre maisons qui ont été utilisées comme poste militaire, le propriétaire m’a montré la boîte à bijoux vide de sa femme ainsi qu’un certificat d’évaluation de leur valeur. Lorsque j’ai mentionné ce fait à mon contact aux Nations Unies, elle a confirmé que des rapports similaires avaient été reçus. Partout le long de la frontière entre Gaza et Israël, des soldats israéliens ont monté des positions militaires dans des maisons privées palestiniennes privées. Mais il ne faut pas s’inquiéter. Après tout, il s’agit de « l’armée la plus morale du monde » ! N’est-ce pas vrai ?
Les membres de l’équipe de TV reculent devant le spectacle et la puanteur qui provient des WC. Je ne peux que confirmer que c’est la même chose dans toutes les maisons où j’ai été ; le fait de tirer la chasse d’eau ne semble pas faire partie de l’entraînement militaire. Je montre à l’équipe la couverture d’un Coran dont toutes les pages ont été arrachées, un album de famille dont toutes les photos ont été enlevées. Le fait d’effacer les souvenirs de l’histoire palestinienne fait partie depuis longtemps de la guerre menée par Israël ; l’histoire est ce qui construit l’identité nationale.
Depuis le toit, je montre les autres maisons environnantes, en signalant comment on peut s’en servir pour surveiller stratégiquement une grande partie du territoire ; devant ces maisons une étendue dévastée qui était – il y a peu – un verger florissant.
Je désigne le secteur plus proche de la frontière, à peine à 100 mètres d’où nous nous trouvons : on y voit clairement des traces de chenilles. Les chars d’assaut devaient être bien alignés. Et ils tiraient directement sur les bâtiments. Un peu au-delà du lieu où stationnaient les chars, j’indique une grange dans laquelle il y a des vaches mortes et des chameaux. Il est peu vraisemblable que les chameaux soient morts de soif !
C’est le dernier jour du cessez-le-feu prolongé, et lorsque nous quittons les lieux nous ne sommes pas seuls. Les gens qui sont revenus à ce qui reste de leurs foyers commencent à nouveau à les quitter en portant leurs plus jeunes enfants et n’amenant avec eux que les choses les plus indispensables qu’ils ont pu récupérer. Ils quittent leur maison en petits groupes, en choisissant un itinéraire qui leur permettra de rejoindre des amis et des connaissances ou des écoles des Nations Unies où ils se réfugient. Cette fois, ils n’ont pas dû fuir dans la panique, mais il faut dire aussi que certains d’entre eux n’ont plus d’objets de valeur à emporter. (Traduction A l’Encontre ; article publié en anglais sur le site +972)
* Alexandr Nabokov est un militant internationaliste basé à Gaza.
Photos
1- Des cartes militaires gribouillées sur le mur d’une maison palestinienne. Elle a été utilisée comme position militaire par des soldats israéliens pendant l’opération Bordure protectrice, dans la Bande de Gaza, en août 2014. (photo : Alexandr Nabokov)
2-Un ‘X’ peint à l’extérieur de la fenêtre, un signal pour que les autres soldats de leur camp ne tirent pas sur cette maison, dans la Bande de Gaza, en août 2014. (photo : Alexandr Nabokov)
3-Une chemise militaire israélienne abandonnée dans une maison utilisée comme poste militaire au cours de l’opération Bordure protectrice, dans la bande de Gaza, en août 2014. (photo : Alexandr Nabokov)